La réinsertion des personnes admises au bénéfice de l’AI constituait déjà un défi majeur avant l’arrivée du Coronavirus. Mais la pandémie ne facilite pas le processus : d’une part, le nombre de postes ouverts est réduit et d’autre part, le nombre d’inscriptions à l’AI devrait augmenter, car la proportion de personnes présentant des symptômes de grave dépression a été multiplié par six depuis le début de la pandémie. Les offices AI cantonaux font ainsi face à un double défi. Mais comment l’évolution actuelle se compare-t-elle à la moyenne à long terme ? L’AI a-t-elle déjà été confrontée à des taux d’inscriptions aussi élevés ? Et le leitmotiv «la réadaptation prime la rente» a-t-il été efficace jusqu’à présent ?

L’assurance-invalidité (AI) a toujours été un sujet sensible. Au milieu des années2000, alors que le nombre de nouveaux bénéficiaires de rentes connaissait une poussée marquée, y compris en comparaison internationale, le débat s’enflamma à propos de ce que certains appelaient les «faux invalides», c’est-à-dire les bénéficiaires de rente d’invalidité qui seraient en réalité capables de mener une vie normale. Depuis, de nombreuses réformes ont été mises en place, et le nombre de nouvelles rentes a diminué.

L’AI va de nouveau donner matière à discussion en2021. Les restrictions pesant sur les activités économiques, telles que les fermetures de magasins et l’interdiction de manifestations culturelles et sportives, font naître chez certains travailleurs concernés une anxiété sur leur devenir, qui est susceptible d’évoluer vers de sévères troubles psychiques. L’obligation du télétravail et les restrictions imposées sur les activités de loisir empêchent les contacts sociaux, qui sont des facteurs déterminants de bien-être pour de larges couches de la population. Les habitations exiguës et le flou des perspectives d’avenir augmentent en outre les risques de violences domestiques. Selon l’étude «Swiss Corona Stress Study», la proportion de personnes présentant des symptômes de grave dépression, entre le début de la pandémie en avril2020 et le mois de novembre2020, a été multipliée par6, passant de 3% à 18%. Si une partie de ces symptômes disparaîtra lorsque la vie reprendra son cours «normal», de nombreuses personnes continueront de souffrir de troubles psychiques durables. En raison du taux de chômage actuellement accru, leur retour sur le marché du travail en sera d’autant plus ardu.

La réadaptation prime la rente, pilier de l’AI

Toutefois, une augmentation significative des inscriptions à l’AI ne serait pas un phénomène nouveau en Suisse. Le nombre de nouvelles rentes a fortement fluctué au cours des 25dernières années. Compte tenu que la population résidante a augmenté de 1,5million de personnes dans cet intervalle, il convient de considérer l’évolution non pas en chiffres absolus mais en pourcentages de la population (taux de nouvelles rentes). Il est alors possible d’observer les effets de certaines réformes (voir figure).

 

En 1995, quatre ans après l’entrée en vigueur de la 3e révision de la LAI, le taux de nouvelles rentes était de 0,54 % et ce taux a progressé de 10 % pour atteindre son niveau le plus élevé de 0,59 % en 2003. Puis est entrée en vigueur la 4e révision de la LAI, qui prévoyait notamment la création de services médicaux régionaux (SMR), chargés d’évaluer les conditions médicales du droit aux prestations.

Avec la 5e révision de la LAI, l’accent a été mis sur la détection et l’intervention précoces, ainsi que sur le renforcement des mesures de réadaptation, en particulier pour les personnes souffrant de troubles psychiques et les personnes sans qualification professionnelle. Le principe moteur était celui de «la réadaptation au lieu de la rente». Les nouvelles rentes enregistrèrent un nouveau léger repli.

Avec la révision 6a de la LAI, l’assurance-invalidité s’est dotée, en 2012, d’instruments additionnels pour la réintégration des personnes avec handicap dans la vie professionnelle. En outre, grâce à l’introduction d’une contribution d’assistance, davantage de personnes avec handicap peuvent organiser elles-mêmes les soins et l’assistance dont elles ont besoin et ainsi mener une vie autonome à leur domicile. Après une baisse jusqu’à 0,26% en2013, niveau auquel il reste pendant quatre ans et qui est la moitié de ce qu’il était dix ans auparavant, le taux de nouvelles rentes a recommencé à augmenter légèrement depuis, pour atteindre 0,3% en2019.

La révision 6a prévoyait surtout des moyens supplémentaires grâce à une augmentation de 0,3point de la TVA. Le volet 6b de la révision qui devait suivre et introduire des mesures structurelles n’a cependant jamais franchi l’étape parlementaire. En2020 cependant, une nouvelle tentative de réforme a rencontré le succès sous le nom de «Développement continu de l’AI». Elle met l’accent sur l’intégration des jeunes et des personnes atteintes de troubles psychiques. Cette réforme devrait entrer en vigueur en janvier2022. Comment la pandémie de Covid-19 affectera le développement de nouvelles rentes ? La question reste ouverte. Toutefois, tant que les restrictions imposées pour lutter contre la propagation du virus resteront en placeon peut s’attendre à une augmentation significative du nombre d’inscriptions et à une réintégration plus difficile des personnes avec handicap sur le marché du travail.

Révisions de la LAI : des réussites, mais aussi des reports

Une analyse approfondie mandatée par l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas) a étudié les effets, depuis sa 4e révision, de la réorientation de l’assurance-invalidité vers les mesures de réadaptation. Les efforts en faveur de la réadaptation se sont effectivement nettement renforcés depuis lors. La proportion de personnes inscrites à l’AI et ayant obtenu une mesure de réadaptation externe a triplé durant ce laps de temps. La proportion des rentes octroyées a reculé de 26% à 23% des demandeurs. Dans certains cas, la situation financière des personnes qui se sont vu refuser une rente s’est améliorée, tandis que pour d’autres, leur dépendance vis-à-vis de l’aide sociale s’est accentuée.

Comparée aux cohortes avant la 5e révision de la LAI en effet, la part de personnes exerçant une activité lucrative quatre ans après leur demande d’AI et ne percevant aucune rente AI est passée de 50% à 58%. En revanche, la part de personnes percevant une rente AI et gagnant parallèlement un revenu de leur activité lucrative a diminué et est passée de 9% à 5%. Au total, le taux d’activité a progressé de 59% à 63%. En comparaison avec la situation antérieure, on note également une augmentation de la proportion de personnes économiquement indépendantes après leur dépôt d’une demande auprès de l’AI (revenus d’activité lucrative de plus de 3000francs par mois). La stratégie de réadaptation a été un succès manifeste tant pour les personnes concernées, qui peuvent mener leur vie en étant économiquement autonomes, que pour les finances de l’AI.

Parallèlement, la part de personnes percevant des aides sociales la quatrième année après leur inscription à l’AI, est passée de 11,6% (cohorte2006) à 14,5% (cohorte2013), ce qui représente une progression du taux de 25%. En chiffres absolus, cela représente une augmentation du nombre de bénéficiaires de l’aide sociale d’environ 2100personnes.

L’importance d’une réinsertion rapide

L’étude de l’Ofas mentionnée plus haut le montre : la probabilité d’être bénéficiaire de l’aide sociale après une inscription à l’AI est en comparaison faible chez les personnes qui exerçaient encore une activité lucrative au moment de leur demande d’AI, et il est environ quatre fois plus élevé si la personne n’avait déjà plus de revenu d’activité au moment de sa demande d’AI. Ces chiffres soulignent l’importance d’intervenir le plus rapidement possible, avant la perte éventuelle de l’emploi occupé. Pandémie ou pas.

Comment peut-on soutenir les personnes nouvellement inscrites à l’AI en raison de troubles psychiques ou physiques dans leur retour sur le marché du travail ? Quel rôle jouent les offices AI cantonaux dans ce domaine et dans quelles mesures les différents cantons réussissent-ils dans leurs efforts d’intégration ? La coopération entre acteurs privés, tels que les employeurs, les médecins et les assureurs d’indemnités journalières en cas de maladie fonctionne-t-elle bien ? Voilà les questions qui sont au centre de notre prochaine publication «Réinsérer plutôt qu’exclure – comment faciliter davantage le retour au travail en cas d’invalidité», disponible dès le mardi 13 avril 2021.