L’Union syndicale suisse désire lancer une initiative populaire pour introduire dans l’AVS une treizième rente mensuelle. En tenant régulièrement les journalistes à jour sur l’avancement de ce projet, les syndicats jouent habilement une carte politique qui leur garantit une couverture médiatique fournie avant les élections fédérales de 2019.
Un sentiment de déjà vu
Si la demande d’une treizième rente AVS paraît nouvelle, dans les faits, ce n’est qu’une autre requête pour augmenter selon la politique de l’arrosoir les rentes de tous les retraités, riches ou pauvres. Cette exigence est à quelques décimales près la même que celle prévue alors par l’initiative « AVSplus » en 2016. Cette dernière proposait une augmentation de 10% des rentes, la nouvelle « seulement » de 8,3% (soit 13/12).
Le moment choisi pour cette campagne laisse aussi un sentiment de déjà-vu. AVSplus avait été lancé en amont de la réforme Prévoyance Vieillesse 2020, telle une épée de Damoclès brandie sur les parlementaires insuffisamment généreux envers la gauche minoritaire. Cette menace a amené le Conseil des États à suggérer une augmentation des rentes de 70 francs par mois pour tous les nouveaux retraités juste avant la votation populaire sur AVSplus. Mais si l’initiative a finalement été rejetée par 59% des voix, le montant de 70 francs est resté définitivement ancré dans le projet de loi. Ces 70 francs mensuels étaient censés être le lubrifiant pour faire passer la réforme. Selon les analyses des votes, ils ont bien plus été les grains de sable qui ont bloqué le projet.
L’aide sociale plus efficace ?
Evidemment, les syndicats ne présentent pas leur nouvelle initiative comme un instrument tactique en année électorale ou en amont des débats sur la prochaine réforme « AVS 21 » qui débuteront cet été. Ils mettent en avant le soi-disant meilleur rapport coût/bénéfice de l’AVS comparé au deuxième pilier, car bien des retraités recevront plus que ce qu’ils ont cotisé. Mais cette comparaison est boiteuse. Dans un système de redistribution, la situation des receveurs est par définition plus avantageuse. Dans cette logique, l’aide sociale serait encore plus efficace que l’AVS. Les personnes soutenues reçoivent des subsides alors qu’elles ne paient pas d’impôts. Est-ce là un indicateur de l’efficacité de l’aide sociale, un élément pertinent de comparaison avec d’autres assurances sociales ? Bien sûr que non.
Ratio coût/bénéfice sous la loupe
Pour vraiment comparer le rendement du premier et du deuxième pilier, il faut ignorer la propagande politique et se tourner vers les modèles économiques. Ainsi, le rendement interne d’un système de répartition, tel que l’AVS, équivaut au taux de croissance de la masse salariale totale dans un pays moins les frais de gestion. Le rendement de l’AVS dépend donc de l’évolution du nombre de salariés, migration incluse, et de celle des salaires individuels. Dans le deuxième pilier, le rendement des capitaux investis, l’intérêt composé et l’échelonnement sur les années des cotisations salariales, moins les frais de gestion, déterminent la performance.
Dans une analyse détaillée, Roger Baumann et Jan Koller ont ainsi comparé les rendements des deux systèmes en Suisse. Le résultat ne plaira pas aux syndicats : entre 1985 et 2015, le 2e pilier affiche un rendement, après frais de gestion, de 3,5% contre 1,7% pour l’AVS.
Diversification des risques
Certes, le 2e pilier est soumis à de plus fortes fluctuations, comme les résultats négatifs de 2018 nous l’ont rappelé. Mais la croissance de la masse salariale, déterminante pour l’AVS, va probablement ralentir suite à une immigration plus faible. Et l’évolution des salaires dépendra entre autres de l’avenir de nos relations avec l’Union européenne, des conséquences d’un protectionnisme mondial croissant et de l’effet de la numérisation sur l’emploi.
Plutôt que de monter un pilier contre l’autre, il est plus pertinent de relever que les deux systèmes affichent des performances comparables dans le long terme, bien qu’étant financés de façons différentes. Ce dernier point est un garant de stabilité, car il permet de diversifier les risques : une exposition au marché du travail domestique pour l’AVS, des fluctuations des marchés des capitaux en Suisse et dans le monde pour la prévoyance professionnelle. Les deux piliers sont ainsi complémentaires. Certes, tous deux ont besoin de réformes. Mais renforcer l’un au détriment de l’autre n’améliorera pas la stabilité de l’ensemble de notre système de prévoyance.
Cet article est paru dans l’édition de mars de la revue «Prévoyance Profesionnelle Suisse».