1. Le polycentrisme lémanique

Ce qui frappe d’emblée dans l’observation de la Métropole lémanique émergente, c’est l’absence de centre vers lequel convergeraient les énergies, les forces économiques, politiques et gouvernementales, la culture, les personnes hautement qualifiées et les infrastructures de transports.

Ce que la réalité des faits montre, c’est tout au contraire un espace polycentrique avec une répartition territoriale des forces dans des villes d’importance diverse mais formant un réseau dense. Ainsi il existe une dizaine de clusters économiques (finance, horlogerie, trading des matières premières, nutrition, micro-mécanique, parfums et arômes, tourisme, biotech, science, organisations de la gouvernance mondiale et sportive), deux villes d’importance: Genève et Lausanne, mais aussi plus d’une dizaine de villes ayant une forte notoriété et un bon réseau comme Montreux, Divonne, Evian, Annecy, Vevey, Yverdon, Nyon, Rolle, Morges et Martigny voire même Neuchâtel et Fribourg (si l’on étend la métropole à ses territoires limitrophes).

2. Une porte sur le monde

Très fortement dépendante de ses relations internationales tant de la finance et de l’économie, de ses organisations internationales de gouvernance, de la science et la culture que de sa population active, la Métropole lémanique est tournée vers l’étranger Son aéroport est sa porte d’entrée au monde et il structure même la région. On pourrait même avancer l’hypothèse que les usagers locaux de l’aéroport sont une forte entité de la région. Par cercles concentriques, les 2,8 millions d’habitants de la sphère d’influence de l’aéroport international de Cointrin définissent ainsi, par leur lieu d’habitation, le territoire. Ainsi clarifiée, la place de la métropole prend tout son sens quant à son influence sur le monde. Dès lors, les stratégies d’avenir de l’aéroport, ses infrastructures et ses destinations sont l’affaire de tous.

3. Une culture du rayonnement

Le Montreux Jazz Festival, le Paléo Festival de Nyon, la Fondation Gianadda de Martigny, l’OSR et le Grand Théâtre à Genève, le théâtre de Vidy, la Maison d’Ailleurs d’Yverdon, l’Usine, le Ballet Béjart, les Festival d’Annecy du cinéma d’animation, Tout Ecran, la Nuit des Bains, le MOMA à Genève et le Musée d’Art Brut à Lausanne, Visions du Réel de Nyon, le NIFF (Neuchâtel International Film Fantastique), la cinémathèque suisse, la BD avec Zep, Chappatte et sa bibliothèque municipale de Lausanne, la Fondation Bodmer, etc. sont autant de lieux de rassemblement de la scène culturelle lémanique. Ce rayonnement collectif attire chaque année plusieurs millions de visiteurs étrangers. Cet éclatement des lieux de plus ou moins grande importance internationale dépasse en proportion sa population locale. La culture lémanique est polycentrique, diverse et compétitive. Ses écoles d’art et de design ont contribué ces dernières décennies à cet essor et commencent à s’installer sur la scène internationale. Mais ce qui manque vraiment à cause de morcellement, c’est la prise de conscience de cette réalité. Un échange d’information et un partage entre la population et les autorités politiques sur cet apport indispensable au rayonnement et à l’attractivité de la métropole est une autre tâche urgente et importante.

4. L’attractivité créative

La science, la technologie, la créativité entrepreneuriale et artistique font de la région lémanique une place particulière enviable. Le CERN, l’EPFL, les universités et HES, l’IMD, le WEF, l’ECAL, l’Ecole hôtelière de Lausanne, l’IHEID… ont leur place dans la compétition internationale de la recherche de l’excellence. En attirant les meilleures chercheurs, professeurs et étudiants, la métrople lémanique est bien positionnée dans les rankings internationaux en termes d’output. Depuis plusieurs décennies, cette position a permis la création d’entreprises innovantes comme Logitech, Nespresso, Swissquote, le Shop, Index Venture, Hublot, Syz & Cie, Temenos, etc. qui ont su conquérir rapidement des marchés importants par leurs capacités créatives. Attirer les meilleurs éléments du monde entier reste un objectif central car les entreprises étrangères et les personnes hautement qualifiées cherchent toujours à rejoindre leur alter ego. L’attractité reste donc un élément clé de la prospérité des métropoles.

5. Les «soft laws» de la gouvernance globale

Bien que les centres de décision de la gouvernance globale restent les capitales des grands pays, il se trouve que Genève et la Métropole lémanique jouent un rôle particulier dans l’élaboration des règles, des normes et des standards qui régulent sûrement les affaires du monde. De cette position privilégiée dans bien de domaines y compris la régulation sportive, la Métropole lémanique doit s’organiser pour en tirer le meilleur parti possible. Ainsi, d’un côté il faut être capable d’offrir aux multiples parties prenantes (Etats, ONGs, Think Tanks, lobbyistes, etc…) la possibilité de s’installer sur place dans des conditions favorables et d’autre part, il faut faire un effort sur la question de la formation, de la recherche et du développement de compétences, éléments qui devraient produire un assemblage unique au monde. Cette différenciation garantirait assurément un meilleur avenir à l’heure où se constituent des rivalités internationales sur l’attraction des organisations internationales de la gestion des affaires globales.

6. Tour du lac

Un élément naturel majeur donne au territoire métropolitain lémanique toute sa splendeur : le lac. Cependant, bien que ses rives soient fortement urbanisées, il est impossible d’en faire le tour en train ou par autoroute car des maillons clés en font défaut. Le CEVA à Genève bien sûr est un bon début pour résoudre en partie la question mais la ligne du Tonkin entre Evian et le Valais fermée au trafic depuis des décennies et l’absence d’autre voie de communication reste un problème de fond. En ce qui concerne les infrastructures autoroutières,  le Sud du lac n’en possède pas et le Nord subit de lourdes saturations quasi-permanentes. Dédoubler le Nord par une autoroute au pied du Jura et une autre au Sud du lac sont à terme des réalisations indispensables de la future mobilité de la métropole. Le lac est aussi un enjeu pour des navettes rapides entre les cités. Penser la région autour de ce « Central Lake » est une vision urbanistique réaliste et forte.

7. Conquérir la nuit

Une métropole vit jour et nuit. L’ensemble des activités économiques, financières, scientifiques ainsi que la vie de sa population s’organisent à toute heure. Ainsi la connexion permanente avec le reste du monde, se fait sur la continuité et le fait de s’arrêter devient un non sens. Conquérir la continuité temporelle est un objectif fort en matière de compétition autorisant la réactivité et la performance. Ainsi, que ce soit les services des transports, de consommation, de restauration, d’hébergement, de lieux culturels ou de travail, il faut désormais penser la métropole comme un flux continu d’informations et de connaissances mais aussi en termes de réaction et d’action. Lorsque l’EPFL a lancé la construction de son « Rolex Learning Center », c’était bien dans l’objectif de conquérir la nuit car le monde éducatif, la recherche et la science est basé sur le principe permanent : on ne s’arrête jamais. La région lémanique doit s’approprier à tous les niveaux ce mode de continuité.

8. Une gouvernance distribuée

Il n’est pas question de créer de nouvelles structures de gouvernance métropolitaine. Au contraire, il s’agit de mieux utiliser les structures existantes que ce soit les cantons suisses et les départements français, les communes, les regroupements de communes, les agglomérations avec des accords de collaboration intercantonale, intercommunale ou transfrontalière  qui sont déjà à l’œuvre aujourd’hui sur les questions aussi importantes que le traitement des eaux, la revitalisation du lac Léman, les projets d’agglomérations, les infrastructures de transports et qui ont pu trouver des solutions dans le cadre de structures politiques exitantes. Il faut donc continuer dans cette voie en augmentant simplement à l’avenir le nombre de projets et de collaborations communs.  Une entité politique comme le « Conseil du Léman » pourrait, en outre, servir de base à une coordination stratégique en incluant des groupes de travail des milieux économiques, internationaux, culturels et universitaires.  Ainsi, un niveau stratégique des forces largement distribuées et un niveau opérationnel basé sur les structures politiques existantes, permettraient de faire avancer la métropole sur une vision commune et accélérer des projets spécifiques tout en respectant les fondements démocratiques du paysage politique polycentrique et diversifié.

Pour en savoir plus sur cette thématique, veuillez consulter le livre: «Gouvernance à géométrie variable» de Xavier Comtesse.