En février, un postulat a été déposé au Parlement, demandant d’analyser l’introduction dans le 2e pilier d’un splitting des avoirs de vieillesse entre les pères et mères de famille. Si l’intention est louable – réduire les conséquences du travail à temps partiel – la piste envisagée est une fausse bonne idée.

Un vrai chiffre, un faux problème

Selon l’Office fédéral de la statistique, les rentes médianes dans le 2e pilier diffèrent selon le genre. En 2021, elles s’élevaient à 2100 francs par mois pour les hommes et à 1200 francs pour les femmes. Si les chiffres sont corrects, l’interprétation selon laquelle il y aurait un désavantage pour les femmes mariées est largement erronée. Les couples forment une entité économique. Ils gèrent ensemble leurs revenus, durant leur vie active comme à la retraite. Une statistique par genre qui ne tient pas compte de la situation du ménage délivre des résultats trompeurs. Les rentes des hommes publiées sont trop élevées pour les époux, car partagées avec leurs épouses, celles des femmes trop basses pour les épouses, ne reflétant pas l’apport de leur conjoint.

Les couples forment une entité économique dans le 2e pilier, tant qu’ils sont mariés. (Lucas van Oort, Unsplash)

Les différences d’avoirs dans le 2e pilier pourraient poser un vrai problème lors d’un divorce. La personne (souvent l’épouse) qui a renoncé à une activité lucrative pour s’occuper de sa famille pourrait se retrouver démunie lors de la séparation. Or, la LPP prévoit justement un splitting à cet effet, mais seulement au moment du divorce, qui garantit une répartition équitable des avoirs de vieillesse accumulés durant le mariage.

Les liens sacrés du… collectif

Introduire un splitting pour les époux avant un divorce revient à soigner une douleur fantôme d’un membre qui n’existe pas. C’est vouloir corriger un artéfact statistique qui n’a pas d’incidence sur la vie des couples mariés.

Le splitting existe certes dans l’AVS. Mais dans l’AVS, les prestations sont identiques pour tous. Ce n’est pas le cas du 2e pilier qui permet une prévoyance différenciée selon les branches et les corps de métier. Employeurs et employés définissent ensemble la solution de prévoyance qui répond au mieux à leurs besoins.

En introduisant le splitting avant le divorce, on fait exploser les frontières du collectif dans lequel les intérêts des employeurs et des employés étaient alignés. A quoi bon offrir une solution de prévoyance attractive pour recruter du personnel qualifié, si la moitié des avoirs fuit dans une autre caisse ? Un plan généreux de prévoyance permettra-t-il toujours de retenir les talents si la moitié de leurs avoirs sont assurés ailleurs ?

Une usine à gaz

Au-delà de la violation de ces principes centraux, un splitting dans le 2e pilier poserait de nombreux problèmes de mise en œuvre. Que faire si un des conjoints, sans emploi ou indépendant, n’est pas affilié à une caisse de pension ? Qui se porterait garant de l’argent investi ou pour assurer les rentes ? Que faire lorsque qu’une caisse de pension est en sous-couverture ? Les employeurs qui, souvent, participent plus fortement à l’effort d’assainissement, devraient aussi combler les lacunes pour des personnes qui n’ont jamais travaillé pour eux. Que faire en cas de liquidation partielle ? L’employée, assurée dans une caisse solide, risquerait de voir la moitié de ses avoirs prétérités par les décisions de la caisse de son époux, et vice versa. Qu’en est-il de la représentation paritaire dans le conseil de fondation ? Faut-il aussi prévoir, en plus des représentants des employés, des représentants des conjoints ?

Une affaire strictement privée

Les exemples le montrent : un splitting crée plus de problèmes qu’il n’en résout. Les différences d’avoirs dans le 2e pilier résultent certes des différences d’organisation dans les couples, mais elles ne reflètent pas la situation financière de l’époux et de l’épouse. Tant que les couples restent mariés, la gestion de leurs revenus est une affaire strictement privée. Ce n’est pas à l’Etat de dicter si un couple doit gérer ses finances de façon parfaitement communautaire ou en comptabilité séparée. Personne n’aurait l’idée d’imposer un splitting des revenus des conjoints sur leurs comptes salaires respectifs. Pourquoi alors imaginer une telle ingérence étatique dans le 2e pilier ?

La prévoyance professionnelle doit garantir un revenu de remplacement au-delà des prestations du 1er pilier. C’est sa force et sa raison d’être. Là où il n’y a pas de salaire, il ne faut pas de revenu de remplacement non plus. La prévoyance ne doit pas devenir un instrument de la bien-pensance ni un jouet de la politique.

Cet article a été publié dans l’édition 3/23 du magazine Prévoyance Professionnelle Suisse.