Les baby-boomers helvétiques arrivent à l’âge de la retraite. Toujours actifs, les babyboomers représentent une main-d’œuvre certes vieillissante, mais précieuse dans certaines entreprises. Lorsque des milliers d’entre eux prendront leur retraite – de manière anticipée pour certains –,  la pénurie de travailleurs qualifiés s’accentuera. Un enjeu économique sous-estimé, d’après Marco Salvi.

Swissinfo.ch : Un journal suisse de renom écrivait récemment : «La société XY fait face à un problème : ses salariés sont trop vieux.» Les employés âgés constituent-ils un problème pour une entreprise ?

Marco Salvi : Je ne dirais pas cela, au contraire : ils sont plus productifs…

… mais ?

 Mais des études montrent que les employés plus âgés sont moins innovants. Un point qui peut devenir un problème à long terme pour une entreprise.

Les seniors sont moins innovants, dites-vous. Quels autres inconvénients représentent-ils ?

Les personnes qui travaillent de longue date pour la même firme sont très spécialisés : ils possèdent des compétences, des connaissances et une expérience propres à l’entreprise. Avec le risque que cette spécialisation devienne trop grande lorsqu’elle n’est plus autant demandée. Cette dernière constitue, toutefois, un avantage de manière générale.

La diversité du personnel – non seulement en termes de genre, mais également au niveau des capacités et de l’expérience – est payante et crée des apports mutuels. (Daria Shevtsova, unsplash)

En bref, les collaborateurs âgés ont de l’expérience et des connaissances, mais se montrent peu innovants et coûtent plus chers. Une entreprise doit-elle se délester de ces employés le plus tôt possible ?

 Les salaires élevés ne constituent pas un simple cadeau d’ancienneté. Ils s’expliquent par la productivité généralement plus forte des seniors. Les entreprises traditionnelles disposent d’une main-d’œuvre d’ordinaire plus âgée que les jeunes sociétés. Il est rare que des firmes licencient des employés âgés pour embaucher des collaborateurs plus jeunes. Ceux-ci ont des atouts, mais différents.

Lesquels ?

Au sortir de la formation, ils possèdent de nouvelles connaissances, sont moins spécialisés et donc plus faciles à modeler. Dans le secteur de l’informatique, par exemple, les connaissances sont vite dépassées. Aux yeux d’un employé âgé, il peut parfois sembler inutile d’en acquérir de nouvelles.

En résumé, faut-il favoriser l’hétérogénéité ?

Dans tous les cas, la diversité des genres, mais également des compétences et des expériences est importante.

Au vu de l’évolution démographique – les baby-boomers arrivent à l’âge de la retraite –, les collaborateurs âgés dans les entreprises seront-ils, à l’avenir, la règle plutôt que l’exception ?

Plusieurs centaines de milliers de personnes prendront leur retraite ces prochaines années. Ce phénomène pose problème pour l’économie, mais également pour les assurances sociales. La main-d’œuvre se fait déjà rare. Ce défi demeure sous-estimé.

Comment le résoudre ?

Les entreprises peuvent réagir. Certaines utilisent les outils numériques et l’automatisation par exemple. Dans des pays comme le Japon ou l’Allemagne, où la croissance démographique est défavorable, des robots sont employés, la main-d’œuvre se raréfiant.

L’évolution démographique de la Suisse est-elle plus favorable que celle du Japon ou de l’Allemagne ?

Le Japon constitue un exemple extrême. La population vieillit très rapidement. Le taux de natalité est faible. Et il n’y a pratiquement pas d’immigration. Ce constat vaut également, dans une moindre mesure, pour l’Allemagne, même si la situation a changé au cours des dernières années. La Suisse connaît une situation démographique meilleure en raison de l’immigration principalement. Ce sont surtout des jeunes, mobiles, qui viennent s’installer. Ils fondent ensuite une famille et ont des enfants.

Pour en revenir aux seniors, est-il économiquement pertinent de conserver les employés au-delà de l’âge légal de la retraite ?

 Pour des raisons démographiques, Avenir Suisse préconise de relever l’âge de la retraite. Il ne devrait pas y avoir de limite supérieure, ceux qui veulent travailler plus longtemps devraient également pouvoir cotiser plus longtemps. Toutefois, une limite inférieure et un mécanisme d’ajustement automatique à l’augmentation de l’espérance de vie sont nécessaires.

De plus en plus d’employés âgés sont prêts à travailler au-delà de l’âge légal de la retraite, pour des salaires inférieurs parfois. Ne font-ils pas concurrence aux jeunes ?

Je ne pense pas. Nous sommes pratiquement certains que cela n’a pas d’impact négatif sur le marché du travail. Dans toute l’Europe, toujours plus de personnes continuent à travailler après l’âge légal de la retraite, en particulier à temps partiel. L’âge effectif de départ à la retraite croît sur l’entier du Vieux Continent.

D’un autre côté, près de la moitié de la population active souhaite arrêter de travailler avant l’âge légal de la retraite. Ne serait-il pas plus simple de retenir ces personnes plutôt que de relever ce seuil ?

Une augmentation de la flexibilité et de la sécurité des rentes importe davantage qu’un relèvement général de l’âge de la retraite, ce qui signifie que, dans le deuxième pilier (NDLR : prévoyance professionnelle), nous devons éviter une redistribution des jeunes vers les retraités. Je n’ai rien contre le fait qu’une personne soit prête à payer elle-même les coûts d’une retraite anticipée. Avec la progression de la prospérité – le niveau des retraites est haut en Suisse –, la quote-part des rentes restera élevé. Car tout le monde n’apprécie pas forcément son travail.

Interview : Peter Siegenthaler ; Cette interview est paru le 22 février 2019 sur swissinfo.ch. Reproduite avec l’aimable autorisation de la rédaction.