Le mouvement des Makers (ou faiseurs) est né officiellement avec la publication du magazine MAKE en 2005 aux États-Unis. Magazine fondé par deux célèbres funs du mouvement O’Reilly et Dale Dougherty. Mais les Makers trouvent leurs origines bien plus loin dans la culture américaine du DIY (Do It Yourself) des radios amateurs d’entre deux guerres, des modélistes de tout bord et notamment ceux qui ont récemment développé les drones. En effet, la principale usine de fabrication des drones (3D Robotics) se trouve à San Diego et a été créée par deux Makers (Chris Anderson et Jordi Muftoz). Le mouvement des Makers est typiquement représenté par ces «bidouilleurs» électroniques, ces passionnés de robotique et ces amateurs d’imprimantes 3D. Ils font partie de la «classe créative», si chère à Richard Florida, et sont en train de révolutionner en profondeur l’industrie traditionnelle. Petit récit d’un grand chambardement à venir.

Plusieurs caractéristiques marquent le changement actuel dans la culture du «Do It Yourself» propre aux Makers, à savoir la création de lieux, d’espaces où ils se réunissent pour inventer, partager et fabriquer. On les surnomme les «Hackerspaces» comme celui de Tenebras Lux à Genève ou TechShop, FabLab ou encore Creative Center et comme celui du Swiss Creative Center à Neuchâtel. Bref, les créatifs ne sont plus dans leur coin à bricoler leurs prototypes mais désormais communiquent, collaborent ensemble, ils co-créent. En mélangeant leurs différentes compétences, leurs différents backgrounds, ils participent au «design thinking», à savoir une conception coproduite sans propriété intellectuelle ou dépôt de brevet. En effet, ceci est la deuxième caractéristique du mouvement des Makers, ils partagent gratuitement en copyleft ou en «creative common» leur invention qui souvent sont au final de simples fichiers digitaux, et donc téléchargeables sur Internet.

Cette conception de l’open source permet le développement de produits, d’objets physiques voire de machines ou de systèmes librement accessibles sur Internet. Les informations, les données et les algorithmes sont tout simplement mis à disposition de tous en tout temps et en tout lieu. Cette approche du «libre» ne concernant donc pas seulement le software mais également le hardware. À partir de cette mise en commun, il est possible de rajouter des éléments à ce que les autres ont créé, on parle alors de «mash-up» pour désigner cette technique d’ajout constructif et mis à la disposition de tous. Il est clair que de telles pratiques vont changer la donne pour les milieux industriels basés jusqu’à aujourd’hui sur la confidentialité, la propriété intellectuelle et les brevets! Il faudra s’y habituer. L’autre grande caractéristique issue de ce mouvement réside dans la capacité de se lancer des défis. Prenons un exemple. En 2005, l’ingénieur anglais Adrian Bowyer lança le projet RepRap (Replicating Rapid Prototyper) sous forme de pari. L’idée était de construire en Open Design et Open Source une imprimante 3D. Quatre machines furent ainsi inventées: Darwin en 2007, Mendel en 2009, Prusa Mendel et Hurley en 2010. Toutes étaient reproduisables et téléchargeables depuis Internet. Aujourd’hui plusieurs milliers de ces imprimantes 3D ont été construites partout dans le monde. La plus connue étant l’Ultimaker que l’on peut se procurer pour environ mille quatre cents francs. En y apportant sa touche et ses remarques, des communautés sont ainsi nées faisant fi des frontières et de l’industrie classique. Le projet RepRap a été une démonstration efficace d’un système évolutif en milieu industriel comme le projet Wikipédia l’a été pour le savoir encyclopédique. Jamais dans toute l’histoire de l’humanité, on a assisté à la fabrication collective d’une machine à cette échelle d’implication planétaire.

Une autre caractéristique de ce mouvement émergent est le concept de «Fair» ou de «Mini Makers Fair» consistant à de grands rassemblements réunissant localement ou internationalement des Makers pour des expositions, des conférences, des workshops, des échanges, du réseautage dans une ambiance de découverte et d’expérimentation. Des «Woodstock de la bidouille», des «Paléo du copyfree», des moments d’exploration et de liberté de faire vont finalement marquer la montée en puissance de ce mouvement dont il est difficile d’en mesurer les effets mais que l’on peut entrevoir comme celui de la fabrication décentralisée. Notre modèle industriel avait développé la production de masse alors que les Makers inventent la décentralisation de masse. Télécharger des objets, éléments mécaniques, produits, machines et systèmes partout dans le monde en le (re)fabriquant localement sera de l’ordre du possible. Cette manière de (re)distribuer les compétences de fabrication annonce la fin de la concentration industrielle pour une ère de la production distribuée. Une sorte d’AOC industrielle est en train de naître, entrainant dans son sillage une vraie révolution industrielle et sociétale.

Cet article est paru dans «L'Agefi» du 9 août 2013.