Comme pour le calcul du produit intérieur brut (PIB), le phénomène peut être analysé du point de vue de la production ou de la dépense. En outre, les externalités jouent un rôle majeur, notamment dans le domaine du transport motorisé. Ces trois aspects seront abordés ci-dessous afin de replacer la question de la mobilité durable dans un contexte économique.

La perspective de la production

Contrairement à nos pays voisins, il n’y a pas en Suisse de constructeurs automobiles de renommée internationale. Cela ne signifie pas pour autant que le pays ne joue pas un rôle dans l’industrie automobile. D’une part, de grandes entreprises de sous-traitance sont sises en Suisse, et d’autre part, les véhicules sont entretenus localement – ces deux activités jouent certainement un rôle dans l’économie suisse.

Avec une définition très large de l’industrie automobile, Auto Suisse estime que le secteur réalise un chiffre d’affaires de près de 94 milliards de francs suisses, compte près de 20 000 entreprises et emploie 226 000 personnes. Toutefois, ce chiffre est susceptible de surestimer le secteur, car il inclut un double comptage. Selon une analyse sectorielle plus précise de l’Université de Zurich, l’industrie automobile employait environ 34 000 personnes en Suisse en 2018 et générait un chiffre d’affaires de 12,3 milliards de francs. L’étude a identifié près de 600 entreprises appartenant au secteur. En principe, on peut dire que l’industrie automobile est relativement petite. En comparaison, la Suisse compte près de 600 000 entreprises sur le marché et son PIB est d’un peu moins de 700 milliards de francs.

Parallèlement, les changements structurels affectent également l’industrie automobile suisse. Les services gagnent en importance par rapport à la production, et les changements technologiques maintiennent les entreprises sur le qui-vive. En 2018, par exemple, plus d’un quart de toutes les entreprises travaillant dans le secteur ont déclaré que leurs produits les plus importants pouvaient être attribués au moteur à combustion classique. Toutefois, ces dernières années, on a observé une nette évolution vers des produits destinés aux voitures électriques, les jeunes entreprises étant particulièrement actives dans ce domaine.

Ainsi, même s’il n’y a pas (ou plus) de constructeurs automobiles suisses de renommée internationale, l’industrie locale en tant qu’industrie de sous-traitance est également fortement touchée par la tendance à la mobilité électrique. Enfin, les entreprises sont étroitement intégrées dans les chaînes de valeur internationales, en tant qu’acheteuses également – seuls 5% des entreprises s’approvisionnent exclusivement sur le marché intérieur.  Le passage à la mobilité électrique et aux carburants synthétiques laissera donc également des traces dans le paysage des entreprises suisses, même si l’impact de cette technologie sur les fournisseurs suisses traditionnels sera probablement moins prononcé en raison de la compatibilité des carburants synthétiques avec les technologies existantes.

La perspective de la dépense

L’automobile en tant qu’objet de production et de services joue donc un rôle important, mais pas prédominant en Suisse. La situation est différente lorsque l’on considère l’aspect dépense des véhicules à moteur. Le trafic routier motorisé est au cœur de la mobilité en Suisse. Les véhicules motorisés représentent environ trois quarts des passagers-kilomètres parcourus. Il faut ajouter à cela le transport de marchandises, auquel la route a contribué à hauteur de plus de 17 000 millions de tonnes-kilomètres en 2018.

La mobilité est donc un élément important de notre vie économique moderne. Elle n’est pas seulement la base de divers processus de production et de services économiques, mais joue également un rôle central dans nos activités de loisirs. Près de la moitié des distances parcourues en Suisse dans le cadre de transport de passagers sont imputables aux loisirs.

Enfin, si l’on examine l’évolution à long terme, on constate que le nombre de véhicules à moteur immatriculés augmente depuis les années 70 – tant en chiffres absolus que par habitant. | 5 Les kilomètres parcourus dans le cadre du transport privé de personnes augmentent tous les ans. Toutefois, un ralentissement de cette évolution peut être observé ces dernières années.

Une question d’externalités

Avec la diffusion et l’utilisation accrues des véhicules à moteur en Suisse, la question des externalités est également devenue plus virulente. En économie, on parle d’externalités lorsque certains effets d’une activité ne sont pas compensés ; dans le cas d’externalités négatives, cela signifie que les coûts sont répercutés sur des tiers. Divers externalités négatives se produisent dans le domaine de la mobilité.

D’une part, les autres usagers de la route sont affectés par des externalités, telles que les accidents ou les embouteillages. Par exemple, les durées des embouteillage sur les routes nationales ont doublé en quinze ans pour atteindre plus de 25 000 heures, tandis que le nombre d’accidents ayant causé des dommages corporels dans la circulation routière a diminué de 24% au cours de la même période.

D’autre part, les non-usagers de la route sont également concernés. En Suisse, le trafic est la principale cause de pollution sonore. En outre, certaines émissions des véhicules à moteur ont un impact sur les maladies respiratoires. Il y a cinq ans, les économistes ont estimé le coût du transport motorisé en Suisse sur les deux facteurs «air sain» et «bruit» à environ 4,8 milliards de francs. Les externalités sur le climat, en revanche, sont calculées à un peu moins de 1,5 milliard de francs suisses.

Les externalités négatives sont une forme de défaillance du marché. Comme les usagers des transports ne doivent pas supporter tous les coûts de leur activité, ils consomment trop de mobilité. Cela conduit à une mauvaise allocation, à une utilisation excessive de ressources rares et à une perte de prospérité économique.

Ce n’est qu’en établissant une correspondance entre les coûts privés et macroéconomiques que l’on peut obtenir un meilleur résultat. Sur le plan économique, on parle d’une internalisation des externalités négatives. En fonction des externalités, cet objectif peut être atteint grâce à diverses mesures. Certaines d’entre elles ont également un effet simultané sur différentes externalités – avec parfois même des effets opposés. Enfin, le progrès technologique joue un rôle important dans la réduction des externalités. Les véhicules les plus récents, par exemple, sont plus silencieux, plus efficaces et plus propres, c’est-à-dire qu’ils consomment moins de carburant et émettent moins de gaz d’échappement.

Réalisation optimale des objectifs climatiques

Dans le débat politique actuel, l’internalisation de l’impact climatique des transports est au premier plan. Les autorités de régulation exigent de toute urgence une réduction des émissions de gaz à effet de serre, en fixant un objectif de 95 grammes de CO2 par kilomètre pour les nouvelles voitures de tourisme en Suisse depuis 2020. Mais ce qui est plus décisif pour l’environnement, c’est la quantité de CO2 émise par un véhicule sur toute sa durée de vie. Par exemple, un véhicule à fortes émissions de CO2, peu conduit, peut faire mieux en termes d’environnement qu’une petite voiture économe en énergie qui parcourt des dizaines de milliers de kilomètres par an.

Une taxe sur les carburants fossiles – basée sur leur teneur en carbone – serait par conséquent plus efficace pour atteindre les objectifs de la politique climatique. La Suisse applique déjà une taxe sur les combustibles (principalement pour le chauffage), qui a été progressivement augmentée depuis 2008 et qui s’élève actuellement à 96 francs par tonne. La particularité de ce programme est qu’environ deux tiers des fonds collectés de cette manière – environ 1,2 milliard de francs – sont redistribués, tandis qu’un tiers est actuellement consacré au programme Bâtiments. Cela permet de soutenir les rénovations énergétiques . Les options suivantes sont disponibles pour une taxe sur le CO2 des carburants :

Tout d’abord, par analogie avec les combustibles, la redistribution de la taxe sur le CO2 des carburants à la population. Toutefois, pour avoir un effet incitatif, c’est-à-dire pour réduire sensiblement la consommation, la taxe devrait probablement être fixée à un niveau relativement élevé.

Deuxièmement, l’achat de certificats (nationaux) afin d’être autorisé à émettre du dioxyde de carbone, par exemple en devant obtenir les certificats lors de l’importation de la source d’énergie. La quantité de CO2 émise pourrait donc être plafonnée assez facilement en ne mettant pas en circulation plus de certificats que ne le prévoit le processus de réduction. Un problème fondamental se pose ici, celui de la «grandfathering», c’est-à-dire l’attribution initiale des certificats, ainsi que la petite taille du marché suisse. Ce dernier point pourrait être résolu par une collaboration étroite de la Suisse avec l’Union européenne.

Une troisième possibilité serait de compenser les émissions de CO2, c’est-à-dire de financer des projets qui permettent d’économiser à nouveau la même quantité de CO2 par rapport aux émissions. Actuellement, les importateurs de carburants en Suisse ont une obligation qui permet la compensation d’environ 10% des émissions de CO2 dues aux transports par des projets nationaux . Toutefois, étant donné que du point de vue de la technologie climatique, peu importe l’endroit du monde où le CO2 est émis ou économisé, les mesures doivent être cofinancées là où les réductions de CO2 peuvent être réalisées le plus efficacement. Cela peut, mais ne doit pas nécessairement, se faire en Suisse.

Selon une approche politique réaliste, plusieurs mesures continueront à être prises à l’avenir pour réduire les externalités du transport privé motorisé. Cependant, elles ont toutes en commun une tendance à la hausse des coûts de la mobilité. Dans les prochains mois, la Suisse prendra des décisions politiques qui auront un impact décisif sur l’avenir des transports. Le diable se cache dans les détails, mais un principe doit être respecté : les mesures doivent être fondées sur le critère économique d’efficacité, c’est-à-dire que la réduction des externalités doit être effectuée au coût le plus bas possible afin d’éviter les pertes de prospérité. Une base importante pour cela est que le législateur ne prescrive ni ne favorise de technologies spécifiques, mais se contente de fixer les objectifs et de définir les conditions-cadre. Si possible, il convient de laisser aux acteurs le soin de décider comment atteindre les objectifs.