Le débat autour de la prévoyance vieillesse est investi par un «biais boomer» disproportionné. Si les inquiétudes des (futurs) retraités concernant leur rente méritent l’attention de la classe politique, les jeunes ne doivent pas être oubliés.

Les travers de la réforme LPP21

La réforme de la prévoyance professionnelle (LPP 21) actuellement en traitement au parlement est un exemple flagrant de la surreprésentation des intérêts des plus de 55 ans. Pour compenser la baisse du taux de conversion dans le régime obligatoire, la réforme soumise par le Conseil fédéral prévoit un supplément de rente pour tous les futurs retraités, qui devra être financé par des cotisations salariales de la population active. Cette proposition illustre parfaitement le «biais boomer».

D’une part, elle surestime le problème: la baisse du taux de conversion de 6,8 % à 6 % touche uniquement les 9 % d’assurés qui sont soumis à un plan minimum LPP. Moins d’une personne sur dix verra ainsi sa rente baisser. Les autres assurés sont affiliés à des caisses dites «enveloppantes» qui offrent des prestations surobligatoires et qui ont déjà adapté le taux de conversion. Pourquoi alors arroser tout le monde? La solidarité intergénérationnelle est bien entendu souhaitable, mais seulement pour ceux qui sont concernés.

D’autre part, la baisse du taux de conversion est souvent qualifiée de «vol des rentes». Or, s’il y a vol, ce sont les jeunes qui en font les frais. En moyenne, on assiste à un subventionnement croisé de 5,7 milliards de francs par an des jeunes vers les rentiers. En effet, comme les promesses de rentes sont calculées sur des paramètres techniques dépassés, les caisses péjorent le rendement des actifs pour répondre à leurs obligations vis-à-vis des retraités. Une réalité qui dure depuis plus de quinze ans et qui risque de persister, vu l’évolution des marchés financiers. Cette problématique est trop rarement évoquée.

Cette ambivalence illustre bien la perception asymétrique des problèmes en fonction de l’âge des personnes concernées. En proposant encore plus de redistribution dans le deuxième pilier, financée intégralement par une «cotisation de financement solidaire», les élus fédéraux ne vont pas seulement à l’encontre du principe de la prévoyance professionnelle selon lequel chacun cotise pour soi-même. Ils mettent surtout sur pied une réforme arrosoir «facile» sur le dos des jeunes, au bénéfice d’une classe importante d’électeurs «boomers».

Adapter la prévoyance vieillesse au XXle siècle

L’organisation de la prévoyance reflète le monde des années 1980. Si elle correspond à la réalité de nombreux baby-boomers, de plus en plus de jeunes s’éloignent de ce schéma. Les modèles familiaux évoluent et la distribution des tâches au sein d’un ménage est plus équilibrée. Le temps partiel augmente, chez les femmes comme chez les hommes, et les carrières non linéaires deviennent la règle plutôt que l’exception.

La réforme LPP 21 prévoit certes une modernisation avec la baisse de la déduction de coordination et du seuil d’entrée pour améliorer la couverture des temps partiels. Mais pour les jeunes, le besoin de flexibilité se trouve ailleurs.

Actuellement, les assurés n’ont pas leur mot à dire sur la façon dont leurs avoirs sont placés. Leurs préférences en matière d’investissements durables ou éthiques par exemple seraient mieux respectées s’ils avaient la possibilité de choisir leur stratégie de placement. Par ailleurs, il n’est plus justifié que la caisse de pension soit liée à l’employeur, anachronisme datant d’une époque où l’on restait quarante ans dans la même entreprise. Cette approche paternaliste oblige aujourd’hui les jeunes de moins de 35 ans à changer quatre à cinq fois d’institution de prévoyance, au gré des changements d’employeurs. Donner aux assurés le libre choix de leur caisse de pension permettrait d’adapter réellement la prévoyance vieillesse au XXIe siècle.

Il n’est plus justifié que la caisse de pension soit liée à l’employeur, anachronisme datant d’une époque où l’on restait quarante ans dans la même entreprise (Johnny Cohen, Unsplash).

Une prévoyance vieillesse équilibrée doit prendre en compte les intérêts des jeunes, comme ceux des plus âgés. La solidarité doit aller dans les deux sens. Si déjà les cotisations salariales des actifs doivent augmenter au bénéfice des retraités, alors les prestations ainsi financées doivent être ciblées pour les personnes concernées seulement. Le politique ne doit pas céder au «biais boomer» et renoncer à toute redistribution dans le deuxième pilier. Il doit aussi s’engager pour un système flexible qui prend mieux en compte les parcours individuels. Des jeunes, comme des boomers.

Cet article est paru dans Le Temps le 31 octobre 2022.