Cette rentrée, plus de 80 000 étudiants sont attendus dans les universités et hautes écoles genevoises et vaudoises. L’attractivité de ce pôle universitaire, récemment mise en lumière par Avenir Suisse dans sa publication sur le dynamisme unique de l’Arc lémanique, est confirmée par son degré élevé d’internationalisation : de nombreux étudiants étrangers, bien sûr, mais aussi beaucoup d’étudiants en échange.

Si ces étudiants «Erasmus» (formellement «SEMP» depuis l’exclusion de la Suisse du programme Erasmus+ en 2014) sont connus comme le loup blanc, ce n’est pas le cas des jeunes en formation professionnelle. Phénomène encore minoritaire, les échanges dans la formation professionnelle ont pourtant connu une croissance fulgurante ces dernières années. Leur nombre a ainsi plus que triplé, passant de 428 en 2014 à 1397 en 2018. Selon les projections de Movetia, l’agence nationale en charge de la mobilité, ce nombre va encore doubler ces prochaines années, avec plus de 3000 échanges attendus à l’horizon 2024. A ce jour, la destination préférée est de loin le Royaume-Uni, avec plus de la moitié des échanges effectués outre-Manche. L’Allemagne vient en deuxième place avec un quart des échanges. La France, l’Autriche et les pays scandinaves complètent le classement.

Encore peu connus en comparaison des «Erasmus» pour les étudiants, les programmes de mobilité pour les apprentis rencontrent de plus en plus de succès. Vance Osterhout, unsplash

Une petite histoire de la mobilité dans la formation professionnelle

En Suisse, les premiers échanges institutionnalisés dans la formation professionnelle remontent à 2011, lorsque la Confédération a pleinement intégré les programmes d’échange de l’Union européenne. Après son exclusion en 2014, la Suisse a maintenu ces programmes en assurant leur gestion au niveau national. En 2018, près de 6,5 millions de francs ont été alloués à la mobilité dans la formation professionnelle.

Dans l’Union européenne, le programme de soutien à la formation professionnelle, baptisé Leonardo da Vinci, avait déjà été lancé en 1995 sans jamais acquérir la même notoriété que son cousin Erasmus. En 2014, les deux programmes ont été fusionnés sous le nom d’Erasmus+. Selon les statistiques de la Commission européenne, celui-ci alloue environ 400 millions d’euros par an au secteur de la formation professionnelle, permettant à environ 130 000 apprentis de bénéficier chaque année de ses offres de mobilité.

Les vertus de l’échange

Cette demande accrue pour des programmes d’échanges est indubitablement dans l’air du temps. Tendance, la mobilité est célébrée pour ses nombreuses vertus, comme l’apprentissage des langues et le renforcement des compétences sociales et interculturelles (les fameuses «soft skills»). Dans le jargon économique, elle génère ce qu’on appelle une «externalité positive», soit des gains pour l’ensemble de la société au-delà des coûts et bénéfices initiaux liés à la mobilité d’un individu, par exemple en termes d’innovation (par l’aperçu de nouveaux savoir-faire), de vivre-ensemble (maturité, tolérance) ou de capacités d’adaptation. Selon Christophe Bettin, chef du domaine Formation professionnelle chez Movetia, compter un stage à l’étranger ou dans une autre région linguistique sur son CV peut faire toute la différence pour un jeune professionnel en recherche d’emploi.

Favoriser les échanges sans pénaliser les employeurs

Pourtant, la mobilité ne va pas toujours de soi en-dehors du monde académique. Contrairement à la majorité des cursus universitaires, les échanges ne sont pas offerts de manière systématique dans la formation professionnelle. Les chiffres s’en ressentent : alors que 16% des étudiants effectuent un échange, ils sont moins de 5% dans la formation professionnelle initiale. Contrairement à la mobilité des étudiants, celle des apprentis doit notamment concilier les intérêts de plusieurs interlocuteurs : l’école professionnelle et l’employeur. Pour l’école professionnelle, la question du suivi scolaire se pose. Pour l’employeur, se séparer temporairement de son apprenti peut être problématique en termes de ressources humaines et de gestion d’entreprise. C’est pourquoi seulement un tiers des échanges sont effectués durant l’apprentissage, contre deux tiers à la fin de la formation. Des outils sont néanmoins développés pour faciliter la mobilité durant l’apprentissage, comme la formation en ligne («e-learning»), les interruptions de contrat (par exemple entre la deuxième et la troisième année d’apprentissage) ou un système de facilitation administrative pour les petites entreprises. Hors apprentissage, certains cursus se prêtent plus facilement à un programme de mobilité. C’est notamment le cas des maturités professionnelles commerciales, qui consistent en trois ans de formation suivis d’une année de stage, cette dernière pouvant aussi être effectuée à l’étranger.

Vers une normalisation de la mobilité ?

La croissance impressionnante des programmes de mobilité en formation professionnelle masque cependant un succès inégal en fonction des branches ou régions. Les échanges sont ainsi plus fréquents dans les régions urbaines, où les écoles professionnelles adoptent des stratégies d’internationalisation, que dans les régions rurales. La mobilité est également plus élevée dans certains secteurs d’activité, notamment l’administration (les apprentis employés de commerce), l’informatique, l’industrie de la machinerie, le design et le tourisme (hôtellerie et gastronomie). D’après Movetia, d’autres branches ont un potentiel prometteur, par exemple l’industrie du textile (CFC de couturier) ou la santé.

Le développement de la mobilité dépendra de l’engagement des parties prenantes dans cette voie. Un exemple de bonne pratique est le programme de mobilité lancé par l’association faîtière de la machinerie Swissmem. Baptisé movMem, celui-ci propose un échange de deux ou trois semaines combinant école de langues et stage pratique aux apprentis de la branche durant les vacances estivales. Les cantons peuvent aussi promouvoir la mobilité, à l’instar du Tessin, qui en a fait une priorité politique claire et établi à cette fin un organe de coordination en contact avec toutes les écoles professionnelles du canton. Une stratégie gagnante, puisque le canton arrive premier en nombre d’échanges, avec plus de 120 personnes en mobilité par an.

Ces exemples soulignent l’importance de bonnes conditions-cadre pour la promotion de la mobilité. Développées par les associations professionnelles ou les autorités cantonales, elles ont d’autant plus de chances d’être adaptées aux besoins locaux et de connaître un succès important auprès des jeunes, toujours plus demandeurs de mobilité.

Cet article fait partie de notre série d’été romande «Clapotis au bord du Léman» autour de notre publication «Le dynamisme unique de l’Arc lémanique».