Il fait froid, le chauffage tourne à plein régime et, dans certains endroits, les lumières de Noël illuminent les sombres soirées d’hiver. Certes, le Conseil fédéral a récemment annoncé que la sécurité de l’approvisionnement en électricité de la Suisse ne serait pas gravement menacée cet hiver. Les réservoirs de gaz en Europe sont remplis et les bassins d’accumulation en Suisse se situent juste au niveau moyen, et ce malgré un été sec. Toutefois, la situation pourrait se dégrader en raison de l’arrêt de plusieurs centrales nucléaires françaises ou d’épisodes de grand froid prolongé. Oui, la situation actuelle est meilleure que ce qui avait été annoncé quelques mois plus tôt, mais sommes-nous vraiment tirés d’affaire ?

Approvisionnement en électricité toujours précaire

Non, car la situation pourrait à nouveau s’aggraver dans les années à venir, et ce, pour trois raisons. Premièrement, du gaz russe a pu être stocké en Europe jusqu’à l’été, ce qui est essentiel pour la production d’électricité. Mais compte tenu de la guerre, des sanctions et des soupçons de sabotage du gazoduc North Stream 1, l’hiver 2023/24 s’annonce plus difficile. Pour savoir si le gaz issu de pays tels que la Norvège ou le gaz naturel liquéfié (GNL) des Etats-Unis, des pays africains et des pays arabes pourra combler le déficit, il faut non seulement être en mesure de payer, mais également bénéficier d’une infrastructure européenne efficace pour réceptionner le gaz des cargos qui arrivent. Les capacités européennes disponibles à cet effet étant limitées, la mise en place de 26 nouveaux terminaux est prévue dans l’UE depuis le début de la guerre en Ukraine. Mais la construction de ports adaptés prend du temps.

Deuxièmement, l’approfondissement du marché intérieur de l’électricité de l’UE pose de nouveaux problèmes à la Suisse. En tant que pays tiers, elle n’est pas comprise dans les processus de calcul relatifs à la capacité du réseau européen. Ainsi, en raison du commerce croissant de l’électricité au sein de l’UE, les flux d’électricité non planifiés en et par la Suisse augmentent, car l’électricité cherche le chemin de la plus faible résistance physique. Avec 41 points d’échange frontaliers, notre pays est plus fortement interconnecté que la moyenne avec ses voisins : en cas de vente d’électricité entre l’Allemagne et la France, une partie transite par la Suisse. Des surcharges d’éléments de réseau risquent de se produire en Suisse. Afin de maintenir la stabilité de la fréquence et d’éviter un black-out, l’exploitant du réseau, Swissgrid, doit intervenir de plus en plus souvent. Cela fait monter les coûts de l’électricité en Suisse.

Le signal-prix du marché de l’énergie est efficace. Les économies d’énergie et les mesures d’amélioration de l’efficacité portent leurs fruits. (Thalia Ruiz, Unsplash)

Nécessité de clarifier la relation avec l’UE

Plus grave que les flux d’électricité non planifiés : la limitation massive de nos capacités d’importation et d’exportation. En effet, nos voisins doivent mettre à disposition, d’ici fin 2025, au moins 70 % de la capacité de leurs éléments de réseau pour le commerce entre les Etats membres de l’UE. La Suisse, n’étant pas membre, tombe sous les 30 % restants. Même si l’Allemagne, par exemple, disposait de suffisamment d’électricité en hiver, elle ne pourrait pas l’exporter en Suisse.

Un accord technique d’accès au marché avec l’UE à court terme ainsi qu’un accord sectoriel à moyen terme seraient nécessaires. Mais depuis la décision du Conseil fédéral en mai 2021 de ne pas signer l’accord institutionnel, cette solution est écartée. Cette situation n’est pas seulement due à la relation ambiguë avec l’UE, mais aussi à la réticence de la Suisse face à la tâche : pour conclure un accord d’accès au marché avec l’UE, la Suisse devrait commencer par ouvrir complètement son marché de l’électricité. Une promesse que les politiques ne cessent de repousser depuis 2009.

Augmenter la production : quid du développement du réseau ?

Troisièmement, le développement de la production suisse est au point mort, malgré les millions d’aides investies grâce aux contributions aux investissements ou la prime de marché. Les entreprises d’électricité, qui sont d’ailleurs majoritairement en mains publiques, ont préféré investir à l’étranger. Les procédures d’autorisation nationales sont trop chronophages, car il est possible de contester à plusieurs reprises de nouvelles installations de production d’électricité. Les milieux politiques l’ont reconnu, certes, mais tardivement. Ils souhaitent notamment autoriser rapidement les installations solaires dans les Alpes, qui doivent être subventionnées à hauteur de plusieurs millions. Ainsi, Gondosolar devrait fournir de l’électricité à plus de 5000 foyers dès 2025. En ce qui concerne Grengiols Solar, rien n’est moins sûr, car cette centrale incomparablement plus grande nécessite d’importants investissements dans le réseau haute tension. Même si les premiers panneaux photovoltaïques devaient produire de l’électricité en Valais d’ici 2 à 3 ans, l’approvisionnement des entreprises et des ménages du Plateau ne serait pas encore assuré. Aujourd’hui, en raison des oppositions, il faut compter en moyenne 15 ans pour qu’une nouvelle ligne soit opérationnelle.

Le signal-prix : un espoir renaît

Il y a toutefois une lueur d’espoir : le signal-prix du marché de l’énergie est efficace. Les économies d’énergie et les mesures d’amélioration de l’efficience portent leurs fruits. L’effet dépassera sans doute les campagnes menées par la Confédération depuis des décennies. On se souvient de la scène avec le conseiller fédéral Adolf Ogi qui faisait cuire des œufs. Ainsi, la consommation de gaz est inférieure à la moyenne des années précédentes. Par ailleurs, les prix plus élevés de l’électricité entraînent un ajustement de la demande, au plus tard lorsque l’augmentation des coûts se fait sentir chez les ménages.

La Suisse n’a pas de leviers d’influence sur la situation de pénurie qui menace et ne peut donc pas la contrôler. La plupart des causes qui nous empêchent d’avancer sont d’ordre national et doivent être réglées le plus vite possible. Il faut dégripper notre relation avec l’UE, accélérer le développement national de la production et du transport d’électricité et l’ouvrir à la technologie, et enfin, ne pas céder aux demandes populistes d’intervenir dans la structure des prix du marché de l’énergie.

Une version raccourcie de cet article a été publiée le 5.12.2022 dans la NZZ.