Les groupes énergétiques paient chaque année près de 550 millions de francs de redevance hydraulique aux cantons et communes alpins. Ces avantages remontent à une loi de 1918, lorsque l’électrification était l’objectif premier de la politique énergétique suisse.

Dans le secteur énergétique actuel, imprégné d’économie de marché, les redevances hydrauliques sont en quelque sorte un corps étranger provenant de l’économie planifiée. Leur hauteur est calculée en fonction des capacités existantes et de l’eau courante. Le prix de l’électricité obtenu n’est ainsi pas déterminé par le marché, ce qui a récemment eu un impact négatif sur la rentabilité des producteurs d’électricité.

Dans un premier temps, et pour une période de deux ans, le Conseil fédéral veut réduire la redevance hydraulique maximale de 110 francs à 80 francs. En 2020 au plus tard, les redevances hydrauliques devraient être règlementées par une loi qui rétablit la compétitivité de l’hydroélectricité à long terme, tout en maintenant pour les cantons alpins une source importante de revenus.

Patrick Dümmler propose deux voies possibles :

  1. Flexibilisation du prix : le prix du marché obtenu détermine en grande partie le montant de la redevance hydraulique annuelle.
  2. Appel d’offres : cantons et communes attribuent des concessions pour 20 à 30 ans au plus offrant.

Dans les deux cas, on s’assure que les redevances hydrauliques sont en relation avec la valeur de marché de la ressource. Dans le premier cas, la base de la redevance se fonde sur les prix réels du marché ; dans le second cas, sur un calcul entrepreneurial. Nous attendons avec impatience l’issue de ce processus politique.

Avec une baisse constante du prix de l’électricité sur le marché, des montants aussi élevés qu’actuellement ne peuvent plus être maintenus pour les redevances hydrauliques. Le Conseil fédéral veut donc les réduire. Cependant, beaucoup de cantons et communes dépendent directement de ces revenus. Un compromis politique sur le montant des redevances hydrauliques n’est pas encore en vue.

Nicole Dreyfus : Tout d’abord, pourquoi les cantons et communes alpins reçoivent des redevances hydrauliques ? En quoi consistent-elles ?

Patrick Dümmler : En ce qui concerne le «pourquoi», ce système de redevance hydraulique est juridiquement ancré dans la loi fédérale depuis 1918. Celle-ci donne aux cantons des droits sur l’exploitation de leurs ressources hydrauliques. Les cantons peuvent déléguer ces droits d’utilisation, par exemple à leurs communes ; celles-ci peuvent à leur tour octroyer des concessions aux exploitants de centrales hydrauliques les plus offrants. On parle alors de remise d’électricité ou de concession. Mais l’utilisation de ces ressources en eau est assortie d’une taxe que les centrales hydroélectriques doivent payer au canton. C’est ce qu’on appelle la redevance hydraulique.

Vous l’avez dit, ce système est juridiquement fondé, ce droit d’utilisation est ancré ; il est en vigueur depuis presque cent ans et il n’a pratiquement pas changé depuis. Quels sont les effets ou les conséquences aujourd’hui de cette vieille loi ? Et qui en profite aujourd’hui ?

A l’époque où cette loi a été mise en place, l’environnement était différent d’aujourd’hui. Nous connaissons actuellement en l’Europe et sur le marché de l’électricité des développements qui n’étaient pas prévisibles à l’époque. Le prix de l’électricité a considérablement diminué : aujourd’hui, on paie environ 3 centimes par kWh (kilowattheure). Chaque centime payé en plus a un fort impact sur les coûts pour les compagnies d’électricité qui doivent rester concurrentielles sur le marché.

Une forte réduction des redevances hydrauliques est nécessaire pour renforcer la compétitivité de l’énergie hydraulique envers les autres sources d’énergie.

Dans la loi sur la redevance hydraulique, une des justifications à l’instauration de ce système était d’encourager l’électrification. C’est encore un autre point.

Oui, mais dans ce sens, l’électrification de la Suisse est bel et bien terminée. Le pays bénéficie depuis longtemps d’un approvisionnement en électricité largement suffisant. Mais l’aspect financier a un grand impact. Le système n’a pratiquement pas changé durant un siècle, mais par contre, le montant maximal de la redevance hydraulique a considérablement augmenté durant cette même période : de 8,16 francs par kilowatt à l’origine, à aujourd’hui 110 francs par kilowatt. Il s’agit d’une augmentation considérable. Pour les clients ou les entreprises d’électricité qui doivent payer la redevance, cela correspond à une charge financière de 1,6 centimes par kWh.

L’argumentation justifiant cette augmentation jusqu’au montant maximal de 110 francs s’est-elle modifiée au cours des années ?

La redevance hydraulique représente un aspect financier très important pour les cantons et communes alpins : ils veulent retirer un maximum de leurs ressources en eau. C’est pourquoi ces cantons et communes ont toujours exercé aussi une pression politique pour pousser à l’augmentation par étape. Le montant total des redevances hydrauliques payées à ces cantons et communes s’élèvent actuellement à environ 550 à 560 millions de francs par an. Les cantons du Valais et des Grisons sont ceux qui ont le plus bénéficié de ce système.

Allons encore un peu plus dans les détails. Ces 110 francs de redevance hydraulique, comment sont-ils calculés ? Comment en arrive-t-on à cette contribution ?

Le montant de 110 francs, fixé au niveau fédéral, est le montant maximal que les cantons peuvent pratiquer pour la redevance. Il est calculé sur la base de deux facteurs principaux :

  • Le volume d’eau (débit) moyen de l’eau courante disponible pour produire de l’électricité, d’une part ;
  • La capacité existante, d’autre part. Si une compagnie électrique installe de plus grandes turbines, sa contribution à la redevance augmente en conséquence.

Le calcul total se base sur des formules relativement complexes. Mais les deux composantes principales sont la capacité existante et le volume de l’eau courante disponible (débit d’eau). Il ne s’agit pas de facteurs issus du marché ou dépendants de ce dernier. En revanche, les compagnies électriques (qui paient la redevance hydraulique) sont dépendantes des développements du marché, notamment européen, sur lequel le prix de l’électricité a très fortement baissé.

Et c’est justement ici que réside le problème : ce n’est plus actuel.

Oui, c’est exactement cela. Les compagnies d’électricité se retrouvent de plus en plus sous pression. Elles doivent payer des redevances hydrauliques, qui sont des taxes fixes ne dépendant pas du marché et de ses évolutions, alors que le marché de l’électricité a énormément évolué. Tandis que la redevance a constamment augmenté en Suisse, le prix de l’électricité sur le marché européen n’a fait que baisser ; c’est là que réside le problème. Les compagnies paient toujours plus de redevances, alors qu’elles perçoivent de moins en moins de revenus.

Depuis presque un siècle, ces redevances hydrauliques ont constitué une source régulière et sûre de revenus pour les cantons et communes alpins. Est-ce qu’un nouveau régime est maintenant souhaitable ?

Il faut désormais trouver un nouveau régime pour succéder à l’actuel qui se terminera en 2019. Il y a évidemment un fort intérêt des collectivités publiques concernées à conserver un montant fixe de revenus, car la redevance constitue une source importante, voire principale, de revenus. Dans certaines communes, les redevances hydrauliques sont quatre fois plus élevées que les revenus des impôts ; le canton du Valais bénéficie d’environ 164 millions de francs par an. Réduire le montant des redevances fera mal aux finances des cantons concernés. Pour certains cantons ou communes, baisser la redevance signifie qu’ils devront augmenter les impôts et/ou économiser sur les coûts en conséquence.

D’un côté, les exploitants d’électricité veulent un nouveau régime qui réduit de 2/3 le coût de ces redevances hydrauliques et de l’autre, certains cantons verront alors leurs revenus s’écrouler. Comment peut-on concilier cela ?

Il est important de rechercher un socle à cette réforme de la redevance. Ce système, né il y a 100 ans, doit être réformé dans le sens d’une flexibilisation. Maintenir un montant fixe pour la redevance ne fait aujourd’hui plus de sens. La détermination du montant devrait intégrer des éléments tenant compte du marché de l’énergie. Cela signifie que tous les revenus de la redevance hydraulique, ou du moins une très grande partie de ceux-ci, devraient être dépendants du marché. Dans un contexte de libéralisation, les revenus générés sur le marché doivent refléter la valeur des ressources en eau.

Que propose Avenir Suisse pour remplacer un tel système ? Quelle est l’alternative libérale ?

Nous suggérons principalement deux possibilités :

  • Une flexibilisation de la redevance hydraulique : la plus grande partie du montant devrait être dépendante des prix du marché de l’électricité. On parle ici des coûts commerciaux au niveau européen. Ça serait une solution, mais elle devra être discutée au Parlement et au Conseil fédéral.
  • L’autre alternative, dont j’ai encore très peu entendu parler dans les discussions politiques, serait l’attribution de concessions hydrauliques aux plus offrants, dans le cadre d’appels d’offres. Cela s’est déjà fait en Suisse dans le domaine des télécommunications (concessions 3G UMTS). Cela pourrait aussi se faire dans le domaine des redevances hydrauliques. Ces concessions pourraient être délivrées pour une durée de 20 à 30 ans. Le prix serait ainsi fixé à la valeur estimée par l’acteur du marché le mieux offrant.

Nous avons dernièrement voté pour la nouvelle stratégie énergétique 2020, acceptée en mai. La réforme du régime des redevances hydrauliques est-elle liée à cette nouvelle stratégie énergétique ?

Le lien est ici assez indirect. La redevance hydraulique est en vigueur depuis une centaine d’années (1918). Le développement des énergies renouvelables sera évidemment subventionné par cette stratégie énergétique. Mais en même temps, les «vieilles» énergies renouvelables telles que l’énergie hydraulique véhiculent encore des charges supplémentaires, notamment du fait de la redevance. Cela empire encore la situation concurrentielle entre les différentes sources d’énergie, au détriment de l’énergie hydraulique. Une forte réduction des redevances hydrauliques est nécessaire pour renforcer la compétitivité de l’énergie hydraulique envers les autres sources d’énergie.

Cet article est une retranscription partielle de l'entretien entre Nicole Dreyfus et Patrick Dümmler «Langsamer Abschied von einer 99-Jährigen» (podcast uniquement disponible en allemand).