Avenir Suisse, comme son nom l’annonce, se préoccupe du futur de notre pays. D’obédience libérale mais non conservatrice, ce «think tank , cette boîte à idées pour le dire en français, fonctionne comme un centre d’étude et de réflexion. Il analyse les structures économiques et les institutions politiques et sociales d’aujourd’hui et propose des réformes pour demain ou après-demain. Le tout dans la perspective d’un amoindrissement de l’Etat et d’une liberté d’action accrue des entreprises comme des individus, en leur qualité de contribuables notamment.
Fortement soutenu par tout un réseau de sociétés industrielles, commerciales et financières, la fondation Avenir Suisse a installé son siège à Zurich et occupe une trentaine de collaborateurs, dont trois dans son bureau de Genève placé sous la direction du très médiatisé Xavier Comtesse.
Avec un budget de plus de cinq millions par an, Avenir Suisse développe une abondante communication, avec un site Internet quotidiennement mis à jour, d’innombrables conférences et interventions publiques et un programme de publications comprenant nombre de périodiques et ouvrages, le plus souvent en allemand. Dernier produit en date, un livre de 336 pages, édité par NZZ Verlag, nous intéresse tout spécialement. Il porte un titre qui sonne comme un slogan: «Mehr Markt far den Service public» et s’accompagne d’un résumé en français d’une trentaine de pages qui veut aussi «davantage de marché pour le service public».
L’auteur principal de cet ouvrage, Urs Meister, considère comme floue la notion même de service public, plus extensive en Suisse romande où il fait l’objet d’un attachement particulier, analogue à celui que l’on observe en France. Cette différence culturelle politiquement significative n’empêche pas Avenir Suisse de traiter toutes les prestations des collectivités et entreprises publiques à la même sauce de la libéralisation systématique et de la soumission au régime de la concurrence. On imagine les mesures à prendre dans cette perspective; elles vont sans surprise de l’augmentation des tarifs aux usagers à la privatisation pure et simple des installations de production et des anciens monopoles, en passant notamment par la généralisation des appels d’offres et la limitation de l’accès aux marchés concurrentiels imposée aux fournisseurs de base.
Toutes les catégories d’infrastructures sont visées: marché de l’électricité, télécommunications, poste, médias électroniques, hôpitaux et, bien sûr, transports publics.
La complexité du secteur et de ses modes de financement n’échappent pas aux chercheurs d’Avenir Suisse mais ne les découragent pas non plus de mettre davantage de marché dans les transports par train, tram, bus ou car. Dans le domaine ferroviaire, ils assurent que des gains de productivité restent réalisables dans le trafic voyageurs et indispensables dans le transport de marchandises, pour faire pièce aux camions des nouvelles générations. Ils estiment que le troisième paquet de directives européennes montre la voie de la concurrence pour les déplacements voyageurs sur longues distances. Ils veulent que les lignes régionales fassent systématiquement l’objet d’appels d’offies, à l’instar de ce qui se fait dans les pays , voisins ou chez nous pour les cars. Quant aux vieux liens entre la construction et la détention des réseaux d’une part et leur exploitation d’autre part, ils doivent être distendus et, à terme, carrément rompus. Selon Avenir Suisse toujours, les CFF, bientôt ultime entreprise intégrée, devraient se soumettre à la conaarence organisée par une autorité totalement indépendante chargée de l’attribution des sillons.
N’en jetez plus, la coupe de la libéralisation est pleine. Ou plutôt se remplira dans les décennies à venir. Car Avenir Suisse se pique de voir loin. Pour l’heure, les penseurs du futur helvétique se contenteraient de deux mesures: une simplification des modes de financement du ferroviaire notamment par la fusion prévue des fonds d’investissements d’une part et, d’autre part, une augmentation de la participation des usagers et/ou des cantons et communes à la couverture des coûts de transport.
Autre exigence doctrinale d’Avenir Suisse à l’égard des infrastructures de transports publics et de services publics en général: qu’elles cessent de servir – à tort- d’instruments de politique régionale d’une part et de politique sociale d’autre part. Pour la première, la péréquation intercantonale devrait suffire à compenser les éventuels désavantages et, pour la deuxième, il y aurait mieux à faire que de subventionner les abonnements généraux en première classe. Il est peut-être juste théoriquement de combattre la confusion des objectifs et des mesures mais il faut voir que dans la pratique les parlementaires demeurent très attachés à tous ces mélanges utiles qui servent au fond des intérêts sectoriels ou particuliers. Avenir Suisse dispose sans doute de beaux cerveaux et d’un large cercle de donateurs mais son influence politique demeure faible, faute de réalisme. Fort heureusement, il lui manque un lobby aux Chambres fédérales pour faire passer les réformes préconisées.
Le service public pourra tenir bon face au marché, à condition bien sûr que l’Etat en fasse autant et ne laisse plus rogner ses compétences.
Cet article est paru dans «contact.sev» du 1 mars 2012.