En 2000 dejà, le Conseil fédéral publiait son message pour la reforme du 2e pilier. 11 proposait de baisser en treize étapes le taux de conversion de 7.2 à 6.65 % pour réduire les subventionnements entre actifs et retraites.

Une politique hésitante dès le début

Le parlement a été toutefois moins ambitieux et a relevé le taux cible à 6,8%, mais ramené le délai de transition à dix ans. Ainsi, les Chambres fédérales ont tenu uniquement compte de la hausse de l’espérance de vie jusqu’en 2015, mais pas de la baisse des taux de rendements. A l’époque, l’évolution boursière n’était pas encore (suffisamment) thématisée.

Le besoin d’agir vite fut toutefois reconnu. En 2004 déjà, soit un an avant même que la 1ère réforme entre en vigueur, un groupe de travail fut chargé d’élaborer de nouvelles bases techniques. Une baisse plus rapide, 2011 plutôt que 2014, et plus forte, jusqu’à 6,4%, fut proposée et acceptée par le parlement. Mais le projet fut refusé en référendum en 2010.

L’actuel projet de réforme de la LPP ressemble à une «happy hour» inversée : buy two, get only one ! (Aaron Burden, Unsplash)

Une autre réforme, Prévoyance Vieillesse 2020, proposant un taux de conversion de 6,0% échoua également devant le peuple en 2017. Le dernier projet en date, LPP 21, adopté par le parlement ce printemps, sera vraisemblablement soumis au référendum l’an prochain.

Face à l’immobilisme politique, les caisses agissent

Alors que le monde politique s’entredéchire, les 1500 caisses de pension n’ont pas attendu Godot pour agir. Le taux de conversion médian a été baissé année après année pour atteindre 5,25% en 2023. Une valeur bien en-dessous de l’objectif politique de 6,0%.

Cette baisse a été accompagnée de mesures de compensation afin que les pertes de rentes qui en découlent soient en partie amorties. Selon Swisscanto, le taux de remplacement de l’AVS et de la prévoyance professionnelle se monte à 70%, une valeur stable depuis cinq ans. Certes, ce taux a diminué ces dernières décennies. Mais il reste nettement supérieur à l’objectif de 60%, formulé lors de l’introduction du principe des trois piliers.

Les organes paritaires des caisses de pension n’ont pas seulement tenu compte des nécessités actuarielles, mais aussi de l’évolution du marché du travail. Aujourd’hui, plus d’un quart des caisses ont aboli la déduction de coordination qui pénalise le temps partiel, une forme de travail toujours plus répandue. Une caisse sur cinq calcule ce montant en fonction du taux d’occupation et deux sur cinq en fonction du salaire.

Un train de retard

La réforme LPP21 répond donc à un problème identifié il y a un quart de siècle. Mais entretemps, 91% des caisses appliquent un taux de conversion en-dessous du minimum LPP. 88% des institutions de prévoyance ont aboli ou flexibilisé le montant de coordination. La politique essaie tant bien que mal de rattraper le train qui est parti sans elle. Et le prix du voyage est élevé. Certes, la nouvelle réforme réduira de 400 millions de francs par an le subventionnement des retraités par les actifs. Mais les mesures de compensations consenties en échange coûteront aux actifs 800 millions de francs par an. C’est une «happy hour» inversée : buy two, get only one ! La réforme enfonce non seulement des portes ouvertes, mais elle renforce aussi les injustices intergénérationnelles.

Les problèmes sont ailleurs

La réforme en cours accapare la politique et la détourne des nouveaux défis. Depuis le retour de l’inflation, les tendances actuarielles s’inversent. Selon Swisscanto, pour la première fois depuis 1985, les attentes de rendement nominaux à long termes (le taux technique) remontent. Avec l’inflation, le maintien du pouvoir d’achat des retraités redevient une priorité. Toutefois, suite aux baisses successives des taux de conversion, il est important de différencier les retraités en fonction de leurs années de départ à la retraite. Il faut éviter les indexations « à l’arrosoir » et maintenir un équilibre entre les cohortes.

Cet équilibre doit également être garanti envers les actifs, qui eux aussi subissent l’inflation : sur leurs salaires réels, et donc leurs cotisations, mais aussi sur leurs avoirs de prévoyance. Si la rémunération de ces derniers est plus faible que l’inflation, leur épargne perd en valeur, et ainsi, celle de leurs rentes futures. C’était le cas en 2022, où la rémunération moyenne se montait à 1,9%, soit près d’un point de pourcentage de moins que le renchérissement de 2,8%. Si la politique s’empare du dossier de l’inflation dans la prévoyance, il est primordial qu’elle n’écoute pas seulement les appels des retraités, mais tienne aussi compte des intérêts des assurés en emploi.

Cet article a été publié dans l’édition n°7 de la revue Prévoyance Professionnelle Suisse.