Bien que la plupart des économistes ne contestent pas le fait que le commerce international accroît la prospérité de toutes les économies concernées, le principe de libre-échange subit une pression politique, et ce pas seulement depuis l’élection de Donald Trump. Bien que personne ne souhaite mettre un frein complet au commerce international, le terme de «commerce équitable» peut vite être utilisé pour restreindre ici et là certains flux transfrontaliers de biens et de services. Cependant, ce que signifie cette notion d’«équité» est en proie à une grande marge d’interprétation.

Les Etats-Unis accusent

On entend très souvent dire que le commerce équitable ne devrait pas exister dans les domaines qui connaissent des excédents commerciaux ou de services. Par exemple, de nombreux politiciens américains considèrent que les Etats-Unis sont désavantagés parce que le pays importe beaucoup plus de marchandises qu’il n’en exporte. La différence est particulièrement frappante par rapport à la Chine, ce qui a déjà conduit les Etats-Unis à prendre des «contre-mesures». En Europe, l’Allemagne est souvent sous le feu des critiques en raison de son excédent d’exportation qui a augmenté ces dernières années – en particulier vis-à-vis des autres pays de la zone euro. Depuis des années, on demande à l’Allemagne d’augmenter ses coûts pour être moins compétitive (sic!). Certains attendraient même de l’Allemagne qu’elle actionne les leviers politiques pour stimuler plus d’inflation, bien qu’elle ne dispose pas réellement de l’instrument nécessaire pour mener une politique monétaire autonome.

Cette manière de penser n’est pas nouvelle. La théorie économique du mercantilisme – développée au XVIe siècle – se fondait déjà sur le principe selon lequel seul un excédent de la balance courante pouvait conduire à la prospérité. Par conséquent, les importations devaient être soumises à des droits de douane et le secteur de l’exportation devait être soutenu. A l’époque de l’absolutisme, la France menait par exemple une telle politique économique. On pourrait alors qualifier les partisans actuels de ce principe de «néo-mercantilistes».

Le malentendu commence par la terminologie

Une majorité de la population suisse conviendra probablement qu’un excédent de la balance courante est plus positif qu’un déficit. Cela n’est pas surprenant, car le terme «excédent» est clairement connoté de manière positive dans le langage courant – celui de «déficit» négativement. Les élèves l’apprennent déjà à l’école : Il faut éviter les déficits. Ce qui vaut pour les affaires privées et, dans la plupart des cas, pour le budget de l’Etat, n’a cependant absolument aucun sens pour le commerce extérieur.

En termes économiques, un déficit ne doit pas être considéré comme fondamentalement négatif, tout comme un excédent n’est pas fondamentalement positif. Ces termes décrivent simplement les flux actuels de commerce et de capitaux entre deux économies. Par exemple, un excédent dans la balance courante se traduit par un déficit dans la balance des capitaux. Les pays ayant un excédent d’exportations doivent le «financer» par une sortie de capitaux (cet excédent peut éventuellement aussi être financé par la banque centrale concernée, comme cela a été le cas en Suisse ces dernières années). En outre, importer plus qu’on exporte n’est pas forcément un blasphème. Au contraire, du point de vue du consommateur, c’est même plutôt avantageux car cela permet de consommer plus de biens et de services qu’il ne faut en produire.

Raisons justifiant les excédents et les déficits à long terme

Des critiques se font entendre sur le montant, mais aussi la récurrence d’excédents ou de déficits de la balance courante dans diverses économies. Il est clair que la balance commerciale d’un pays doit être équilibrée à très long terme. Cependant, on craint de brusques corrections comme l’éclatement de bulles d’investissement. Ainsi, l’«instinct grégaire», qui se manifeste par un retrait massif et rapide des liquidités peut même plonger un «pays déficitaire» touché par un tel phénomène dans une crise monétaire et économique. Il est certes vrai que la dévaluation de la monnaie consécutive à une telle course aux guichets forcerait un rééquilibrage de la balance des paiements, mais au prix d’énormes distorsions et de restructurations. Dans ce cas, des institutions telles que le Fonds monétaire international (FMI) ont pour mission essentielle de soutenir l’économie touchée en luttant contre la crise de la balance courante.

En dehors de telles crises de confiance, qui se produisent généralement dans les économies émergentes, les déséquilibres à long terme dans la balance courante d’une économie sont tout à fait compréhensibles d’un point de vue économique et ne causent pas de problèmes dans la plupart des cas – ils peuvent même être souhaitables. Dans les pays critiqués pour leurs excédents, comme l’Allemagne, la Chine ou même la Suisse, des changements démographiques majeurs sont imminents. Avec le départ à la retraite de la génération des baby-boomers, relativement moins de personnes devront répondre à la demande de biens et de services de l’ensemble de la population. Etant donné qu’il sera presque impossible de faire face à cette demande sans une croissance énorme de la productivité, il est rationnel pour les opérateurs économiques de consommer moins actuellement et de réaliser des excédents d’exportations (bien que cet effet ne soit pas dominant pour tous les pays ayant une population vieillissante). Plus tard, l’argent ainsi économisé sera consommé pour couvrir la demande de la population âgée par des importations.

D’autre part, il peut être économiquement rationnel pour les économies ayant un niveau élevé d’immigration et une perspective d’augmentation de la productivité (par exemple les Etats-Unis), d’importer davantage aujourd’hui et de compenser plus tard cette «surconsommation» par des excédents d’exportations. La balance des opérations courantes s’équilibre donc à long terme.

A y regarder de plus près, les «déséquilibres» du commerce mondial tant décriés sont tout à fait concevables. Des interventions protectionnistes seraient contre-productives et entraîneraient une diminution des échanges commerciaux et donc une perte de prospérité. Beaucoup de choses laissent à penser que les flux commerciaux s’équilibreront à long terme et que les pays ayant actuellement un excédent de la balance courante seront déficitaires à l’avenir. Il est important de garder la tête froide en matière de politique économique. Il en va de même pour la Suisse, qui fait preuve d’une aversion au déficit.