Le capital est déjà lourdement taxé en Suisse

Après une introduction de M. Jacques Jeannerat, directeur général de la CCIG, Marco Salvi, directeur de recherche à Avenir Suisse a rappelé dans sa présentation (disponible en pdf), les principaux enjeux de la Réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) puis exposé toutes les formes d’impôt – sur la fortune, sur le revenu, sur le bénéfice, les droits de timbre, etc. – qui pèsent sur le capital en Suisse.

Contrairement à certaines idées reçues, l’imposition du capital est lourde en Suisse. Et particulièrement, le taux marginal d’imposition du capital qui s’élève actuellement à 57% dans notre pays. En d’autres termes : sur chaque franc de capital nouveau généré, 57 centimes vont aux impôts – payés par la société (imposition du bénéfice) ou par l’investisseur (imposition du rendement du capital, par ex. dividendes, et de la fortune personnelle). Ce taux serait même monté à près de 73% en cas d’acceptation de l’initiative populaire fédérale sur les successions (rejetée en votation en 2015) et du maintien du projet du Conseil fédéral de création d’un impôt sur les gains en capital dans le cadre de la RIE III (projet suspendu). Le pire semble avoir été évité, mais la charge fiscale reste lourde, surtout dans un contexte de taux d’intérêts quasi nuls et de rendements bas sur le capital.

L’impôt sur la fortune a toujours été lié à la guerre

Me. Xavier Oberson, avocat et professeur de droit fiscal à l’Université de Genève, s’est ensuite concentré sur l’imposition de la fortune dans sa présentation (disponible en pdf). De manière générale, la taxation de la fortune semble toujours avoir été liée à la guerre au cours de l’histoire. La taxation du butin ou des richesses conquises semble avoir été plus simple que la détermination d’un revenu imposable. En Suisse, l’imposition de la fortune a précédé celle du revenu dans les cantons, et cet impôt était déjà leur principale source de revenu à l’époque de la République helvétique (1798-1803). Les cantons sont restés très attachés à l’imposition de la fortune, qui est de leur compétence exclusive (la Confédération n’a pas la compétence fiscale de taxer la fortune).

Les orateurs du séminaire, de gauche à droite : Me. Xavier Oberson, Marco Salvi, Gilles Desplanches, Claude Devillard, Jacques Jeannerat, Jan Langlo, Tibère Adler (© Lumière Noire)

L’entrepreneur-propriétaire paie parfois plus d’impôts que le rendement de son capital

Le professeur a ensuite énuméré les principales différences fiscales entre les sociétés de personnes (indissolublement liées à la personne physique de l’entrepreneur) et les sociétés de capitaux (dissociation juridique entre l’entrepreneur et son entreprise). Un cas pratique sur un entrepreneur propriétaire d’une S.A. a démontré à nouveau la lourdeur de la charge fiscale totale subie par un entrepreneur actif dans l’entreprise dont il est lui-même propriétaire. Pour une S.A. réalisant CHF 200’000 de bénéfice durant 2 ans et pour laquelle il reçoit un dividende de CHF 80’000, le propriétaire/entrepreneur peut être appelé à payer plus de CHF 90’000 en impôts (bénéfice de la société, imposition des dividendes, imposition de la fortune personnelle). L’ampleur des impôts payés dépasse donc le rendement du capital (dividende).

La Suisse est l’un des derniers pays du monde à imposer la fortune

Enfin, Me. Oberson a rappelé le caractère bientôt insolite du maintien de l’imposition de la fortune en Suisse. De très nombreux pays ont abrogé cette forme d’imposition dans les vingt dernières années. En 2015, seuls quatre pays de l’OCDE (sur 34 au total) perçoivent encore un impôt sur la fortune : la Suisse, la Norvège, l’Espagne et la France. Toutefois, la France exonère l’«outil de travail» (soit la fortune investie dans une entreprise dans laquelle le propriétaire est lui-même actif comme entrepreneur). Cette solution est plus favorable aux entrepreneurs que le système fiscal suisse actuel, et le Suisse pourrait s’inspirer de son voisin français sur ce point particulier.

La concurrence fiscale internationale pèse sur la Suisse

Jan Langlo, directeur de l’Association des Banques Privées Suisses (ABPS), a ensuite rappelé le climat de concurrence internationale exacerbée touchant aussi la Suisse. De nombreux pays veulent être attractifs pour les personnes physiques (dont les entrepreneurs) par leur fiscalité, comme la Grande-Bretagne, la Belgique ou le Portugal. En adoptant une perspective internationale, la nécessité de diminuer la pression fiscale au niveau domestique se fait encore plus sentir. Comment répondre à ce besoin ? En Suisse, l’impôt sur la fortune est régi par le droit cantonal, et le chemin pour une réforme sera difficile car certains cantons pourraient être rétifs à innover fiscalement alors que leur dette publique est élevée, comme c’est le cas à Genève. M. Langlo suggère une solution simple et efficace, inspirée de la fiscalité des sociétés. Dans de nombreux cantons, l’impôt dû sur le capital des sociétés peut être imputé sur l’impôt sur le bénéfice payé par cette même société (ce qui évite la double imposition). Pour les personnes physiques en général, et les entrepreneurs en particulier, l’impôt sur la fortune personnel devrait pouvoir être imputé de l’impôt sur le revenu, si ce dernier est plus élevé. Economiquement, cela revient à fixer une forme d’impôt minimal sur le revenu, mais cette solution aurait le mérite de largement éviter la double imposition des entrepreneurs.

Valoriser la figure de l’entrepreneur

S’élevant au-dessus des questions de fiscalité, deux entrepreneurs genevois, Gilles Desplanches (Groupe Gilles Desplanches) et Claude Devillard (Devillard SA), ont apporté leur témoignage. Pour Gilles Desplanches, le problème principal se situe au niveau de la communication et de la valorisation du rôle de l’entrepreneur. Selon lui, il est nécessaire de rappeler le rôle premier de l’entrepreneur, à savoir celui d’utiliser sa force de travail pour créer de la plus-value. Ainsi, la figure de l’entrepreneur devrait plus souvent être mise en avant comme modèle. Selon M. Desplanches «admettre que l’on peut réussir, c’est une partie de la clé pour un système fiscal intelligent». M. Devillard a ensuite tenu à mettre en évidence les barrières et tracas administratifs qui bloquent le dynamisme des entrepreneurs. La fiscalité fait partie des entraves à la motivation ; il est souvent décourageant de se rendre compte à quel point les entrepreneurs sont taxés, alors que seuls le développement des entreprises privées est à même de créer de la prospérité par l’emploi. Un effort de meilleure communication, tant sur le thème de l’imposition du capital de l’entrepreneur que sur l’image de l’entrepreneur lui-même, doit être fait. Au niveau politique comme dans les médias, la figure de l’entrepreneur doit être valorisée.

Quelles réformes ou alternatives à l’imposition de la fortune ?

Le débat qui a suivi, modéré par le Directeur romand d’Avenir Suisse Tibère Adler, avait pour objectif d’esquisser des pistes de réflexion dans le but de réformer ou remplacer l’impôt sur la fortune. Les alternatives possibles à l’imposition sur la fortune, à mettre en place au niveau cantonal, sont nombreuses : imputation de l’impôt sur la fortune sur l’impôt sur le revenu ; exonération de l’outil de travail ; ré-estimation de la valeur des immeubles ; imposition modérée des gains en capitaux en cas de vente d’une entreprise (avec dégressivité en fonction de la durée de détention, pour favoriser le long terme). Bien entendu, toutes ces mesures devraient être introduites en remplacement de l’actuelle imposition sur la fortune («à la place de») et non pas en addition «en plus de»).

Priorité à la RIE III… mais il faudra ensuite un nouveau pacte fiscal pour les entrepreneurs

Toutefois, à court terme, la priorité fiscale en Suisse reste la mise en place de la RIE III, qui touche la fiscalité des entreprises seulement (et non pas celle des personnes physiques). Mais une fois que la RIE III aura été mise sous toit, il sera grand temps d’élaborer un nouveau pacte fiscal pour les entrepreneurs (voir l’article de T. Adler dans Le Temps du 2.12.2015). Les propriétaires actifs dans leurs propres sociétés doivent être encouragés à rester domiciliés dans le pays et à maintenir leurs entreprises en Suisse, plutôt que de les vendre ou les délocaliser.