Certes, depuis plusieurs décennies notamment sous l’impulsion de certains politiciens et fonctionnaires, des tentatives de co-création de services ont eu lieu. Leur généralisation cependant tarde. Faisons d’abord un tour d’horizon de la problématique et puis ensuite une tentative de proposition d’une approche pragmatique avec des exemples. La question de la sécurité et du travail de la police a émergé dès les années 70 comme un cas de co-création des services publics. En effet, la mise en évidence par le Prix Nobel, Elinor Ostrom, de l’adoption d’un système centralisée de la police ce Chicago, qui en quelque sorte supprimait la police de «proximité», a donné des résultats que l’on sait aujourd’hui catastrophiques. Les travaux en sciences sociales du Prix Nobel avaient montré que dès que la population est écartée de la question de la sécurité, l’ensemble du système s’effondrait, il partait en quelque sorte en vrille. La population jouait et joue encore un rôle central dans tout système de sécurité efficace et toute tentative de l’en écarter, s’est soldée par un échec. Ce constat sur le lien entre population, sécurité et police de «proximité» a été depuis lors vérifié dans de nombreux pays, y compris dans certaines villes suisses comme Genève. La nécessité d’introduire des mécanismes de co-création, là où la population, les commerçants sont impliqués dans l’invention de processus de surveillance, de contrôle et d’alerte semble être fondamentale. Seule une police de «proximité» peut alors capter cette réalité du terrain et construire avec les acteurs locaux, une forme de sécurité appropriée à chaque situation. Ainsi dans le cas des alertes enlèvements notamment des enfants, on a pu observer une très grande mobilisation des populations avec des résultats somme toute importants.

Cela paraît, aujourd’hui, une évidence toutefois cela n’a pas toujours été le cas car cela doit impliquer de la part des services publics une approche systémique du contact avec la population. Que l’on prenne des domaines tels que l’aide sociale, la santé, le chômage, etc. on se rend bien compte que la tentation de vouloir résoudre les problèmes des personnes à leur place en les excluant du processus de co-création de ces solutions, reste grande.

Même si en Suisse, la démocratie directe qui autorise les citoyens a proposé des lois par initiative ou référendum existe, on comprend bien que la question de la co-création va nettement au delà du simple cadre constitutionnel. Il s’agit d’une co-création qui vise le terrain de l’action du quotidien.

Normalisation pédagogique

Un des domaines de la responsabilité des Etats, celui de l’enseignement, est en ce sens particulièrement instructif. La tentation des responsables de l’enseignement est toujours la normalisation pédagogique: même livre, même support de cours, même programme, même évaluation, même encadrement, alors que justement la qualité des enseignants et de leur enseignement est essentielle. Tout repose in fine sur eux. En effet, soit ils ont des qualités propres comme l’enthousiasme, le charisme et la capacité naturelle à la pédagogie participative, soit il semble impossible de tenter de les leur enseigner. C’est donc bien plus une question de gestion de ressources humaines qu’une gestion de normalisation de l’enseignement à laquelle nous devons faire face. Cela paraît évident pourtant ce n’est malheureusement pas toujours le chemin que nous empruntons. La «co-création» avec les enfants et leurs parents dans les systèmes d’enseignement devrait être à la base de tout système qui pourrait bien sûr être adaptée dans les structures actuelles pour en diminuer les risques et en maximaliser les réussites.

Cette voie pourrait de nos jours être grandement facilitée par les nouvelles technologies comme Internet, l’utilisation des iPad et des smartphones. Un autre exemple est celui de l’aménagement du territoire et plus particulièrement celui de l’apport de la population et des commerçants dans l’aménagement des espaces verts, des places de parking, des pistes cyclables, des zones piétonnes, etc. Chaque fois qu’une décision a été prise de manière centralisée, l’opposition citoyenne a été massive et chaque fois que la population a été invitée à participer sur le mode de la «co-création», le succès a été au rendez-vous. La ville de Renens à cet égard est exemplaire. L’aménagement de la Place de la gare a été une oeuvre largement collective sans opposition ou presque et qui fut même récompensé par le Prix Walker 2011. Mais dès lors que les autorités ont décidé, sans consultation de refuser les caméras de vidéo surveillance autour du périmètre de la gare, elles ont été désapprouvées en votation populaire par les habitants eux-mêmes.

Approche systématique

On pourrait évoquer bon nombre d’autres exemples (voir les trois exemples dans l’encadré) mais la question que l’on doit se poser maintenant est celle d’une approche systémique de la «co-création». Les éléments sont clairs. D’un côté, la politique, la loi et son application par les administrations qui ensemble forment le service public et de l’autre, les administrés qui en tant que clients et citoyens connaissent non seulement bien leurs besoins mais savent également comment ils souhaiteraient être mieux servis.

Une approche systémique mettrait ensemble les deux composantes de l’équation dans un processus de «co-création». En d’autres termes, il faut identifier les grandes tâches, faire dialogue les «parties prenantes» et mettre en place un processus de convergence des intérêts. Ce mécanisme est la «co-création». Il ne s’agit en aucun cas de se substituer à l’autre mais de créer un processus de résolution des problèmes. Pour ce faire, il est nécessaire de créer des lieux réels ou virtuels où les citoyens, les entreprises, les organisations de la société civile rencontrent les administrations. Ces lieux sont aujourd’hui bien connus. Qu’ils s’appellent living lab, centre créatif ou site Internet participatif, ils procèdent tout de la même idée: celle de la co-création. Plusieurs centaines d’espaces expérimentaux nouveaux ont été ainsi créés en Europe ces dernières années. Ils ont en commun de vouloir laisser une grande liberté d’invention, de créativité aux citoyens ordinaires. Basés sur le concept de participation augmentée, il ne s’agit plus de demander aux citoyens, leur avis, leur soutien, leur aval mais bien de les mettre en mouvement pour qu’eux-mêmes réalisent des projets. Il n’y a donc pas de délégation mais une attribution des responsabilités. C’est dans ce changement de paradigme que réside la co-création. La tâche des administrations est aujourd’hui de créer et d’animer de tels lieux.

Quatre exemples de processus de co-création

1. La 27e Région (France) 

La 27e Région est une agence d’innovation publique qui permet aux régions françaises de préparer l’avenir et de changer leurs méthodes d’action. Elle se positionne comme un laboratoire des nouvelles politiques publiques à l’âge numérique et désire offrir un cadre à toutes celles et tous ceux qui souhaitent innover, expérimenter de nouvelles approches, et imaginer l’avenir des territoires. Deux objectifs principaux animent sa mission: favoriser la production et l’échange d’idées innovantes entre les Régions, et donner aux décideurs publics et aux citoyens des éléments de compréhension sur l’avenir des territoires à l’âge numérique et technologique.

La 27e Région peut travailler sur tous les thèmes au coeur des politiques régionales d’aujourd’hui et de demain, par exemple la prospective dans le secteur de l’éducation (quel lycée en 2020), comment repenser l’innovation administrative ou du design de services dans le secteur public.

2. MindLab (Danemark) 

Le MindLab est un laboratoire fondé par les ministères danois de l’économie, des finances et de l’emploi. Etabli depuis une dizaine d’années et composé d’une équipe de 15 personnes, son objectif a pris une toute autre actualité à l’heure de la crise financière et écologique: penser l’innovation dans le gouvernement et les services publics. Le MindLab utilise les moyens du design pour impliquer citoyens et agents lors d’ateliers créatifs, mais également des outils provenant de méthodes plus traditionnelles comme l’ethnographie ou les méthodes quantitatives traditionnelles. L’unité d’innovation que constitue le MindLab est placée à un haut niveau stratégique, capable de court-circuiter la bureaucratie traditionnelle en impliquant les chefs de service, les organisations publiques extérieures aux ministères et toutes les parties prenantes. Leur travail consiste à comprendre comment les gens travaillent pour les aider à changer leurs comportements.

3. ThinkPublic (Royaume Uni) 

ThinkPublic est une agence dite de «design social» sise au Royaume Uni depuis 2004. Elle aide à appréhender les grands défis nouveaux de la société en travaillant avec le secteur public, les associations non gouvernementales et les communautés. Ses objectifs sont d’utiliser le design pour faire émerger des solution créatives qui délivrent de la valeur et de l’impact aux problèmes de société, de redéfinir, parfois de façon radicale, les services publics et la façon dont l’offre de service est livrée ainsi que d’activer les personnes autour de projets pour atteindre leur plein potentiel dans la société. Les activités sont axées sur le design de service, la co-production, le prototypage, les ateliers créatifs, les outils digitaux. Les clients de Think- Public vont du département des finances britannique aux associations luttant contre la maladie d’Alzheimer en passant, aussi par exemple, par des conseils communaux à Londres.

4. Le Hub 

Le hub est une agence digitale spécialisée dans la création et le management de systèmes d’informations innovants et d’applications interactives dédiées aux administrations et aux pouvoirs publics. Animé par Philippe Brzezanski et Bruno Caillet, le Hub place l’innovation et l’intermédiation au coeur des technologies de l’information et de la communication (TIC) en s’attachant à définir et expérimenter un design relationnel. Le Hub offre un accompagnement, de la conception du projet à sa réalisation informatique jusqu’à l’animation de dispositifs ou de territoires numériques dans une double logique d’appropriation et de convergence de contenus et d’usages, avec de nouveaux processus de partage d’expériences, de savoir-faire, de savoir-organiser et des nouvelles sociabilités. Le hub développe une expertise sur les grands enjeux de la mobilité (technologies, usages, édition, animation…). Son savoir-faire s’exerce sur trois principaux secteurs dont les problématiques de changement sont de plus en plus convergentes: organisations territoriales, tourisme, culture.

Cet article est paru dans «Affaires Publiques» du 23 septembre 2011.