La plupart des Suisses ont sans doute été soulagés par l’élection de Joe Biden. Des semaines encore après cette élection, les mises en garde pour tempérer les espoirs nourris par ce changement de présidence étaient irrecevables. L’interview donnée par l’ambassadeur suisse à Washington a suscité des critiques de la part de politiciens, de gauche comme de droite. Pourtant, il a simplement rappelé que la Suisse ne figure pas dans les priorités du long programme de l’administration Biden. Notre pays n’est pas au cœur des préoccupations à Washington ou à Bruxelles, contrairement à ce que prétendent les médias suisses.

L’accord commercial entre la Suisse et les Etats-Unis a du plomb dans l’aile

Cette interview a même donné lieu à des critiques sur l’accord commercial, alors que la Suisse et les Etats-Unis n’ont pas encore officiellement commencé les négociations pour sa conclusion. Les Etats-Unis sont le deuxième partenaire commercial de la Suisse, après l’Allemagne. Depuis quelques mois cependant, ils sont passés en première position. Les relations économiques sont au beau fixe, et il y a déjà bien longtemps que l’on parle de sécuriser le fruit de ces relations par le biais d’un accord commercial. La première fois, c’était en 2005, lorsque la Suisse a manqué le coche sans raison. La deuxième fois, c’était il y a environ un an, lorsque les négociations préliminaires sur un accord se sont enlisées. Pourtant, la Suisse n’a jamais eu autant d’occasions d’échanger dans les plus hautes sphères politiques que lors de ces trois dernières années.

Compte tenu des turbulences commerciales et politiques que les marchés mondiaux subissent, un accord commercial permettrait de sécuriser nos relations économiques avec les Etats-Unis, ainsi que les 700 000 emplois des deux côtés de l’Atlantique qui bénéficient déjà des échanges bilatéraux, et créerait des perspectives pour en augmenter encore le nombre.

Il est intéressant de noter que les deux «fenêtres d’opportunité» pour la Suisse se sont ouvertes avec des présidents issus du parti républicain, à savoir George W. Bush et Donald Trump, alors que le différend fiscal de nombreuses banques suisses (avec le Département de la Justice des Etats-Unis et l’agence gouvernementale Internal Revenue Service) s’est enflammé sous l’administration de Barack Obama.

Qu’est-ce que l’administration Biden va changer pour la Suisse ? Le nouveau président promet de remettre l’accent sur le multilatéralisme. (Gayatri Malhotra, Unsplash)

«It’s the economy, stupid» – «America First» 2.0?

Contrairement à son prédécesseur, le nouveau président américain promet au moins de remettre l’accent sur le multilatéralisme dans sa politique commerciale. Des exportateurs de taille moyenne, comme la Suisse, profiteraient également d’un système commercial mondial basé sur des règlementations plutôt que sur le pouvoir. Mais les électeurs américains seraient vraisemblablement plus nombreux à se satisfaire d’une économie ayant le vent en poupe et d’emplois créés à court terme chez eux.

L’administration Biden semble donc disposée à poursuivre la politique de l’America First de son prédécesseur. Du moins en partie. Ainsi, par décret présidentiel, il a été décidé non seulement de poursuivre la politique d’«acheter américain», mais surtout de renforcer son application. Dès que des fonds fédéraux sont mis sur la table, il convient d’acheter des produits et des composants fabriqués aux Etats-Unis par des travailleurs américains. Les seuils de valeur ajoutée en provenance des Etats-Unis doivent être relevés, les exemptions doivent être accordées avec plus de prudence et une différence de prix plus importante (jusqu’à 20 %) des produits américains par rapport aux offres étrangères doit être acceptée. Un nouveau poste à haute responsabilité doit être créé au sein de l’administration pour surveiller de manière rigoureuse la mise en œuvre de cette politique.

Joe Biden a également renforcé le Jones Act de 1920, pour des raisons de sécurité nationale. Seuls les navires construits aux Etats-Unis, détenus par des sociétés américaines et battant pavillon américain sont autorisés à transporter des marchandises entre deux ports américains. Diverses études ont déjà montré que ce décret a augmenté le coût du fret naval et réduit la demande de navires construits aux Etats-Unis, car de nombreuses entreprises de logistique se tournent désormais vers le transport terrestre.

«Acheter américain» fait grimper les prix sur les marchés publics et, selon le budget fixé, peut réduire la demande de biens. Pour éviter que cela ne se produise, la dette américaine, qui atteint déjà des sommets, va s’accroître. Ainsi, des dépenses supplémentaires colossales sont prévues en raison du plan de relance de Joe Biden «Build Back Better» et des engagements climatiques pris par le pays. Le Jones Act, par exemple, est explicitement mentionné pour le développement de parcs éoliens en mer. Ce décret présidentiel est donc un signal non seulement pour les électeurs américains, mais aussi pour les partenaires commerciaux étrangers. Il sape la crédibilité de l’administration Biden pour relancer, après l’ère Trump, la coopération avec les pays qui partagent les mêmes idées géopolitiques.

Un «Switzerland first» dans le domaine agricole

Si la Suisse n’évolue pas rapidement en ce qui concerne l’accord institutionnel, la pression sera d’autant plus forte pour renforcer ses relations commerciales hors Europe. Pour y parvenir, la Suisse doit apprendre à faire des concessions, notamment dans le secteur agricole et particulièrement pour des négociations avec les Etats-Unis. Or ce n’est pas le chemin que semble prendre notre Parlement : la protection douanière est progressivement renforcée, l’AP22+ est abandonnée, alors qu’elle aurait pourtant permis de mettre en place des réformes fondamentales de la politique agricole. Cette dernière est polluante, menottée par un fort protectionnisme tout en bénéficiant de généreuses subventions.

A court terme, un protectionnisme accru peut certes plaire aux lobbys nationaux, mais ce n’est pas une stratégie économique durable pour la Suisse ou les Etats-Unis. Nous devons adopter un point de vue objectif et faire avancer la coopération internationale de façon solide. Que ce soit avec l’ONU, l’OMC, l’UE, ou dans le cadre des relations bilatérales.