D’un point de vue individuel, la santé est un bien existentiel. Pour beaucoup, il est évident que tout soit mis en œuvre pour la préserver. Dans ce contexte, l’idée que les prestations médicales hospitalières soient soumises aux principes de l’économie peut créer un certain malaise. Mais cela ne change rien au fait que, d’un point de vue sociétal, il faille trouver un équilibre entre les possibilités de la médecine et le moyen de les financer dans la qualité et l’équité. La concurrence et les mécanismes du marché dans le secteur hospitalier ne sont pas un but en soi, mais doivent contribuer à concilier ces exigences diverses. La concurrence doit surtout créer des incitations pour les hôpitaux à fournir des prestations de haute qualité avec un rapport coût/bénéfice sain.

Les marchés hospitaliers sont particuliers, mais ne sont pas un cas spécial

En introduisant la concurrence dans le secteur hospitalier, il s’agit toutefois de tenir compte de quelques spécificités des marchés hospitaliers:

  • les prestations hospitalières sont typiquement des produits différenciés. Les hôpitaux se distinguent par exemple de par leur localisation, mais aussi de par leur offre et la qualité de leurs prestations.
  • dans de nombreux pays le nombre de fournisseurs de prestations dans le secteur hospitalier est souvent relativement restreint et les marchés tendent de ce fait vers des structures oligopolistiques. Cela tient surtout aux barrières structurelles et réglementaires à l’entrée sur le marché qui existent dans le secteur hospitalier.
  • le secteur hospitalier se caractérise par des coûts de transaction élevés, qui se traduisent par exemple dans le fait que les prix résultent de négociations fastidieuses et coûteuses.
  • les marchés hospitaliers et le secteur de la santé en général sont caractérisés par des informations asymétriques. On entend par là que les informations entre le médecin, le financeur des prestations et le patient peuvent être réparties de façon très différenciée. Souvent, seul le médecin connaît l’état de santé réel du patient. Il existe également un grand fossé de connaissances entre le médecin et le patient en ce qui concerne la nécessité d’interventions et de thérapies, mais souvent aussi entre le médecin et le financeur des prestations.
  • les prestations de santé sont des produits de confiance, car souvent, la qualité des prestations fournies n’est pas observable à posteriori ou uniquement de façon imprécise. Dans bien des cas, le patient n’est pas en mesure de juger si une guérison relève d’une thérapie spécifique ou si elle est due à d’autres facteurs.

Les caractéristiques énumérées ne sont pas propres aux marchés hospitaliers et ne plaident pas fondamentalement contre l’introduction de concurrence entre les hôpitaux. D’ailleurs, dans le monde réel, les produits différenciés sont plutôt la règle que l’exception et bien des marchés sont caractérisés par un nombre limité d’acteurs et par de fortes barrières à l’entrée sur le marché. Les coûts de transaction, sous forme de coûts d’acquisition d’informations ou de négociation, sont eux aussi un phénomène très généralisé.

Les asymétries d’information n’existent donc de loin pas que sur les marchés hospitaliers et ne constituent pas un blanc-seing pour les interventions de l’Etat. Un exemple typique de la manière dont peuvent être surmontées les asymétries d’informations sans intervention de l’Etat est celui du vendeur de voitures d’occasion sérieux, qui propose une durée de garantie plus longue que ce qui est d’usage sur le marché et envoie ainsi un «signal de qualité» à ses clients. Un autre exemple est celui du label bio contrôlé de manière indépendante qui sert également à indiquer au consommateur que l’aliment acheté a bel et bien été produit selon des standards biologiques. Dans le secteur hospitalier, on travaille aussi avec des labels : ainsi le certificat «The Swiss Leading Hospitals» est un sceau de qualité que n’obtiennent que les hôpitaux qui satisfont certains standards. Dans ce secteur, ce sont désormais surtout des sites web d’information et de comparaison qui assument cette tâche.

Les conditions d’une concurrence hospitalière fonctionnelle

Pour assurer la concurrence sur le marché hospitalier, diverses conditions doivent être remplies : d’une part, le nombre d’hôpitaux disponibles dans les régions doit être suffisamment important pour qu’il puisse y avoir concurrence. Dans notre pays qui compte au moins 188 établissements de soins aigus, cette condition devrait toujours être remplie dans la plupart des régions, même si l’un ou l’autre hôpital devait fermer ses portes. Il doit également y avoir des incitations pour que les hôpitaux attirent des patients, ce qui peut être réalisé, par exemple, en introduisant des forfaits par cas. D’autre part, les patients doivent pouvoir exercer un choix éclairé, c’est-à-dire avoir suffisamment d’informations pour prendre des décisions fondées. Cela implique que la qualité du fournisseur de prestations puisse – autant que possible – être mesurée et rendue transparente. Il n’est toutefois pas nécessaire que le patient prenne sa décision seul. Le médecin traitant, l’assurance-maladie ou des organisations de patients peuvent le conseiller.

En Suisse, les forfaits par cas ont été introduits tardivement en comparaison internationale. (Source : Hochueli et al. 2017, propre représentation)

L’introduction du «Nouveau financement hospitalier» en 2012 – impliquant le libre choix de l’hôpital, certaines obligations de transparence, ainsi que des forfaits par cas basés sur les DRG – a créé les conditions pour une concurrence effective dans le secteur hospitalier helvétique. La Suisse a ainsi procédé à un changement de système, qui a déjà été mis en œuvre dans de nombreux pays européens il y a une dizaine d’années (voir figure). Le «Nouveau financement hospitalier» visait à accroître l’efficacité et la qualité des hôpitaux de soins aigus et, en même temps, de réduire les coûts des soins somatiques aigus. Toutefois, ce dernier point ne s’est pas concrétisé jusqu’à présent, notamment car les cantons continuent à privilégier les hôpitaux publics, ce qui freine les effets du «Nouveau financement hospitalier». Dans la publication «Une politique hospitalière saine», parue début février, Avenir Suisse a décrit en détail les réformes susceptibles de rompre avec l’«esprit de clocher» qui prévaut encore et la manière par laquelle la concurrence pourrait être renforcée dans le secteur hospitalier.

De plus amples informations sur ce sujet figurent dans l’étude «Une politique hospitalière saine».