Nous pourrons bientôt juger le sérieux avec lequel nos politiciens comptent réformer l’AVS. Lors de la session en cours, le Conseil des États sera la première chambre à en débattre. Les signes pour une réforme rapide ont déjà été de meilleur augure. S’il y a quelques mois encore, on entendait de toute part de l’échiquier politique qu’il était nécessaire d’agir, le refrain n’est plus du tout le même dans les délibérations.

Eviter un gouffre financier

Selon les perspectives financières récemment actualisées par l’Office fédéral des assurances sociales, le déficit cumulé de l’AVS sur les dix prochaines années s’élèvera à 23 milliards de francs. Même en temps de pandémie, où les citoyens et politiciens se sont habitués à des montants en milliards, cela représente une somme non-négligeable. Et ce, bien que l’Etat ait renforcé sa part de financement et que les cotisations salariales aient été augmentées de 0,3 point de pourcentage il y a un an seulement. Ainsi, l’AVS bénéficie de 2 milliards de francs de recettes supplémentaires par an, qui pourtant, ne permettent pas d’éviter l’abysse financière. La réforme appelée AVS 21 n’appelle donc pas à un simple ajustement cosmétique, mais nécessite bien un assainissement urgent d’une des plus importantes assurances sociales en Suisse. Et les assainissements sont toujours douloureux, il faut le dire honnêtement à la population.

D’après les propositions du Conseil fédéral, deux mesures principales visent à rééquilibrer les finances de l’AVS : une augmentation de la TVA de 0,7 point et l’égalisation de l’âge de la retraite des femmes avec celui des hommes. Cette dernière devrait permettre des économies d’environ 1,4 milliard de francs par an. Lors du traitement du dossier en janvier dernier, la commission compétente du Conseil des États s’est écartée de la proposition du Conseil fédéral. Elle a certes réduit la durée du régime transitoire à six ans pour les femmes concernées, mais le coût de ces mesures s’élève encore à 440 millions de francs par an. En parallèle, elle a augmenté les prestations pour les couples de retraités à hauteur de 650 millions de francs par an, pour une durée indéterminée. La plupart des économies réalisées grâce à l’harmonisation de l’âge de la retraite des femmes seront ainsi compensées avant même que la loi soit entrée en vigueur.

Garder la tête froide

Les propositions de la Commission du Conseil des Etats ont provoqué une vague d’indignation – bien orchestrée. Sous la direction de l’Union syndicale suisse, des SMS et des messages WhatsApp ont été envoyés en masse le même jour, faisant état d’une «détérioration des rentes des femmes» – alors que le Conseil des Etats avait avant tout ajusté la forme des compensations. Les messages lançaient un appel urgent à soutenir une pétition en ligne. Un appel qui a permis de récolter plus de 300 000 signatures.  

Ce chiffre est impressionnant. Il montre à quel point ce débat est brûlant, mais aussi la force avec laquelle les organisations peuvent mobiliser leurs membres rapidement sur les réseaux sociaux. Ainsi, l’UDC lançait deux semaines plus tard une action similaire réclamant cette fois la réouverture des restaurants fermés à cause du Coronavirus, et recueillait également 300 000 signatures en quelques jours seulement. Même si de tels signaux doivent être entendus par les politiques, leur portée ne doit pas être surestimée non plus. Soutenir une pétition par un clic sur internet est avant tout un acte impulsif. Cet acte n’a pas la même valeur qu’une décision mûre et réfléchie prise après les débats différenciés qui caractérisent nos votes lors d’initiatives populaires.

Dans les faits, l’opposition à l’harmonisation de l’âge de départ à la retraite des femmes sera vraisemblablement différente à celle manifestée dans les pétitions en ligne. Pour simplifier : la plupart des hommes ne s’y opposeront pas, car ils ne sont pas vraiment concernés par ce changement et de nombreuses femmes y seront favorables, précisément en ligne avec le discours actuel sur l’égalité. Les faits semblent corroborer cette hypothèse. En effet, en 2018, selon un sondage représentatif de l’Institut de recherche GfS, 78 % des hommes et 54 % des femmes, soit une nette majorité, se sont prononcés en faveur d’une telle égalisation de l’âge de la retraite des hommes et des femmes.

Equité pour les jeunes et les moins jeunes

Cela ne veut pas dire que le relèvement de l’âge de la retraite des femmes doit se faire «brutalement» et sans aucune compensation. Même si cette question fait l’objet de débats depuis longtemps et qu’une telle mesure ne devrait plus surprendre personne, il parait juste d’offrir une solution transitoire aux femmes qui sont sur le point de prendre leur retraite. Que ces mesures bénéficient aux femmes trois, six ou neuf ans avant leur retraite, et quelle forme ces compensations doivent prendre, sont des éléments sur lesquels le Parlement devra se mettre d’accord.

Ce n’est pas seulement une question d’équité, mais aussi de « réalpolitik » pour gagner un meilleur soutien de ceux, et surtout de celles qui seront directement concernés par la réforme. Dans ce cas concret, l’enjeu est de taille, car cette proposition concerne directement les générations nombreuses des baby-boomers, dont beaucoup se manifesteront aux urnes.

Comment adoucir les effets de la réforme sans causer une facture trop salée ?

Mais cela ne veut pas dire que dans ce concert de vague d’indignation chaque parti doit “adoucir” son discours auprès de sa clientèle, ici envers les femmes, là envers les couples retraités. Sinon, nous nous retrouverons face à une montagne de sucre pour réaliser ces promesses d’adoucissement qui ne pourrait être financée que par des augmentations coûteuses des cotisations salariales et de la TVA.

Ces financements devraient alors être garantis surtout par les jeunes générations, et ce tout au long de leur vie (professionnelle). Les jeunes apportent déjà une contribution notable dans la lutte contre la pandémie au nom de la solidarité avec les personnes âgées vulnérables. Dans le domaine de la prévoyance, l’assainissement de l’AVS doit ainsi contenir des éléments de réformes structurelles. Il ne peut se faire uniquement par des financements supplémentaires qui pèseront surtout sur les épaules des plus jeunes – qu’ils soient hommes ou femmes.