«Avec l’arrivée des robots, beaucoup perdront leur emploi – a fortiori ceux d’entre nous âgés de 50 ans ou plus.» C’est, en somme, le récit de tous ceux qui considèrent la numérisation et l’automatisation comme des menaces pour l’humanité. Cependant, il est fort probable que les oiseaux de mauvais augure comme Yuval Harari ou les syndicalistes réclamant une protection préventive spéciale contre le licenciement des travailleurs âgés aient tout faux. Les robots ne chasseront pas les travailleurs âgés de leur emploi. Au contraire, ils combleront le vide que le vieillissement de la population va bientôt laisser sur le marché du travail.

Relation entre le vieillissement et les robots

Car le progrès technique ne consiste pas en une série de «moments eurêka». L’innovation est une entreprise collective qui est formée par les forces économiques. Ainsi, quand à partir de 2025 les dix cohortes les plus nombreuses – les fameux baby-boomers – auront atteint l’âge de la retraite, les employeurs suisses devront trouver une nouvelle solution. La robotisation et l’automatisation y aideront.

La numérisation au travail va main dans la main avec le changement démographique. (Eddie Kopp, unsplash)

Comme l’ont récemment démontré les économistes Daron Acemoglu et Pascual Restrepo, il existe déjà une corrélation claire entre le vieillissement de la population et l’utilisation de robots industriels. La Corée du Sud et l’Allemagne, par exemple, deux pays dont la population vieillit rapidement, ont la plus forte densité de robots au monde. Certes, les robots industriels ne sont qu’un des nombreux aspects de la numérisation, et même pas le plus important, mais comme il existe des données fiables sur leur utilisation, des conclusions plus précises peuvent être tirées. Acemoglu et Restrepo croient qu’un modèle similaire est probable pour d’autres dimensions du changement technologique, comme l’intelligence artificielle. Ce secteur sera également stimulé par la prochaine vague de retraités.

Dans le même temps, les employés plus âgés resteront une main-d’œuvre précieuse, même s’ils ne maîtrisent pas toujours le langage de programmation le plus récent et ne trouvent parfois pas nécessaire d’acquérir de nouvelles connaissances. En effet, ceux qui travaillent depuis longtemps dans la même entreprise ont l’avantage de la spécialisation : des connaissances et une expérience spécifique à l’entreprise, qui assurent une productivité plus élevée et ne sont pas facilement remplaçables par des machines. C’est aujourd’hui un atout de taille, car le capital organisationnel – la connaissance de qui fait quoi et où dans l’entreprise – est devenu plus important dans les entreprises modernes, qui opèrent de plus en plus à l’international. C’est une autre raison pour laquelle les employés plus âgés gagnent des salaires plus élevés que les nouveaux arrivants. Bien que ces derniers soient plus faciles à façonner, ils n’ont que des connaissances génériques.

Les risques de la spécialisation

Certes, trop de spécialisation comporte aussi des risques, qui sont particulièrement visibles lorsque la richesse de l’expérience spécifique à l’entreprise n’est soudainement plus demandée. Pour d’autres employeurs, cette expérience est peu utile. C’est une autre raison pour laquelle cette spécialisation est compensée financièrement par les firmes, quasi comme une surcharge de risque. Et parce que la plupart des entreprises se préoccupent de leur réputation en tant qu’employeurs – elles veulent conserver de bons employés à long terme –, il arrive rarement qu’elles licencient des employés plus âgés pour embaucher des jeunes.

La forte augmentation du taux d’emploi des travailleurs âgés dans le monde entier montre qu’il ne s’agit pas seulement d’une jolie théorie. Alors que les médias donnent souvent l’impression qu’il leur serait particulièrement difficile de rester intégrés sur le marché du travail, les données livrent un constat différent. En Suisse, la participation des 60-64 ans est passée de 64% en 1996 à 75%. Au Japon, elle atteint près de 80%. Même dans des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, qui, jusqu’au milieu des années 1990 envoyaient deux tiers de leurs sexagénaires à la retraite anticipée, le vent a tourné : Dans ces deux pays, le taux d’emploi des 60-64 ans est maintenant supérieur à 60%. En outre, la participation au marché du travail au-delà de l’âge de la retraite a augmenté dans de nombreux endroits. En Suisse, ce pourcentage est de 13%, soit un tiers de plus qu’en 2005.

Tous ces chiffres montrent une chose : la crainte d’une «robocalypse» sur le marché du travail est très exagérée. Ce n’est pas la fin du travail qui nous attend, mais plutôt la grande pénurie de main-d’œuvre.

Cet article est paru le 14 avril 2019 dans la «NZZ am Sonntag». Sur le thème de la numérisation, (re)découvrez également notre publication «Quand les robots arriventPréparer le marché du travail à la numérisation».