Une réflexion purement économique sur Pâques conclurait que le travail devrait se poursuivre durant les jours fériés. Mais même les économistes les plus aguerris ne sont pas rabat-joie au point de renoncer à quelques jours de repos. Le lapin de Pâques a donc encore de beaux jours devant lui.
Pâques, c’est le stress. Pas seulement sur les routes, mais aussi dans les étables : tandis que la poule et la vache sont sous pression pour produire tous les œufs et la matière première nécessaire pour le beurre et le chocolat, l’agneau craint pour sa vie et le lapin de Pâques doit terminer sa tournée dans les temps. Or, comme l’écrivait Jean de La Fontaine, «Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.»
La production suisse de chocolat est en plein essor. Au cours de la dernière décennie, les exportations ont augmenté de 30% et atteignent près de 132 000 tonnes. Etant donné les délais d’approvisionnement dans le commerce de détail, il est clairement possible d’exporter beaucoup plus durant le deuxième semestre que pendant le premier ; Noël et Pâques, s’avèrent en effet être des moteurs de vente importants. De nouvelles quantités record ont également été atteintes pour les œufs : l’année dernière, près d’un milliard d’œufs ont été pondus et la consommation par habitant est montée à 181 œufs, dont beaucoup ont probablement été mangés durant les fêtes pascales. Somme toute, Pâques ne rimerait-elle pas simplement avec paix, joie et chasse aux œufs ?
Si seulement la situation n’avait pas à être examinée à travers le prisme économique ! Certains économistes jubilent de ces chiffres, ménageant tout au plus une pensée à une optimisation plus poussée des processus, à la mutualisation des achats et à la gestion au plus juste («lean manufacturing»). D’autres en revanche observent les relations macroéconomiques, se penchent sur les tableaux statistiques et se demandent avec perplexité : pouvons-nous réellement nous permettre Pâques ?
Tout d’abord, il y a les jours fériés : le Vendredi saint est non travaillé dans la plupart des cantons, le lundi de Pâques tombe dans presque toute la Suisse. Ce temps supplémentaire accordé aux loisirs se traduit par une baisse de la valeur ajoutée : deux jours d’inactivité réduisent le produit intérieur brut d’environ 4 milliards de francs.
Ensuite, comment ce temps libre est-il employé ? Beaucoup le passent aux mêmes destinations, avec les conséquences logiques que l’on connaît sur le trafic. Les embouteillages de Pâques sont traditionnellement les plus longs. D’un point de vue économique, c’est à Pâques que les coûts liés aux bouchons sont les plus élevés. Il ne faut pas seulement compter les ressources en temps, mais aussi les coûts environnementaux et ceux liés aux accidents, ainsi que les dépenses supplémentaires en carburant. Le TCS pronostique une densité du trafic élevée à très élevée sur ces six jours consécutifs, la congestion pendant cette période étant plus que doublée par rapport à un jour de semaine moyen. Sur la base des coûts annuels de congestion calculés par l’Office fédéral du développement territorial (ARE), les «pertes» économiques causées par Pâques peuvent être estimées à environ 65 millions de francs.
Pâques est également coûteux sur le plan alimentaire. Il ne s’agit pas ici de traiter des dépenses ménagères individuelles, mais de se pencher sur les subventions accordées à la politique agricole suisse, qui sont reprises dans la comptabilité fédérale en tant que prestations de transfert. A elles seules, les mesures de marketing et de communication pour l’encouragement à la consommation du lait, du beurre et des œufs coûtent environ 10 millions de francs chaque année aux contribuables. On est en droit d’apprécier les illustrations mettant en valeur une agriculture saine, il n’en reste pas moins que les affiches en question sont payées par chacun de nous et ne reflètent que marginalement la réalité de l’essentiel de notre production alimentaire, aujourd’hui fortement industrialisée.
Les campagnes de promotion de ce secteur sont de plus financées par d’autres subventions de la Confédération. Ainsi, les contribuables soutiennent à hauteur de 2,6 millions de francs par an la promotion de «prestations de service public» dans l’agriculture suisse. S’il est incontesté, économiquement parlant, que de telles prestations sont fournies par les paysans, il convient de se demander si les campagnes à ce sujet doivent également être subventionnées par de l’argent public. Logiquement, il faudrait également thématiser les coûts environnementaux. Dans une étude – qui n’a pas, elle, été financée par de l’argent public – Avenir Suisse estime ces coûts à 7,3 milliards de francs.
En particulier en ce qui concerne le produit phare de la Suisse, le chocolat, des problèmes se posent à l’exportation. La loi chocolatière – qui a créé un système de compensation des prix pour les produits agricoles transformés (prix à l’importation plus élevé, prix à l’exportation plus bas) – doit être abolie, conformément aux directives de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Grâce à des tours de passe-passe juridiques, la révision de cette loi semble être compatible avec le droit de l’OMC ; il n’empêche qu’elle représentera probablement une charge fiscale d’environ 10 millions de francs par an.
Ces exemples pourraient nous encourager à travailler durant les jours fériés, ne serait-ce que pour lutter contre les excès de la politique agricole. Mais même les économistes ne jouent pas les trouble-fêtes à ce point – bien qu’ils disposent des calculs pour le faire. Pour reprendre les mots de Luther : «Wer den «stillen Freitag» und den Ostertag nicht hat, der hat keinen guten Tag im Jahr.» (Qui n’a pas de «vendredi de recueillement» et de jour de Pâques n’a pas une bonne journée dans l’année).L’esprit et le corps ont besoin de temps de récupération. Celui qui ne souhaite pas partir peut toujours s’assoir sur un banc de gare, contempler les affiches des producteurs de lait, de beurre et d’œufs et laisser vagabonder ses pensées. En ce sens : Carpe Diem !