Sabine Pirolt: Les cantons romands, dont les caisses de pensions sont toutes en sous-couverture, méritent-ils un bonnet d’âne?

Jérôme Cosandey: Quand une caisse affiche un découvert massif, maintenir le privilège d’une primauté de prestations est difficilement compréhensible. Non seulement la majorité des cantons, mais aussi 93% du secteur privé ont adopté la primauté de cotisations. Dans ce système, la hauteur de la rente dépend uniquement des cotisations effectivement versées et de l’intérêt composé. Point-barre. En primauté de prestations, on fixe la rente en pour cent du dernier salaire, indépendamment de la réalité économique. C’est une promesse difficilement tenable qui, à la fin, doit être garantie par le contribuable.

Meinrad Pittet: Certainement pas! La plupart des caisses de pensions publiques romandes et plusieurs caisses de pensions publiques suisses alémaniques (CPPSA) ont adopté à partir des années 1965 un financement basé non plus sur la capitalisation intégrale, mais en partie sur la répartition des dépenses (système financier de l’AVS) et en partie sur la capitalisation. Cette démarche était tout à fait légale. C’est parce que les politiciens et la plupart des experts suisses alémaniques n’ont jamais com pris ou voulu comprendre le fonctionnement de ces systèmes financiers mixtes d’une part, et parce que la plupart des CPPSA ont adopté ces dernières années la primauté des cotisations d’autre part, qu’on en est arrivé à la situation actuelle basée sur de nouvelles exigences légales. Il est d’ailleurs amusant de remarquer que c’est à l’initiative d’un représentant romand de l’agriculture au Conseil national, Serge Beck, que l’on doit les nouvelles dispositions légales. L’énergie dépensée par M. Beck dans cette affaire n’auraitelle pas été plus utile à l’agriculture et au maintien du prix du lait à un niveau décent pour les paysans?

Les fonctionnaires sont-ils des privilégiés ?

Jérôme Cosandey: Dans le temps, c’était clairement le cas: la retraite à 60 ans, des possibilités de retraites anticipées sans perte de rente, une primauté de prestations. On justifiait ces privilèges par des salaires souvent plus bas que dans le privé. La rente vieillesse devait compenser cette différence. Aujourd’hui, ces traitements de faveur ont été abolis dans beaucoup de cantons, mais pas partout. Dans le canton de Vaud par exemple, l’âge de la retraite s’est élevé de 60 à 62 ans seulement, alors que le contribuable doit verser des milliards pour assainir la caisse.

Meinrad Pittet: Pourquoi? Parce qu’ils bénéficient de bonnes conditions de prévoyance? Tant mieux pour eux! A noter toutefois que ces conditions ont marqué le pas ces dernières années et que l’on assiste depuis une quinzaine d’années à une dégradation manifeste des conditions de prévoyance dans le secteur public. Cela est dû en partie à l’air du temps et en partie à un phénomène de mimétisme (il faut absolument faire comme dans le secteur privé). Malheureusement, l’uniformisation des pratiques dans les secteurs privé et public ne se fait pas en conservant le meilleur, mais en adoptant des règles qui transfèrent quasiment tous les risques à la charge de l’assuré. On assiste donc à un nivellement par le bas. C’est dommage. Ça manque de vision, de panache et d’ambition.

La situation va-t-elle changer pour eux dans les dix ans?

Jérôme Cosandey: Avec le nouveau droit fédéral, les caisses publiques ont dix ans pour rétablir l’équilibre entre prestations promises et préfinancement, c’est-à-dire atteindre un degré de couverture de 100%. Une exception est seulement possible si la caisse reçoit une garantie explicite de l’Etat. Dans ce cas, seules 80% des rentes doivent être préfinancées, d’ici à 2052 seulement… C’est le chemin choisi par la plupart des cantons romands. Dans tous les cas, certains privilèges doivent être abolis, ou les cotisations salariales augmentées. Les dix prochaines années sont une phase de transition importante pour les fonctionnaires.

Meinrad Pittet: Le 20 pilier est à un tournant historique puisque le Conseil fédéral va bientôt mettre en consultation un message important sur l’avenir de la prévoyance professionnelle en Suisse. Cet aspect des choses va concerner aussi bien les assurés du secteur privé que ceux du secteur public. Il est toutefois difficile, à l’heure actuelle, de prévoir ce qui va sortir de cette procédure de consultation, tant les opinions semblent divergentes.

Que pensez-vous des conditions de retraite des policiers genevois, quie peuvent s’en aller à 58 ans, en recevant 75% de leur dernier salair assuré?

Jérôme Cosandey: Les prestations de retraite, tout comme le salaire, les vacances, etc., font partie d’un tout qui doit refléter l’offre et la demande sur le marché de l’emploi. Je n’ai pas de problème avec une retraite anticipée dans la mesure où celle-ci est préfinancee, c’est-à-dire si le degré de couverture est supérieur à 100%. C’est le cas de la caisse des polices genevoises, mais toutes les caisses publiques offrant des retraites anticipées ne sont malheureusement pas dans cette situation.

Meinrad Pittet: N’a pas souhaité s’exprimer.

Devrons-nous travailler un jour jusqu’à 70 ans?

Jérôme Cosandey: Un rentier vit aujourd’hui sept ans de plus qu’en 1948, l’année où l’âge de la retraite a été fixé à 65 ans, pour les hommes comme pour les femmes d’ailleurs. Pourtant, rehausser cette limite reste un tabou en Suisse. Ce n’est pas le cas dans 12 des 34 pays de l’OCDE, les pays les plus industrialisés, où l’âge de la retraite a été relevé à 67 ans ou plus. La Suisse jouit d’une espérance de vie plus haute que celle de ces 12 pays, en fait, c’est la plus haute du monde! Repenser l’âge de la retraite me paraît alors légitime.

Meinrad Pittet: Je n’en sais rien! En ce qui me concerne, je suis bien heureux d’être à la retraite à l’âge de 65 ans. J’ai beaucoup travaillé et donné de ma personne pendant plus de 45 ans d’activité. Mais il est vrai que je bénéficie d’une retraite suffisante. Sur ce point, je suis d’accord avec le conseiller fédéral Alain Berset: il ne faut pas relever exagérément l’âge légal de la retraite, mais laisser la possibilité à tous les salariés de choisir leur âge de retraite entre 60 et 70 ans, avec bien sûr une adaptation en conséquence du niveau de leur retraite.

Cet interview a été publié dans «l'Hebdo» le 14. novembre 2013.