Les pertes élevées de certaines compagnies d’électricité ont effrayé les politiciens suisses. Différentes esquisses de solutions sont évoquées dans le débat – notamment des subventions, des quotas pour l’énergie nationale ou des impôts sur le «courant sale» en provenance de l’étranger. La politique lance des mots-clés comme importance systémique, blackout ou menace d’une vente des centrales hydroélectriques à l‘étranger. Au final, tout concorde pour faire payer les petits consommateurs d’électricité et les contribuables.

Certains pensent que les graves problèmes des entreprises d’énergie confirment l’échec du modèle néolibéral – ils se trompent complètement. C’est précisément l’insuffisance de mécanismes libéraux de marché qui a conduit à la misère actuelle. Le prix de gros de l’électricité en Europe est le résultat d’une combinaison de politiques énergétiques nationales, qui – à elles toutes – ont si fortement biaisé le marché que le prix ne peut plus remplir sa fonction directrice.

Préserver les actionnaires d’une perte totale n’est pas une tâche de l’Etat

Au niveau paneuropéen, les distorsions du marché ont conduit à une expansion des capacités, lesquelles surpassent de loin la demande. En Suisse aussi, les mises en garde contre une possible future pénurie en électricité n’ont pas cessé, afin de légitimer la construction de nouvelles installations. Le scepticisme l’emportait alors – et aujourd’hui encore, il ne faudrait pas tomber dans un activisme précipité. De nombreuses entreprises d’électricité sont des sociétés anonymes et elles devraient également être traitées comme telles. Si ses efforts d’assainissement n’ont aucun effet, une compagnie d’électricité devrait alors pouvoir faire faillite. La création précipitée d’une société reprenant les actifs d’un groupe d’électricité défaillant ne favorise que les propriétaires. Cependant, ce n’est pas à l’Etat de préserver les actionnaires d’une perte totale éventuelle.

Barrage du lac de Luzzone d'Alpiq, à Campo Blenio. (Wikimedia Commons)

Barrage du lac de Luzzone d’Alpiq, à Campo Blenio. (Wikimedia Commons)

Si l’on démêle les liens complexes de participation, la part détenue par le secteur privé chez Alpiq s’élève alors à environ 63%. Parmi les grosses entreprises d’électricité, Axpo est la seule dont la propriété est à 100% en mains des cantons. La part de l’Etat dans toutes les autres entreprises se situe entre 68% (BKW) et 92% (Repower). Ainsi, l’affirmation «au final, l’Etat paie quoi qu’il arrive» n’est pas tout à fait vraie.

L’argument de l’importance systémique des centrales nucléaires n’est pas pertinent sans réserves. Gösgen et Leibstadt sont des sociétés anonymes autonomes, dans lesquelles les grandes entreprises d’électricité ont une participation. Si l’un des propriétaires devait faire faillite, les actionnaires restants continueraient malgré tout à exploiter l’entreprise. Mühleberg – qui appartient complètement à BKW – doit être mise hors circuit comme prévu en 2019. Cet arrêt ne devrait pas engendrer de pénurie d’électricité, car il s’agit d’une centrale relativement petite. D’autre part, il semble que le financement de la phase post-exploitation ainsi que du démantèlement soit assuré.

Beznau 1 et 2 sont détenues exclusivement par Axpo, et donc par conséquent sont à 100% en mains du secteur public. Si Axpo ne parvient pas à se rétablir, les propriétaires actuels devront assumer leurs responsabilités. Les cinq cantons de Zurich, Argovie, Thurgovie, St-Gall et Schaffhouse détiennent directement ou indirectement près de 95% des parts; ils ont ainsi bénéficié des dividendes élevés distribués durant les bonnes années.

L’intégration dans le réseau électrique de l’UE protège contre les pénuries d’approvisionnement

La question reste ouverte de savoir si, dans un tel scénario, la poursuite de l’exploitation de Beznau est rentable. Mais les réflexions pourraient conduire au final à un résultat similaire à celui de Mühleberg. Même dans ce cas, il n’y pas de raison que la Suisse connaisse un  blackout. Car il devrait y avoir suffisamment d’énergie sur le marché européen de l’électricité à l’avenir. Il n’est donc ni nécessaire, ni économiquement pertinent de construire davantage de centrales en Suisse. En revanche il serait judicieux d’investir dans la capacité des  transformateurs transfrontaliers. L’intégration plus étroite de la Suisse dans le réseau électrique européen est la meilleure protection, et la plus efficace, face aux risques de pénuries d’approvisionnement.

Cet article est paru le 19 avril 2016 dans le journal Le Temps.