En Suisse, on compte chaque année une soixantaine de modifications législatives au nom des consommateurs. À y regarder de plus près, il s’avère toutefois que bon nombre de ces interventions sont loin de favoriser les consommateurs dans la mesure où elles restreignent plutôt leur liberté de choix, tant actuelle que future. Les offreurs ne peuvent plus répondre aux besoins des consommateurs de manière optimale, et pour cause : les processus de production et de distribution renchérissent et l’accès au marché est sans cesse plombé par de nouveaux obstacles. Ainsi, l’argument fallacieux selon lequel il faudrait protéger les consommateurs contre les risques liés aux denrées alimentaires étrangères de moindre qualité n’est rien d’autre que du protectionnisme pour le milieu agricole. Les règles de déclaration suisses imposent, en outre, des emballages spéciaux dont le coût est répercuté sur les produits importés (p. ex. mises en garde et précautions d’emploi en trois langues). Le régime d’autorisation des produits admis à la vente dans l’UE procède lui aussi d’un réflexe protectionniste.
Les lacunes dans l’information se réduisent
L’évolution devrait toutefois être inverse si l’on réfléchit au changement technologique des dernières décennies. L’omniprésence des nouvelles technologies de l’information et de la communication a considérablement amélioré l’accès des consommateurs à l’information. C’est surtout Internet qui a donné à ces derniers un pouvoir insoupçonné. Aujourd’hui, plus personne ne réserve un voyage sans consulter au préalable les avis publiés sur la Toile par d’autres vacanciers. Des applications pour téléphones intelligents permettent une analyse simple et rapide des codes-barres apposés sur les produits du supermarché. La vision classique du «consommateur mal informé», qu’il faut protéger contre l’exploitation et les abus, est perçue de plus en plus comme un anachronisme, d’autant que les enfants du numérique représentent une part croissante de la population. Internet n’a pas seulement réduit les lacunes dans l’information, mais représente aussi un instrument de discipline extrêmement efficace. Dans notre monde numérique, la «tricherie» est synonyme de stratégie à haut risque pour les entreprises. Toute découverte de tromperie équivaut à une perte irrémédiable de réputation – l’affaire «Carne Grischa» (fausses déclarations sur la viande) ou le scandale des émissions de VW en sont la preuve.
La malédiction du paternalisme doux
La justification classique de la protection des consommateurs perd du terrain. Aujourd’hui, l’argumentation prédominante consiste à invoquer les possibilités exponentielles de choix et le déluge informatif. L’État devrait dès lors prendre gentiment les consommateurs par la main. Or, un «État-nounou», qui prétend savoir comment ces derniers doivent se comporter, n’est guère conciliable avec une société libérale. Au lieu de chercher à manipuler, à mettre sous tutelle et à cadrer les consommateurs, l’État devrait apprendre aux citoyens à développer la liberté de choix et la responsabilité individuelle. Il devrait également veiller à préserver le libre jeu de la concurrence. C’est finalement la concurrence qui offrira la meilleure protection possible aux consommateurs. Cet objectif présuppose des mécanismes décisionnels et institutionnels capables de bloquer toute réglementation allant à l’encontre des intérêts des consommateurs ou affaiblissant leur souveraineté. Dans une telle optique, il faudrait analyser toutes les interventions faites au nom des consommateurs et déterminer leur ratio coûts/bénéfices sur la base de critères économiques objectifs.
Publié dans «La Vie économique» 4 / 2016.