Lors de la première année de pandémie, les titres de presse faisaient état des clôtures d’exercices des cantons. Avec un certain étonnement, ces derniers avaient clôturé 2020 avec 2 milliards de francs de plus que prévu dans leur budget. Un an plus tard, curieusement, la presse ne se penche pas sur les comptes des cantons qui affichent pourtant un résultat net cumulé supérieur de 6,8 milliards de francs par rapport au budget initial.

Alors que 22 cantons avaient prévu un déficit pour 2021 dans leur budget, seuls 6 d’entre eux ont enregistré une perte ; les 20 autres ont affiché des excédents (parfois importants). Au lieu d’un déficit cumulé de 3,9 milliards de francs, un excédent cumulé de 2,9 milliards de francs a été réalisé. Les plus grands écarts, par rapport aux recettes totales de l’année précédente, ont été enregistrés dans les cantons des Grisons (18 %), de Zoug (15,1 %), de Zurich (11,4 %) et de Schwyz (9,6 %). Comment expliquer ces prévisions, parfois très mauvaises ?

Les Grisons

L’écart indiqué ci-dessus de 18 % correspond à 446 millions de francs. Plus de la moitié de cet écart résulte d’une budgétisation beaucoup trop pessimiste des transferts : par rapport à ce qui avait été anticipé, les revenus de transferts ont été supérieures de 171 millions de francs, tandis que les charges de transferts ont été inférieures de 90 millions de francs. Le revenu supplémentaire est principalement dû aux mesures de la Confédération pour les cas de rigueur liées à la pandémie de Covid-19. Ils ont été nettement plus importants que prévu. Les parts cantonales à l’impôt anticipé et aux impôts fédéraux directs ont également nettement dépassé les montants budgétisés.

Par ailleurs, les Grisons ne s’attendaient pas à ce que la BNS multiplie par six la distribution du bénéfice. Il était (tout de même) prévu de quadrupler le budget, ce qui correspond à une sous-estimation effective de 31 millions de francs. Par ailleurs, de nombreux crédits budgétaires n’ont pas été épuisés et les recettes fiscales des personnes et morales ainsi que les physiques rémunérations ont été plus élevées que prévu (p. ex. en raison de la participation de la Confédération aux coûts des tests Covid).

Zurich

Le canton de Zurich présente un écart plus faible, mais tout de même notable. Si l’on compare les comptes annuels (excédent de 758 millions de francs) et le budget (déficit de 926 millions de francs), le canton le plus peuplé de Suisse a enregistré un excédent de 1,7 milliard de francs dans son résultat net annuel. Près de la moitié de cette somme est due à une mauvaise estimation des recettes fiscales : il a été sous-estimé de 843 millions de francs. La rubrique «Patentes et concessions» comprend la distribution du bénéfice de la BNS. Le canton de Zurich n’avait prévu que deux tranches, alors qu’au moment de l’établissement du budget, il aurait pu en estimer quatre, en toute bonne foi. Finalement, il y en a même eu six, représentant ainsi 478 millions de francs supplémentaires.

Comme dans le canton des Grisons, les revenus de transferts ont été largement sous-estimés : ils ont été supérieurs de pas moins de 1,25 milliard de francs (ou 26 %) par rapport à ce qui avait été budgétisé. Parallèlement, les charges de transfert effectives dans le canton de Zurich ont dépassé les prévisions budgétaires à hauteur de 400 millions de francs. En 2021, le canton de Zurich a réalisé un excédent pour la sixième fois consécutive, ce qui est généralement contraire aux prévisions.

Une bonne intention ou une approche stratégique ?

On peut établir quelques parallèles entre les Grisons et Zurich : une sous-estimation considérable des revenus fiscaux, des versements de la BNS, des transferts Covid et des autres parts cantonales de la Confédération. Dans les autres cantons que nous n’avons pas analysé en détail, on devrait retrouver des schémas similaires, peut-être dans une moindre mesure. Le Covid permet d’expliquer une partie de ces phénomènes : les cantons ont dressé leur budget pour 2021 pendant la deuxième vague en automne 2020, ce qui laisse supposer un certain pessimisme.

Mais le fait que les cantons, à l’instar de la Confédération, affichent à nouveau de nets excédents, au lieu des déficits souvent budgétisés, devrait les inciter à examiner de près la structure de la procédure budgétaire. En soi, il faut saluer le fait que les cantons suisses établissent un budget conservateur. A l’étranger, où les montagnes de dettes de nombreux Etats atteignent des niveaux insoupçonnés, une telle discipline paraît inimaginable. Mais une approche aussi systématique et beaucoup trop pessimiste a aussi ses inconvénients. Une budgétisation précise permettrait par exemple de mettre en évidence les potentiels de réduction d’impôts. Par ailleurs, lors de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons, ces derniers pourraient moins souvent jouer la carte des organes d’exécution défaillants (financièrement). Dans ce contexte, on peut se demander si cette prudence excessive dans l’établissement des budgets cantonaux est faite en toute bonne foi ou si au contraire, elle aurait pour but de ne pas se priver inutilement d’une marge de manœuvre financière pour l’exercice en cours. Le second cas de figure, par exemple par le biais de crédits budgétaires généreux qui ne sont ensuite pas épuisés, témoigne une recherche de confort qui n’est pas favorable à une gestion prudente de l’argent du contribuable.

Les prévisions des cantons romands sont plus précises

Il est intéressant de noter que les cantons romands se sont moins trompés dans leurs prévisions que la plupart des cantons alémaniques. C’est dans le canton de Genève, qui avait budgétisé un déficit important mais qui a réalisé un léger excédent, que l’écart a été le plus important, s’élevant à près de 9 % (ou 900 millions de francs). Le Valais a enregistré un écart de plus de 5 % par rapport aux recettes de l’année précédente (un excédent équivalent a été réalisé au lieu d’un déficit de 110 millions). Dans les cantons de Jura, de Neuchâtel et de Vaud, les budgets étaient encore plus précis et le résultat annuel plutôt équilibré. Le canton de Fribourg a réussi un véritable atterrissage de précision, et ce dans les deux sens du terme : le canton a budgétisé un déficit zéro et même un zéro tout rond.

Ces écarts relativement faibles en Suisse romande soulignent qu’il est possible de réaliser une budgétisation plus ou moins précise malgré les répercussions exceptionnelles de la pandémie. L’exemple des cantons romands donne une mauvaise image des cantons alémaniques, qui ont sans doute poussé leur discipline budgétaire jusqu’à l’absurde, et donc jusque dans les chiffres rouges, alors qu’ils jouissent habituellement d’une bonne réputation.