Les héritages apparaissent comme un cadeau tombé du ciel : perçus sans travailler, souvent exonérés d’impôts et donc entachés d’un certain soupçon d’indécence. Ce que l’on oublie souvent, c’est que la fortune transmise a déjà été imposée à plusieurs reprises. En effet, celui qui gagne de l’argent aujourd’hui, le place, l’investit et le transmet plus tard, paie toute une série d’impôts. Au bout du compte, cela pèse davantage qu’on ne le croit.

Un petit exercice permet de montrer la charge fiscale réelle et ses répercussions : trois personnes de la ville de Genève s’engagent dans un projet et gagnent ainsi 10’000 francs supplémentaires qu’elles placent et transmettront dans 25 ans. La première personne est un employé au revenu médian, la deuxième un entrepreneur, la troisième un multimillionnaire. Leur objectif est le même, mais la charge fiscale diffère considérablement.

Ce qui reste réellement après impôts

Dans un monde hypothétique exempt d’impôts, les trois auraient finalement obtenu environ 32 250 francs en investissant le revenu supplémentaire (voir l’encadré pour les hypothèses). Mais cela reste de la théorie. En réalité, l’argent est soumis à différents impôts au cours des 25 années.

Le fisc intervient dès le versement des 10’000 francs. L’impôt sur le revenu est progressif : plus le revenu total est élevé, plus le taux d’imposition est élevé. Le multimillionnaire, qui a déjà des revenus élevés, verse déjà plus d’un tiers de son revenu supplémentaire à l’Etat. L’employé au revenu médian conserve, en pourcentage, une part plus importante.

Ce qui reste est soumis à l’impôt sur la fortune. Il est prélevé chaque année et augmente avec le montant de la fortune. Sur 25 ans, cela conduit à une charge progressive considérable, surtout pour les fortunes élevées.

A cela s’ajoute le fait que celui qui investit sa fortune obtient dans le meilleur des cas des revenus intéressants, mais doit à son tour payer des impôts sur ces revenus. Les gains en capital issus de la fortune privée sont exonérés d’impôt en Suisse. Les distributions de la fortune investie, par exemple sous forme de dividendes et d’intérêts, doivent cependant être imposées en tant que revenu.

25 années plus tard, le résultat est clair (voir graphique) : les 10’000 francs initialement investis se sont transformés en 32’100 francs pour l’employé au revenu médian. Il reste 18’575 francs à l’entrepreneur et 13’375 francs au multimillionnaire. La comparaison met en évidence trois enseignements importants :

  1. Aujourd’hui, les fortunes sont déjà fortement imposées : les impôts sur le revenu et la fortune s’additionnent pour atteindre des montants considérables. Le multimillionnaire paie 7’800 francs sur 25 ans, soit plus des trois quarts de son investissement initial.
  2. Les impôts ont un coût d’opportunité : la fortune étant imposée en permanence, cette partie ne pourra pas être employée pour d’autres investissements. Ce manque à gagner, c’est-à-dire le coût d’opportunité de l’imposition, s’accumule sur 25 ans.
  3. Les fortunes sont fortement redistribuées : pour le même montant initial, le multimillionnaire paie la première année plus de 700 fois plus que l’employé au revenu médian, uniquement en raison des impôts sur le revenu et la fortune. Car l’employé au revenu médian ne paie pratiquement pas d’impôts à Genève.

Conclusion : dans notre exemple, il reste moins aux personnes aisées en termes nets. Plus la fortune est importante, plus la charge est lourde. C’est ce que veut le système fiscal progressif. Les personnes ayant une plus grande capacité contributive doivent contribuer davantage au bien commun. La question de l’ampleur et des limites de cette redistribution reste toutefois ouverte.

Si les successions devaient aussi être imposées…

Un impôt sur les successions alourdirait davantage la charge. Différents aménagements sont envisageables. Une initiative populaire récemment déposée demande par exemple qu’un impôt supplémentaire de 50 % soit payé sur les successions de plus de 50 millions de francs. Si cette proposition était mise en œuvre, le multimillionnaire n’aurait plus que 6’700 francs sur les 32’250 francs potentiellement touchés. Au total, 79 % de cette fortune potentielle disparaîtrait à l’imposition.

Si l’on suit les descendants du multimillionnaire pendant une autre génération, sur les 104 000 francs potentiels après 50 ans, il ne resterait plus que 6 900 francs à transmettre. Pas moins de 93 % auraient été absorbés par la fiscalité. Ce qui resterait ne correspond même plus au revenu supplémentaire initial de la grand-mère.

Bien entendu, il ne s’agit là que d’un scénario possible parmi d’autres. Les différences entre les personnes dépendent par exemple du lieu de résidence : ainsi, l’employé de Zoug ne paierait aucun impôt sur le revenu ou la fortune. En revanche, le multimillionnaire de Lausanne aurait encore moins d’argent après 25 ans que s’il était domicilié à Genève.

De plus, les personnes disposant d’une grande fortune peuvent la structurer de manière très différente : par le biais de l’immobilier, de participations dans des entreprises, de fondations ou de placements à l’étranger. Le rendement concret et la charge fiscale varient en fonction de la manière dont la fortune est répartie.

La plupart des scénarios ont un point commun : l’impôt sur la fortune et l’impôt sur le revenu prélevés chaque année ont un impact considérable au fil des ans, car ils sont fortement progressifs. De plus, l’impôt sur la fortune touche également ceux qui ne perçoivent pas de revenus courants. En effet, il ne taxe pas les revenus, mais la substance, c’est-à-dire la simple détention de la fortune. Ce type d’impôt agit donc comme une sorte d’impôt minimum pour les riches.

Chacun peut se faire sa propre opinion sur l’impôt sur les successions. Mais avant de se prononcer, il faudrait prendre connaissance de l’actuelle charge fiscale et de l’effet redistributif du système aujourd’hui. Et c’est là que l’on voit que les successions sont la fin d’une longue histoire fiscale, et non son commencement.

Encadré: Les trois Genevois

Pour les calculs des exemples fictifs, nous utilisons les hypothèses de base suivantes :

Employé au revenu médian
Entrepreneur
Multimillionnaire
Revenu (CHF)
85'000
250'000
1'000'000
Fortune (CHF)
150'000
5'000'000
50'000'000
Gains en capital (p.a.)
2.5%
2.5%
2.5%
Distributions (p.a.)
2.5%
2.5%
2.5%

L’Office fédéral de la statistique chiffre le salaire médian en Suisse à 6788 francs par mois pour l’année 2022. Selon l’UBS Global Wealth Report, la fortune médiane d’une personne adulte en Suisse s’élève à 171 035 dollars américains pour l’année 2023. C’est sur cette base que nous définissons l’employé au revenu médian. L’entrepreneur et le multimillionnaire sont choisis de manière hypothétique. Ce dernier dispose d’une fortune d’au moins 50 millions de francs et serait donc concerné par «L’initiative pour l’avenir».

Employé au revenu médian
Entrepreneur
Multi-millionnaire
Revenu supplémentaire (CHF)
10'000
10'000
10'000
Impôt sur le revenu
3.11%
16.64%
31.7%
Impôt sur la fortune
0.2‰
4.7‰
6.3‰
Après 25 ans sans impôts (CHF)
32’251
32’251
32’251
Après 25 ans avec impôts, sans successions (CHF)
30’577
21’715
15’607
Charge totale
5.19%
32.67%
51.61%

Les taux d’imposition correspondent à la charge fiscale totale en pourcentage à Genève pour l’année 2024 pour une personne célibataire avec deux enfants dans chaque scénario (voir les statistiques de l’AFC sur la charge fiscale, 2025). Le calcul n’a volontairement pas été effectué avec des taux d’imposition marginaux, mais avec la charge fiscale totale moyenne, afin d’obtenir une estimation conservatrice.

Le rendement s’appuie sur l’évolution moyenne du marché suisse des actions (5,6 % en termes réels par an depuis 1926 selon Pictet). Après déduction des frais, il reste un rendement annuel d’environ 5 %. Historiquement, les dividendes ont contribué à 50% du rendement total, les 50 % restants étant dus à l’évolution positive des cours (ZKB, 2025). Nous avons repris cette répartition à moitié pour notre exemple.

Aujourd’hui, seule une personne sur dix en Suisse hérite avant l’âge de 60 ans (AXA, 2023). Avec une espérance de vie d’environ 85 ans, il reste donc une période de 25 ans avant que l’héritage initial ne soit transmis à la génération suivante. En conséquence, nous avons fixé l’horizon de placement à 25 ans.

Pour les hypothèses retenues, les taux d’imposition respectifs sont déterminants pour la charge totale.