Le 7 septembre dernier, quelques semaines seulement avant l’annonce des nouvelles primes de caisses maladie, le Conseiller fédéral Berset a présenté son deuxième volet de mesures visant à freiner la hausse des coûts de la santé. Ce train de mesures s’inscrit dans une tendance politique toujours plus dirigiste dans le secteur de la santé. En 2020 déjà, le Conseil fédéral avait proposé l’introduction d’objectifs de coûts dans l’assurance obligatoire, comme contre-projet à l’initiative populaire du Centre.

Déterminer une croissance «justifiée» ?

Selon ce contre-projet, la Confédération fixerait le pourcentage maximal de l’augmentation des coûts, et ce pour chaque catégorie de coûts et pour chaque canton. Selon le message du Conseil fédéral, cet objectif doit être calculé en fonction de l’augmentation du volume et des prix qui se «justifie d’un point de vue médical et économique», en prenant en compte des facteurs tels que «le développement économique, l’évolution des salaires et des prix, les progrès techniques, la démographie et la morbidité». En cas de dépassement de l’objectif, la Confédération examinerait si des mesures correctives seraient nécessaires à appliquer.

Que l’on soit pour ou contre une intervention plus ferme de l’Etat dans le domaine, la question est ailleurs : le Conseil fédéral – et par extension l’administration fédérale – a-t-il la capacité technique et scientifique de déterminer l’évolution des coûts pour fixer des objectifs cantonaux par  catégorie de coûts à ne pas dépasser ?

Prévisions à la baisse comme à la hausse

Quand il s’agit de la croissance des coûts de la santé, il faut différencier deux choses. D’une part, un report des coûts souhaité – par exemple des coûts plus élevés pour les soins à domicile pour réduire ceux en EMS, et d’autre part une augmentation des coûts liés à des inefficiences – une sur-médication ou une pratique médicale non utile.

Des taux de croissance différents dans les cantons s’expliquent aussi par des différences démographiques : un canton périphérique qui vieillit particulièrement à la suite d’un exode de sa jeunesse – et donc plus de personnes âgées en proportion – aura un taux de croissance plus élevé qu’un canton universitaire qui accueille plus de jeunes. Ces considérations soulignent la complexité de l’exercice.

Sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), le Centre de recherche conjoncturelle (KOF) de l’EPFZ a proposé en 2021 des projections d’évolution de coûts pour les deux années suivantes, 2021 et 2022, sur la base des résultats des années entre 2003 et 2020. En premier lieu, le KOF a calculé la croissance des coûts par habitant et par groupe de coûts (soins infirmiers, physiothérapie, médicaments, séjours hospitaliers, etc.).

De l’aveu même des auteurs de l’étude, les difficultés méthodologiques entrainent une grande incertitude dans les résultats. Pour 2022 par exemple, les estimations varient de 5 points de pourcentage pour le secteur des «prestations des médecins en ambulatoire» (entre 0,3 % et 5,6 %), et de 10 points de pourcentage tant pour le secteur de la physiothérapie que celui du domaine hospitalier stationnaire (voir figure 1).

Non seulement les fourchettes d’estimations sont larges, mais les valeurs possibles peuvent passer d’une baisse des coûts (voir les croissances négatives dans la figure 1) à une hausse des coûts dans quatre secteurs sur huit (soins, physiothérapie, domaine hospitalier stationnaire et médicaments).

Ces résultats sont d’autant plus surprenants qu’ils sont donnés dans un intervalle de confiance de 90 %. C’est-à-dire que dans 90 % des résultats, la valeur réelle se situera à l’intérieur de cet intervalle. Or, en statistique, il est commun d’utiliser des intervalles de confiance à 95 %. La fourchette qui en résulterait serait encore bien plus large que les valeurs affichées dans la figure 1.

Estimations par canton encore plus illusoires

En deuxième lieu, l’étude du KOF tente d’estimer le taux de croissance des coûts par assuré dans chaque canton. L’incertitude est encore plus grande que celle liée aux estimations par groupe de coûts. Dans le canton de Genève par exemple, les coûts pourraient baisser de 3,4 % ou augmenter de 5,2 %. En Suisse romande, les estimations pour les cantons du Jura ou de Vaud sont encore moins précises avec des intervalles de plus de 10 points de pourcentage (voir figure 2). Pour 21 cantons sur 26, une baisse des coûts est même possible.

La «présomption de savoir» ne règle pas les problèmes

Avec des valeurs prédites qui oscillent entre une baisse et une hausse des coûts pour un groupe de coûts ou un canton donné, et le KOF qui souligne les incertitudes liées à sa propre méthodologie, il est très difficile de prévoir l’évolution des corridors de coûts de manière précise.

Sur la base de telles incertitudes, comment l’administration fédérale pourrait-elle définir un objectif de croissance qui se «justifie d’un point de vue médical et économique» ? Tout objectif imposé serait alors purement arbitraire et aussi précis que de fixer des objectifs «au hasard».

Pourtant, l’OFSP, et par extension le Conseil fédéral, persiste à vouloir fixer de tels objectifs de coûts. Cela équivaut à piloter un avion sans plan de vol. Une telle approche nécessiterait de mettre en place une usine à gaz pour planifier, contrôler et sanctionner le système de santé par le haut.

Plutôt que de se lancer dans un imbroglio bureaucratique sans fin, alors que ni le KOF ni l’OFSP ne peuvent déterminer des corridors de coûts précis, et de s’enliser dans des négociations avec les faîtières cantonales des fournisseurs de prestation, le Conseil fédéral serait mieux avisé de placer le patient, plutôt que la bureaucratie, au centre de sa réflexion. Pour cela, il doit assurer les conditions-cadres pour encourager une concurrence basée sur la qualité, plutôt que sur les coûts.