La nouvelle n’a guère fait de vagues. Le communiqué de presse sur le dernier rapport social statistique de la Suisse déclare sans ambages : «Globalement, les dépenses pour la protection sociale continuent d’augmenter. Elles ont atteint 175 milliards de francs en 2017». Visiblement, ni l’augmentation ni la somme atteinte ne sont préoccupantes.
Mais en 20 ans, les dépenses sociales par habitant, corrigées du pouvoir d’achat, ont augmenté de 56%, passant de 13 300 francs à 20 700 francs. Près de quatre francs sur cinq sont dépensés pour les malades, les personnes âgées et les conjoints survivants. Le franc restant est réparti entre invalidité, chômage, famille et groupes à risque d’exclusion sociale. Cette répartition n’est pas seulement l’expression d’une société vieillissante. Elle reflète également notre conception de la solidarité.
Ainsi, le but de l’assurance-vieillesse n’est pas de protéger contre un événement rare et fatal. Au contraire, la plupart d’entre nous espèrent toucher un jour leur retraite. L’AVS et la prévoyance professionnelle assurent en premier lieu un lissage des flux financiers dans le temps. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les citoyens soient disposés à dépenser de l’argent pour l’assainissement du premier et du deuxième pilier. Rien qu’en 2019, des dépenses supplémentaires de plus de sept milliards de francs par an ont ainsi été prévues. Deux milliards d’entre eux ont été approuvés par le peuple avec la RFFA, les cinq autres sont proposés par les partenaires sociaux pour la réforme de la prévoyance professionnelle et par le Conseil fédéral pour l’AVS. Le moteur de ces dépenses supplémentaires n’est donc pas une solidarité croissante mais bien plus un signe de générosité envers soi-même.
Dans le secteur de la santé, l’idée d’assurance – protection contre un coup du sort rare et coûteux – est plus fermement ancrée. Cependant, moins de 5% des décès surviennent soudainement. Dans 50 à 60% des cas, le décès est précédé d’une maladie grave (par exemple un cancer) de deux à trois ans ; dans 30 à 40% des cas, on doit s’attendre à une démence de huit à dix ans. Tout citoyen connaît un tel cas dans son entourage. Être favorable à des subsides supplémentaires pour l’assurance-maladie est donc également lié à un bénéfice individuel plus ou moins direct. A l’inverse, les mesures d’économies dans le secteur de la santé ont peu de chances d’aboutir, comme l’ont montré le rejet massif de la proposition de loi Managed Care en 2012 ou les récents votes sur les fermetures ou les fusions d’hôpitaux dans les cantons de Neuchâtel, Appenzell, Zurich et Bâle (Ville et Campagne).
Contrairement à la vieillesse et à la maladie, les régimes de sécurité sociale pour l’invalidité, le chômage et le risque d’exclusion sociale visent à soutenir un petit nombre de personnes durement touchées. Sur le plan politique, les réformes dans ces domaines sont plus faciles parce que tout le monde espère secrètement ne jamais devenir handicapé ou chômeur.
Cette réalité politique ne signifie pas qu’il n’y a pas de potentiel d’optimisation. Améliorer le système est nécessaire pour maintenir l’acceptation des prélèvements obligatoires au sein de la population en bonne santé et de la population active. Mais les efforts méticuleux pour économiser de l’argent dans un domaine où l’idée d’assurance a le plus grand impact, d’une part, et la générosité envers soi-même dans la prévoyance vieillesse, d’autre part, donnent à réfléchir. Il faut espérer que les responsables politiques corrigeront ce déséquilibre lorsqu’ils décideront du niveau des «mesures de compensation» dans la réforme des premier et deuxième piliers.