Depuis que la BNS a décidé, le 15 janvier dernier, d’abandonner le cours plancher face à l’euro, les partis suisses sont sens dessus-dessous. «Il est midi moins cinq», écrivait le PLR dans son programme économique adopté fin janvier. Les prises de position des partis concernant la politique économique ont été présentées en coup de vent. Rares sont les nouvelles propositions, elles sont simplement tournées différemment. Elles sont aussi partiellement absurdes, comme celle demandant un taux plancher de 1,15 ou voulant faire passer une application stricte de l’initiative «contre l’immigration de masse» comme un programme de réduction des coûts. Les débats urgents lancés par la quasi totalité des partis à l’occasion de la session de printemps n’ont guère apporté de nouveautés, selon la plupart des observateurs.
Ces débats agités ne peuvent pas dissimuler le fait que pour la plupart les propositions ne font que lister des mesures figurant à court terme à l’ordre du jour et ne forment en rien un concept global cohérent. Dans la politique suisse, il semble que la politique a depuis longtemps perdu la capacité d’effectuer une analyse sociétale claire et d’avoir à l’esprit une vision pour la Suisse du futur. La force actuelle du franc ne serait-elle pas une bonne occasion pour entreprendre ce travail intellectuel?
Plus de cœur à l’ouvrage
Rappelons-nous des défis semblables auxquels la Suisse devait faire face en 1995. Une faible croissance persistante menaçait et la prudente et complaisante Suisse ne semblait pas véritablement avoir la volonté de se réformer en profondeur. La réponse qui a alors émané des cercles économiques sous le titre de «Ayons le courage d’un nouveau départ», plus connu sous le nom de Livre blanc, a fait fureur. Elle a aussi été violemment combattue. Cependant, de nombreuses revendications y figurant ont ensuite été appliquées. Qu’est-ce qui constitue l’attrait pour ce livre, en plus du profil inhabituel de ses auteurs? Aujourd’hui encore, l’atmosphère de renouveau qui émane de ce texte est impressionnante. Les changements structurels rapides de l’économie mondiale y sont présentés comme «une chance unique» et comme une «ère nouvelle», le texte nous prévenant de la «tentation du cloisonnement». Le contexte d’alors nous paraît semblable à celui que l’on connaît aujourd’hui: «Nous vivons dans une période d’incertitudes due à l’offensive généralisée des nouvelles technologies et à l’interpénétration mondiale de la production et de l’offre qui en résulte. Les distances s’estompent rapidement; des économies et des sociétés géographiquement éloignées les unes des autres se retrouvent «au coude à coude» et directement concurrentes (…). Le présent ouvrage souhaite sensibiliser le public à l’influence qu’ont ces bouleversements sur nos conditions de vie d’une part, et à la chance qu’ils représentent pour notre avenir d’autre part.»
Au regard de l’esprit politique de la période actuelle, l’appel d’alors à plus d’ouverture est particulièrement surprenant. Ainsi les auteurs appellent à l’attribution automatique d’autorisations de travail pour les personnes hautement qualifiées après soumission d’un contrat de travail. En outre, un accord devrait être établi avec l’UE et des pays comparables pour la libre circulation totale. De plus, nous lisons ceci concernant les relations avec l’UE: «La Suisse devrait dès lors développer une politique européenne qui vise à dépasser le stade du bilatéralisme, à long terme du moins, pour revenir au multilatéralisme. Certes, il faut soigneusement peser le pour et le contre d’un rapprochement avec l’UE, tant sur le plan politique que du point de vue économique, et c’est à chacun de nous qu’il appartient en fin de compte de déterminer pour lui-même si l’actif ou le passif l’emporte. Mais en résumé, force est d’admettre que la Suisse doit développer une stratégie portant sur l’aménagement à long terme de ses relations avec l’Europe.»
De telles approches courageuses à l’époque contrastent nettement avec celles qu’ont proposé les partis depuis le 15 janvier. La Suisse semble donc emprisonnées dans un blocage psychologique, et les positionnements des partis en matière de politique économique sont devenus volatiles, presque subordonnés à des événements isolés. C’est justement en année électorale que les partis politiques peuvent retrouver le rôle qu’on attendrait d’eux. Le but ne doit pas être de créer la panique ou l’agitation à court terme, mais de proposer une politique concrète, durable, avant tout tournée vers le futur. Les partis doivent avoir le courage d’aborder la signification profonde des thèmes, et ne pas se contenter de les traiter dans l’urgence de l’omniprésence médiatique. Avant tout, une politique économique libérale doit incarner une foi dans le progrès, car le libéralisme est une philosophie essentiellement optimiste: il ne craint pas l’avenir, mais cherche les chances qu’il offre. Les entreprises et associations économiques devraient aussi agir en ce sens, particulièrement depuis l’abandon du taux plancher.
Premiers signes positifs
Malgré tout, des lueurs d’espoir sont apparues depuis peu: les trois grands partis bourgeois ont mis leurs efforts en commun pour présenter 13 revendications et ont annoncé vouloir poursuivre cette collaboration dans la mise en œuvre parlementaire de ces propositions. Et une nouvelle association d’entrepreneurs et de politiciens vise à renforcer l’ouverture traditionnelle de la Suisse, en engageant notamment des moyens financiers pour ce faire. Il faut poursuivre sur ce chemin. Nous avons d’abord besoin de propositions de politique économique orientées vers le moyen terme. Les exigences orientées vers le court terme à l’égard de la BNS indépendante ne font pas partie de celles-ci. Deuxièmement, la globalisation ouvre des opportunités, et tout ce qui peut améliorer nos chances sur les marchés internationaux est à mettre en œuvre. Enfin, la Suisse retrouvera la voie du succès quand la politique et l’économie se remettront à collaborer de façon plus constructive.