Il est évident que la politique fiscale influe sur la croissance. A cet égard, un raisonnement novateur tiré de la théorie fiscale mérite d’être mieux connu. Il porte le nom de ses auteurs : le théorème de Chamley et Judd. Il affirme que dans une économie nationale, dans laquelle les consommateurs actuels se soucient du bien-être de leurs descendants, le taux idéal frappant les revenus du capital serait de zéro. Le théorème montre que le revenu disponible des salariés ne peut augmenter de manière durable lorsqu’on taxe les revenus du capital.

Un résultat d’une telle portée mérite quelques informations de fond. Depuis toujours, les économistes se demandent s’il est préférable d’imposer les salaires ou le capital. Vu que le capital n’est rien d’autre qu’une part épargnée du revenu – donc constitué d’argent précédemment taxé –, des économistes classiques étaient déjà en faveur d’une exonération fiscale des revenus du capital. Selon l’un d’entre eux, John Stuart Mill (1806 – 1873), la double imposition du revenu du capital avantagerait la consommation actuelle (et l’endettement) au détriment de l’épargne. Ceci serait non seulement malvenu, mais injuste. Toutefois, l’alternative – l’imposition des salaires – crée aussi des distorsions : elle affaiblit notamment l’attrait de l’exercice d’une activité professionnelle. Parmi ces deux distorsions – l’imposition des capitaux qui entrave l’épargne ou celle des salaires qui entrave l’emploi –, laquelle est la plus préjudiciable à long terme d’un point de vue économique ?

C’est ici qu’interviennent les travaux, publiés séparément en 1985, de Christophe Chamley et de Kenneth Judd. L’idée de base du théorème de Chamley-Judd est assez simple : l’imposition des revenus du capital diminue l’attrait de l’accumulation du capital, donc de l’épargne et de l’investissement dans les machines ou les nouvelles technologies. Les salariés devraient aussi y être opposés, car un stock de capital plus élevé (plus de machines) améliore la productivité, ce qui constitue, au final, la vraie source des augmentations de salaire. En raison du stock de capital trop bas, les revenus du capital sont également plus faibles, donc on réinvestit moins. L’effet des intérêts composés est supprimé : en clair, l’imposition du capital freine l’effet «boule de neige» de la croissance. Tel n’est pas le cas pour un impôt sur les salaires, qui ne provoque que des effets négatifs statiques sous la forme d’une réduction de l’offre de travail. Chamley et Judd supposent aussi que les consommateurs d’aujourd’hui ne se soucient pas seulement de leur propre prospérité, mais de celle de leurs descendants. C’est pourquoi toute forme d’imposition des revenus du capital doit être rejetée, ce qui serait notamment le cas pour l’impôt sur les successions. En fin de compte, le théorème suggère que la diminution constamment déplorée des taux d’imposition des entreprises ne constitue absolument pas une catastrophe en matière de politique de répartition. Il relativise également l’argument souvent avancé selon lequel il serait pertinent d’un point de vue économique de taxer de la même manière les salaires et les revenus du capital. Au fond, le message fondamental de ce théorème est que les entrepreneurs et les salariés sont dans le même bateau.