Et si nous avions soudainement une espérance de vie 110 ans ? Dans sa dernière publication, Avenir Suisse a examiné le scénario d’un tel bond hypothétique de l’espérance de vie du jour au lendemain et en a analysé les conséquences pour l’ensemble de la société et formulé des recommandations.
Un tel développement n’aurait pas seulement des conséquences sur le financement de notre prévoyance vieillesse. Il induirait également une autre organisation de la vie familiale (jusqu’à cinq générations), des carrières moins linéaires (une nouvelle formation à 70 ans ?) et une approche différente face aux avancées de la médecine (retrouvez le scénario complet ici).
Recommandations
Si le concept d’une espérance de vie de 110 ans ne correspond pas à la réalité sur les court et moyen termes, il souligne les tendances actuelles à l’allongement de la période de formation et à l’accroissement du besoin de réorientation professionnelle. Il faut s’affranchir de l’idée d’un cursus d’éducation en bloc concentré dans la première étape de vie. Il faudrait plutôt se diriger vers un modèle d’apprentissage tout au long de la vie.
Par exemple, l’idée d’introduire un compte de formation pourrait être revisitée (Schellenbauer et al. 2013). En se basant sur le système de bons de formation conçus par Milton Friedman dans les années 1950, chacun recevrait un montant crédité sur un compte de formation individuel et non transférable avec lequel il pourrait financer les prestations éducatives qu’il jugerait utiles. Le compte de formation pourrait être alimenté par étapes et il devrait permettre de financer une première formation plus courte et d’éventuelles formations continues ou reconversion tout au long du parcours professionnel.
Refonte de la prévoyance vieillesse
Même si l’espérance de vie n’atteint pas encore les 110 ans, elle continue toutefois d’augmenter à raison de plusieurs heures par jour. Notre sécurité sociale prévoyant un transfert financier de la part de la population active (qui n’augmente pas) à des rentiers toujours plus nombreux est ainsi à terme vouée à la faillite. Les cotisations salariales ne peuvent pas être augmentées sans fin sous peine de décourager le travail. Quant aux injections financières étatiques, elles étoufferaient l’économie par des hausses successives d’impôts.
Dès lors, une refonte de la prévoyance vieillesse s’impose. Le concept, vieux d’un siècle, d’un âge fixe de départ à la retraite doit être repensé. Il faut y renoncer et viser une définition plus dynamique tenant compte de l’évolution démographique et des changements sur le marché du travail. Non seulement une telle définition garantirait un financement plus durable de nos assurances sociales, mais elle permettrait aussi de sortir du discours stérile sur l’âge «guillotine» de 65 ans. Ainsi, l’âge de la retraite devrait être défini sur la base d’un nombre fixe d’années de cotisations – et donc d’un âge de départ à la retraite individuel dépendant de la biographie professionnelle de chacun. Ceux qui rentrent tôt sur le marché du travail, et qui ont par exemple un travail à pénibilité plus forte, pourraient partir plus tôt à la retraite. Par exemple, un carreleur formé qui commence sa carrière à 17 ans pourrait prendre sa retraite à 62 ans, tandis qu’un juriste qui entre sur le marché du travail à 25 ans devrait travailler jusqu’à l’âge de 70 ans. Indirectement, ce concept tiendrait compte du fait que l’espérance de vie est en corrélation avec le niveau d’instruction (Wanner 2012).
Le nombre d’années de cotisations devrait lui aussi être défini de façon dynamique, en exigeant qu’environ deux tiers des années d’espérance de vie gagnées doivent être dédiés à la vie active et un tiers savouré à la retraite.
Le basculement vers une logique d’années de contribution, plutôt que d’un âge fixe de départ à la retraite permet aussi de s’adapter à des carrières moins linéaires. Dans le système de prévoyance actuel, les interruptions de carrière, par exemple pour séjourner à l’étranger, poursuivre une formation ou fonder une famille, peuvent entraîner des pertes de rente considérables et rendre les individus dépendants de subsides de l’Etat.
Dans un système basé sur les années de contribution, prendre une année de «retraite anticipée» à 45 ans pour financer ses études ou sa reconversion pourrait ainsi être envisagé. Il suffirait ensuite de travailler une année de plus à 100 % ou deux années supplémentaires à 50 % avant la retraite pour compenser cette lacune de prévoyance.
Dans le long terme, en tenant compte de la durée de formation toujours plus longue, des interruptions de carrière plus fréquentes et d’un ajustement du nombre d’années de cotisations dépendant de l’espérance de vie, le départ à la retraite se situerait pour la plupart des citoyens entre 65 et 77 ans. Avec une augmentation constante de l’espérance de vie, cette fourchette serait vraisemblablement plus grande et l’âge de départ à la retraite en général plus haut. Dans le cas extrême d’une espérance de vie qui s’élèverait à 110 ans, cela offrirait toujours entre 30 et 45 années passées à la retraite, une durée bien plus conséquente qu’au début du XXIe siècle.
Puisque les carrières professionnelles deviennent de plus en plus individuelles et les changements de caps plus fréquents, l’institution de prévoyance devrait désormais suivre l’employé et ne plus être couplée à l’employeur. Ainsi, l’employé pourrait librement choisir son institution de prévoyance en fonction de ses besoins en termes de performance, de sa propension à prendre des risques, et de ses préférences en termes de standards éthiques d’investissements et ce, indépendamment de son parcours professionnel et de ses interruptions (Cosandey et Bischofberger 2013).
Diversifier le financement de la santé
Dans une société vieillissante, où le ratio de personnes fragiles par rapport au nombre de personnes bien portantes augmente (voir figure), la question de savoir quelle part des coûts de la santé devrait être prise en charge par chacun de manière individuelle et quelle part de manière collective gagne en importance. En analogie à la prévoyance vieillesse, on pourrait imaginer dans le domaine de la santé un financement combinant un système de répartition (une logique AVS) et un système de capitalisation individuel (une logique de deuxième pilier).
Ainsi, un catalogue de prestations de soins aigus devrait être financé collectivement selon le modèle actuel de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal). La couverture de ces besoins de bases pourrait être complétée par des assurances complémentaires adaptées aux besoins individuels. D’autre part, il faudrait instaurer un capital-soins individuel obligatoire pour financer les soins de longue durée (Cosandey et al. 2014). Chacun, à partir d’un certain âge, mettrait de l’argent de côté individuellement pour financer d’éventuelles prestations de soins de longue durée, qu’il s’agisse de soins ou d’encadrement, à la maison ou dans un EMS. En cas de décès, l’intégralité du capital non-utilisé pourrait être transmis aux héritiers. Un filet social doit toutefois assurer cette solution. Si une personne ne peut payer la prime ou si le capital-soins ne suffit pas, les coûts devraient être couverts par des moyens privés ou des prestations complémentaires comme c’est le cas aujourd’hui.
Avec les progrès technologiques, de nouvelles voies s’imposent également dans le domaine des traitements médicaux. Jusqu’au tournant du XXIe siècle, la médecine était toujours en retard sur la nature : les médecins menaient un combat inégal pour souvent, au mieux, reporter la mort de leurs patients. Aujourd’hui, il en va tout autrement. Tout ce qui est médicalement possible n’est pas forcément nécessaire ou souhaitable. Un traitement palliatif, par exemple, peut même souvent permettre une meilleure qualité de (fin de) vie, coûter moins et être plus efficace (Temel et al. 2017).
Qui doit alors prendre la décision du traitement adéquat ? Des choix individuels éclairés, qui se basent sur une information transparente par rapport aux bénéfices et aux conséquences négatives sur la qualité de vie, doivent rester la solution prioritaire.
Il faut ainsi encourager une meilleure information des patients et faciliter le déploiement des directives anticipées, cette sorte de testament médical qui permet aux individus de décrire, alors qu’ils sont en bonne santé, les traitements qu’ils aimeraient recevoir ou auxquels ils désirent renoncer, s’ils sont un jour gravement malades et incapables de discernement.
Lien vers le rapport de l’OCDE sur la politique économique de la Suisse : Economic Survey of Switzerland
Vous trouverez de plus amples informations dans la publication «Et si… ? 13 développements possibles et leurs conséquences pour la Suisse».