Dans le débat actuel sur l’Europe, les observateurs ont parfois l’impression que le débat public s’attarde toujours plus sur des détails. Lors de la dernière table ronde de politique étrangère, l’auditoire a pour une fois eu l’occasion d’avoir une vue d’ensemble dépeinte par un homme qui, tout au long de sa carrière, a connu en profondeur l’Europe et ses défis actuels et passés : Erhard Busek, ancien vice-chancelier d’Autriche et ancien président du parti populaire ÖVP et actuel président de l’Institut de la région du Danube et de l’Europe centrale.

L’Europe, l’inachevée

Dans son exposé sur les différences émergentes entre l’Est et l’Ouest au sein de l’UE et le néo-nationalisme dans les différents Etats membres, Busek a critiqué le fait que l’UE n’avait que partiellement mis en œuvre son triple projet initial depuis sa création. L’accent a été mis sur ce qui était faisable et évident – la CEE (Communauté économique européenne) – tandis que la CPE (Communauté politique européenne) et la CED (Communauté européenne de défense) sont restées au stade idéel.

Selon Busek, l’Europe se trouve actuellement à un point critique : la communauté économique a réussi et 7% de la population mondiale génère 22% de la production économique globale. Mais l’Europe pourra-t-elle maintenir cette position ? Parmi les principaux groupes technologiques mondiaux, il n’en existe aucun d’origine européenne. En géopolitique aussi, l’influence de l’Europe recule constamment : en Syrie, au Moyen-Orient ou face à l’«America First». Dans quelle mesure l’Europe sera-t-elle capable d’agir à l’avenirmalgré l’influence croissante des tendances nationalistes et populistes ?

Erhard Busek discute avec Patrick Dümmler à l’occasion de l’événement organisé par l’Association suisse de politique étrangère et Avenir Suisse à l’Université de Berne. (Photo : Susanne Goldschmid)

Les phénomènes de division sont un phénomène récurrent dans toute l’histoire du continent, mais c’est précisément pour cette raison qu’ils devraient susciter des inquiétudes. Les écussons de la monarchie danubienne étaient couronnés par la devise «Indivisibiliter ac inseparabiliter» («indivisible et inséparable»). Cela n’a pas été d’une grande utilité.

Péché d’omission après 1989

En 1989, année de la destinée européenne, les espoirs d’une Europe plus unie étaient énormes. Mais à cette époque, l’histoire ne s’est pas terminée, comme l’a proclamé François Fukuyama, mais s’est au contraire écrite un peu plus.

«Nous avons fait la terrible erreur de sous-estimer l’éducation démocratique». Les mouvements citoyens qui ont fait tomber le communisme étaient dirigés par des «lanceurs d’alerte» et non par des politiciens. A ce moment-là, l’Europe aurait dû construire en informant et en éduquant aux structures démocratiques. Ainsi, il aurait été possible de mieux aider ces Etats encore jeunes à l’époque à prendre leur propre avenir en main. Le fait que, pendant de nombreuses années, les hommes politiques des nouveaux Etats membres n’aient pas été en mesure d’occuper des postes de haut rang dans la hiérarchie de l’UE a également constitué un obstacle à l’unité interne de l’UE. «L’Europe a été vendue comme un projet de paix, mais celle-ci n’a pas vraiment été atteinte».

Trouver ce qui nous rassemble

Il ne fait aucun doute que l’UE est une grande réussite économique. Selon Busek, les médias ne le voient malheureusement pas assez. Mais tout comme le marché intérieur ne peut pas susciter un sentiment d’amour, les droits de l’homme ne suffisent pas à l’unité. «Qu’est-ce vraiment que l’Europe ?» Les politiciens en place ne se sont pas suffisamment concentrés sur cette question. Cette discussion est pourtant nécessaire entre toutes, pour les Etat membre comme pour les Etat tiers, a souligné Busek, faisant également référence à la Suisse.

L’ancien homme politique voit des points communs considérables dans le domaine de la culture, bien que – ou simplement parce que ? – le budget culturel soit le moins doté de l’ensemble de l’UE. De nombreux ponts pourraient également être construits sur le thème de la formation. Ralph Dahrendorf l’avait déjà reconnu et avait soutenu le programme Erasmus pour les universités. «Mais les universités doivent aussi se rappeler qu’elles sont en fait une invention européenne». Pour le co-auteur du livre «Mitteleuropa revisited»[1], le développement futur du continent européen dépend avant tout de la réussite d’une recherche intellectuelle fondamentale et de la possibilité de placer ce qui nous rassemble avant ce qui nous divise.

Les «Tables rondes de politiques étrangères» sont des événements communs de l’Association suisse de politique étrangère et d’Avenir Suisse. Elles ont lieu trois fois par année.

[1] Emil Brix et Erhard Busek (2018) : «Mitteleuropa revisited. Warum Europas Zukunft in Mitteleuropa entschieden wird». Kremayr & Scheriau.