De l’emblématique fondation Beyeler de Bâle au nouveau musée grison des beaux-arts, le recours au partenariat privé-public (PPP) dans les politiques culturelles suisses a le vent en poupe. Le nouveau musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA) vaudois, inauguré en octobre dernier, confirme cette tendance.

Le MCBA constitue le vaisseau amiral du pôle muséal Plateforme10, ainsi nommé pour sa proximité avec les neuf voies de la gare de Lausanne. Le musée accueille déjà dans ses murs les Fondations Vallotton et Toms Pauli et sera bientôt deux autres institutions culturelles – les Musées de l’Elysée et du Mudac – dans cet espace de 25 000 mètres carrés. Forts de ces nouvelles synergies, les acteurs culturels vaudois aspirent non seulement à ériger la Plateforme10 en «quartier des arts» du canton, mais aussi à intégrer leur nouvelle star dans la constellation internationale des grands musées.

Un projet aussi colossal a évidemment un coût à la mesure de ses ambitions. Pour l’ensemble de la Plateforme10, il se chiffre à 180 millions de CHF. Cet investissement conséquent a été en partie rendu possible par l’engagement de privés, à hauteur de 74 millions de CHF (environ 40% du total). Outre les dons, certains mécènes impliqués dans le projet ont également pu mettre à disposition leurs réseaux dans les milieux artistiques internationaux.

Le MCBA a été fondé en 1841 par le peintre et mécène Marc-Louis Arlaud. Après un séjour de 113 ans au Palais de Rumine, il a pris un nouveau départ sur le site des anciennes halles CFF. A terme, le site (ci-contre) comptera pas moins de cinq organisations culturelles. Photo : Matthieu Gafsou

Le PPP : une recette à succès pour une action publique efficace ? Pour répondre à cette question, Avenir Suisse a interviewé Catherine Labouchère, présidente du conseil de la Fondation de soutien de la Plateforme10 et membre de nombreux conseils de fondations culturelles dans le canton de Vaud.

Darius Farman : Pourquoi l’idée d’un PPP a-t-elle été retenue pour le projet Plateforme10 ?

Catherine Labouchère :Pour des raisons de coûts d’abord, puisque nous avions besoin de 34 millions de CHF pour le MCBA. Mais pas seulement. On ne va plus dans un musée comme on y allait avant. Aujourd’hui, les musées remplissent un nouveau rôle de médiateurs culturels. La médiation culturelle consiste en la mise en lien entre des publics, des créateurs, des savoirs et des espaces de culture, où l’expérience muséale de l’utilisateur est mise au centre de la réflexion. Pour la réaliser, il faut mettre en relation de nombreux acteurs au-delà des entités étatiques habituelles.  L’expérience de la Plateforme10 l’a montré : l’accès à la culture pour tous génère beaucoup d’enthousiasme. Des gens ont donné des œuvres pour en faire bénéficier la population. Les arts ont une fonction emblématique évidente : ils sont rassembleurs et agissent comme catalyseur sociétal. En ce sens, le PPP est le processus idéal pour structurer une expérience sociale éminemment participative.

Comment se matérialise concrètement le PPP dans le projet ?

Le projet repose sur deux fondations : la fondation de droit public, qui administre le pôle muséal, et la fondation privée de soutien [nda : présidée par Catherine Labouchère], chargée de la recherche de fonds. Cette dernière a été constituée en 2012, peu avant que le permis de construire soit délivré, avec comme objectif immédiat de soutenir le financement des bâtiments. Dans un second temps, la fondation pourra aussi récolter des fonds pour les expositions des différents musées.

Nous fonctionnons avec des frais de fonctionnement très bas. Nous sommes des passionnés d’art travaillant à titre bénévole pour le projet. Celui-ci est avant tout relationnel, et c’est aussi un plaisir pour nous d’aller à la rencontre de personnes ou d’institutions intéressées par les arts. Pour l’administratif, la secrétaire et moi-même, qui sommes tous deux juristes, donnons de notre temps libre pour la préparation des documents demandés par la loi, comme le rapport d’activités annuel. Au final, la plupart des coûts concernent la compatibilité, pour laquelle nous faisons appel à un fiduciaire.

Cette façon de travailler a un avantage : il est plus facile de convaincre les gens de donner, quand ils savent que nous n’en retirons nous-même aucun bénéfice.

Mme Catherine Labouchère, présidente de la fondation privée de soutien, lors de la cérémonie de la pose de la première pierre du bâtiment le 5 octobre 2018, avec M. Bernard Fibicher, directeur du MCBA, en arrière-plan. Photo : Jean-Bernard Sieber

Quel intérêt pour les privés de participer à un tel PPP ?

La situation diffère vraiment d’un cas à l’autre. En général, on peut distinguer deux types de partenariats. Il y a une première catégorie d’organisations et de personnes passionnées par les arts, qui se sentent concernées par le projet et souhaitent donner pour qu’il se réalise. Une seconde catégorie regroupe les sponsors, pour qui la visibilité est bien sûr une source de motivation importante, a fortiori pour un projet tel que le MCBA, qui bénéficie d’une forte popularité. Certains donateurs ont négocié l’exclusivité en sus, c’est-à-dire être le seul donateur de leur branche. Cela constitue un véritable atout pour de nombreux secteurs où la concurrence est forte, comme l’horlogerie ou la banque. D’autres prestations sont parfois prévues, comme l’accès au bâtiment du MCBA pour des soirées privées.

Y a-t-il des risques liés à cette participation du privé dans la culture ?

Le seul danger des PPP que je vois est le risque d’influence des donateurs sur les programmes. Ce mélange des genres est problématique doit être strictement écarté dès le départ. La Fondation a pris des mesures concrètes pour s’assurer que cette ligne rouge soit respectée dans les faits. Elle s’est ainsi dotée d’une charte éthique pour guider son action. Indépendamment de leur nature, les dons qui ne respectent pas l’indépendance de la gestion et du programme du musée ne sont de toute manière pas acceptés. La traçabilité des fonds est aussi une condition. Enfin, chaque don doit également être avalisé par les autorités cantonales.

Et quel intérêt pour l’Etat ?

Il est double. En premier lieu, l’Etat est confronté à un dilemme : il a tout à gagner d’une politique culturelle ambitieuse qui peut contribuer de manière significative au rayonnement et à la prospérité du canton, en Suisse comme à l’international. Néanmoins, les ressources financières pour un projet à la hauteur de ses ambitions font défaut, ou pèseraient trop lourdement sur le contribuable. Le PPP permet donc de combler cet écart entre le but et les moyens. En second lieu, le PPP permet à la société de manifester son adhésion au projet en le soutenant volontairement ; ce faisant, il accroît la légitimité du projet et garantit son acceptabilité au sein de la population.

Découvrez-en plus sur le sujet dans l’article de Daniel Müller-Jentsch sur les expériences acquises en matière de partenariat public-privé.