La Suisse a dit «oui» au mariage pour tous, faisant ainsi un pas en avant vers plus d’égalité. Néanmoins, il existe d’autres obstacles à lever dans le domaine du mariage, notamment en ce qui concerne la fiscalité des couples mariés. Aujourd’hui, l’imposition conjointe des couples mariés implique que le revenu des femmes – qui est en règle générale le second revenu du couple – soit imposé à un taux sensiblement plus élevé que s’il s’agissait d’un revenu imposé individuellement. Ce désavantage fiscal peut être perçu comme une «pénalisation du mariage», surtout si les deux partenaires gagnent un montant similaire. L’introduction de l’imposition individuelle permettrait non seulement de supprimer l’inégalité de traitement entre les couples mariés et ceux qui ne le sont pas, mais aussi d’améliorer l’égalité des chances entre hommes et femmes. C’est d’ailleurs ce qu’indique l’analyse relative à l’imposition individuelle récemment publiée par l’Administration fédérale des contributions (AFC).
Un principe, plusieurs modèles
Le principe de l’imposition individuelle est simple : chaque personne est imposée individuellement, indépendamment de son état civil. L’analyse de l’AFC, mandatée par le Parlement présente trois modèles.
- Imposition individuelle pure Le même taux d’imposition s’applique à tous et chaque partenaire ne paie des impôts que sur les revenus qu’il obtient. Le même principe s’applique à sa fortune. Le nombre de personnes qui doivent vivre de ce revenu n’est pas pris en considération. En d’autres termes, aucune mesure d’allégement n’est prévue pour les couples dont l’un des partenaires n’a pas de revenu.
- Imposition individuelle modifiée Ici aussi, le même taux d’imposition s’applique à tous, mais les couples avec un seul revenu sont déchargés – par exemple par une déduction, un transfert du revenu ou des déductions. En outre, certains éléments fiscaux sont attribués de manière forfaitaire : par exemple, les valeurs patrimoniales et les rendements qui en découlent pourraient être affectés paritairement. Etant donné que les ménages composés d’au moins deux adultes réalisent certaines économies ménagères (notamment au niveau des frais de logement), une déduction pour les personnes vivant seules ou les parents formant un ménage avec des enfants serait également envisageable.
- Imposition individuelle selon Ecoplan Avec ce modèle, proposé par Ecoplan, les ménages avec enfants disposent d’un allègement (en plus des déductions existantes liées aux enfants). Deux taux s’appliqueraient. Aucune mesure n’est prévue pour les couples à un revenu et pour les personnes seules.
A côté de ces trois modèles, d’autres options sont encore envisageables, comme différents tarifs, déductions, transferts du revenu ou des déductions qui peuvent être combinés de différentes manières.
A quelles conséquences faut-il s’attendre ?
Avec l’introduction de l’imposition individuelle, la pénalité fiscale sur les seconds revenus est supprimée, ce qui peut avoir une incidence sur les recettes fiscales, mais aussi sur la charge fiscale des différents types de ménages. L’ampleur de ces effets pour les contribuables dépend fortement de la configuration du système fiscal.
D’une part, en ce qui concerne les recettes, l’AFC décrit une variante sans incidence sur le produit de l’impôt dans laquelle les tarifs sont conçus afin que les recettes fiscales de l’impôt fédéral direct soient les mêmes que dans le système actuel. En conséquence, la charge fiscale est plus ou moins élevée pour les différents types de ménage (voir tableau). D’autre part, il existe une variante dans laquelle les tarifs sont adaptés afin que les charges supplémentaires puissent être largement évitées dans tous les types de ménage. Les charges fiscales de la plupart des ménages sont même allégées. Cette variante est donc associée à des pertes fiscales de 1,5 milliard de francs.
Afin d’obtenir les effets sur les recettes fiscales décrits ci-dessus, l’AFC étend ou contracte les tarifs applicables. Si le tarif est étendu, la charge fiscale est plus faible. Plus précisément, une extension par un facteur de 1,05 fait que chaque tranche tarifaire commence à un montant supérieur de 5 % (par rapport au revenu imposable exempté). Cette procédure est déjà utilisée aujourd’hui pour adapter les tarifs à l’inflation.
Dans la suite de l’article, les ajustements tarifaires ainsi que la charge fiscale modifiée (par rapport au statu quo) sont décrits selon les deux variantes. Il convient de noter que dans la variation de la charge fiscale, les types de ménage sont considérés comme un groupe. Même si un type de ménage dans son ensemble est taxé plus lourdement que dans le système actuel, les ménages individuels au sein du groupe peuvent être exonérés d’impôt. Outre le niveau de revenu dans le cas de l’imposition individuelle, la répartition des revenus au sein du ménage est également déterminante pour les rapports de charge – en règle générale, les couples mariés dont les revenus sont répartis de manière égale sont mieux lotis que dans le statu quo.
Comparaison des variantes proposées par l’AFC pour l’imposition individuelle
Variante sans incidence sur le produit de l'impôt | Variante associée à une baisse des recettes de 1,5 milliard de francs | |
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Pure | Barème fiscal Contraction du barème pour personnes seules par un facteur de 1,05 Variation (par rapport à aujourd'hui): Baisse de la charge: couples et célibataires sans enfants (notamment couples de retraités) Hausse de la charge: ménages avec enfants | Barème fiscal Extension du barème pour personnes seules par un facteur de 1,3 Variation (par rapport à aujourd'hui): Les charges supplémentaires peuvent être largement évitées dans tous les types de ménage. La répartition de l'allégement est similaire à celle de la variante sans incidence sur le produit de l'impôt. |
Modifiée | Barème fiscal Contraction du barème pour personnes seules par un facteur de 0,95 Variation (par rapport à aujourd'hui): Baisse de la charge : couples et célibataires sans enfants (notamment couples de retraités) Hausse de la charge : ménages avec enfants | Barème fiscal Extension du barème pour personnes seules par un facteur de 1,2 Variation (par rapport à aujourd'hui): Les charges supplémentaires peuvent être largement évitées dans tous les types de ménage. La répartition de l’allégement est similaire à celle de la variante sans incidence sur le produit de l’impôt. |
Tarif familial (selon Ecoplan) | Barème fiscal Contraction du barème pour personnes seules et familles par un facteur de 0,95 Variation (par rapport à aujourd'hui): Baisse de la charge : couples à deux revenus avec enfants et couples de retraités Hausse de la charge : tous les types de ménage (mais une légère charge supplémentaire pour les couples à un seul revenu) | Barème fiscal Extension du barème pour personnes seules et familles par un facteur de 1,2 Variation (par rapport à aujourd'hui): Les charges supplémentaires peuvent être largement évitées dans tous les types de ménage. La répartition de l’allégement est similaire à celle de la variante sans incidence sur le produit de l’impôt. |
Cependant, les taux d’imposition pourraient également être modifiés dans une autre mesure, entraînant les conséquences correspondantes pour les recettes fiscales et la charge sur les différents types de ménages. Dans une étude d’Ecoplan sur les effets de l’imposition individuelle, les taux d’imposition actuels ont été appliqués sans modification. Cela entraîne à la fois des pertes fiscales et des charges supplémentaires pour certains types de ménage. Selon les estimations de cette étude, l’introduction d’une imposition individuelle pure, par exemple, est associée à des pertes fiscales nettement plus faibles (160 millions de francs) que la variante du tarif familial (780 millions).
L’imposition individuelle augmente la participation au marché du travail des femmes
La discussion autour de l’adaptation du système fiscal se concentre généralement sur les effets financiers : qui paie plus, qui moins, et quelles pertes fiscales peut-on attendre ? On oublie souvent que les différents modèles fiscaux ont également des effets différents sur les incitations à travailler pour les revenus secondaires : en général, la charge fiscale pour ces seconds revenus est nettement moins élevée dans le cadre de l’imposition individuelle que dans le système actuel, ce qui a un effet positif sur l’emploi des femmes. Si un modèle comprend des mesures d’allègement pour les couples dont la répartition des revenus est inégale, l’effet sur l’emploi est atténué.
Selon le modèle, on peut s’attendre à ce que l’introduction de l’imposition individuelle au niveau fédéral et cantonal augmente l’emploi jusqu’à 60 000 emplois à plein temps. Dans l’analyse de l’AFC, comme dans de nombreuses autres études, les effets à long terme ne sont pas pris en compte. Cependant, l’augmentation de l’emploi des femmes n’a pas seulement un effet positif sur les recettes fiscales à moyen et long terme, mais elle accroît aussi leurs possibilités de carrière et améliore leur sécurité financière à long terme.
L’analyse de l’AFC montre clairement qu’il n’existe pas un seul modèle d’imposition individuelle. Au contraire, d’innombrables options sont envisageables, ayant des effets différents sur les recettes fiscales, sur la charge dans les différents types de ménages et donc aussi sur les incitations à travailler pour les femmes. Le modèle à privilégier dépend également des valeurs de la société. Indépendamment de cela, l’introduction de l’imposition individuelle est un autre pas important vers une plus grande égalité des chances.