Selon le Panorama des administrations publiques 2017, 80% des personnes interrogées en Suisse font confiance à leur gouvernement national. Si l’on compare ce chiffre à la moyenne de l’OCDE (42%), il apparaît clairement que la confiance dans les activités de l’Etat est exceptionnellement élevée dans notre pays. La condition indispensable serait donc de faire progresser rapidement la digitalisation au sein de l’administration et d’ancrer largement la pratique des services en ligne qui en résulteraient au sein de la population.

Toutefois, le monitoring e-gouvernement de l’initiative D21 sur l’acceptation des services administratifs numériques de 2017 montre que l’utilisation des services numériques et la satisfaction à leur égard en Suisse sont en légère baisse. En particulier, la transmission de données au-delà des frontières nationales et la diffusion d’informations entre les différentes autorités sont peu acceptées par les citoyens.

Il ne fait aucun doute que les préoccupations en matière de sécurité sont justifiées. Il serait également naïf de supposer que la digitalisation ne présente aucun risque. Les nouvelles technologies ont toujours un certain potentiel d’abus. Comme le montre l’exemple de la Chine, les craintes d’un «citoyen de verre» ne viennent pas de nulle part. A juste titre, les citoyens suisses ont des réserves à l’égard de l’Etat omniscient et sont sceptiques à l’égard de toute concentration du pouvoir.

La digitalisation augmente la distance aux citoyens

Dans notre petite Confédération helvétique, le contact personnel avec l’administration est valorisé : la proximité crée la confiance. Le citoyen connaît les employés de administration et sait où ils vont et viennent. Dans un monde digitalisé, en revanche, les interactions avec les autorités se déroulent dans un espace virtuel. Le contact humain passe au second plan.

La digitalisation de l’administration change non seulement la façon dont les gens interagissent, mais elle encourage également une redistribution de compétences. Le principe suisse de subsidiarité au cœur du fédéralisme est confronté à un défi de taille. En effet, la mise en réseau des autorités sur plusieurs niveaux crée des résistances. Il s’agit toutefois d’une condition indispensable à la gestion administrative électronique.

La question se pose donc de savoir comment créer la confiance à l’ère numérique alors que le contact personnel s’amenuise et que les compétences sont redistribuées. En soi, l’e-gouvernement ne se heurte pas à un rejet. Dans le monitoring de l’e-gouvernement, 60% des personnes interrogées en Suisse ont déclaré qu’elles utiliseraient plus fréquemment les services en ligne si les redevances étaient réduites (Initiative D21, 2017). Les avantages personnels sont ainsi reconnus. Toutefois, ils ne prédominent pas encore dans l’analyse coûts-bénéfices de l’administration en ligne. La valeur ajoutée sociale de la digitalisation des services publics ne s’est pas encore suffisamment manifestée.

e-gouvernement vidéo

Vidéo explicative créée par egovernment illustrant comment la cyberadministration peut être utilisée dans les différentes étapes de la vie (Capture d’écran)

La digitalisation fait déjà partie du quotidien – l’e-gouvernement pas encore

Le scepticisme à l’égard des innovations n’est pas nouveau – ces dernières doivent d’abord faire leurs preuves dans la vie quotidienne. Le développement de l’approvisionnement des ménages en eau potable ne s’est pas non plus déroulé sans complications. En effet, ce service a également suscité des inquiétudes tout à fait justifiées, parce qu’initialement, l’eau comme source d’infection n’a guère été prise en compte. Il a fallu des épidémies telles que le choléra et le typhus, qui se propagèrent rapidement par la consommation d’eau contaminée, pour mettre en évidence les dangers des nouvelles technologies et poser un défi majeur au développement du réseau d’approvisionnement en eau potable. L’eau a donc été bouillie pendant longtemps avant de pouvoir être consommée. Ce n’est qu’avec le développement de procédés de traitement efficaces que l’approvisionnement complet est devenu incontournable.

La confiance se crée par l’usage

Aujourd’hui, on craint avant tout les cyberattaques ou l’utilisation abusive des données. Les failles de sécurité chez Ruag et Swisscom ou la transmission opaque d’informations par Facebook sont projetée à l’ensemble de la technologie en elle-même. C’est la raison pour laquelle la confiance dans l’e-gouvernement reste insuffisante et doit d’abord être gagnée par diverses mesures :

  • Premièrement, la transparence doit être de mise pour les activités administratives. D’une part, l’accès à l’information simplifie les procédures administratives. D’autre part, l’ouverture permet une compréhension globale des activités de l’Etat. Ce n’est que si les habitants de la Suisse comprennent le fonctionnement des processus administratifs modernes qu’ils accepteront et soutiendront l’e-gouvernement. Le principe de transparence a été inscrit dans la loi. L’e-gouvernement se présente désormais comme l’instrument idéal pour mettre en œuvre cette exigence de manière efficace.
  • Deuxièmement, la communication doit être intensifiée. Les services d’administration en ligne ne sont pas utilisés tant que l’offre n’est pas connue. Le nombre d’interactions entre l’administration et le client est limité à quelques fois par an, et c’est l’habitude d’usage qui détermine le choix du canal. Tant que le client ne connaît pas les possibilités qui sont à sa disposition, il ne les utilisera pas et se cantonnera à ses habitudes. L’élargissement de la palette de canaux disponibles n’est donc pas pris en compte. Ainsi, la raison la plus souvent invoquée pour la non-utilisation des services en ligne est l’ignorance de l’existence de tels services.
  • Troisièmement, les performances doivent être continuellement améliorées. Le potentiel créé par la communication devrait se traduire par un nombre croissant d’utilisateurs. Malheureusement, la satisfaction des clients des administrations est en légère baisse. Les administrations publiques ne peuvent souvent pas soutenir la comparaison avec des entreprises informatiques privées lorsqu’il s’agit de la facilité d’utilisation. Ces dernières réagissent généralement plus rapidement à l’évolution des besoins de leurs clients. Ce sont pourtant les expériences satisfaisantes des citoyens avec l’administration qui créent la confiance dans les solutions numérisées, notamment en ligne. Une réduction des frais pour les services administratifs en ligne pourrait apporter une valeur ajoutée concrète (Avenir Suisse 2018). Ce n’est que lorsque les services en ligne sont utilisés de manière récurrente que l’e-gouvernement peut réellement s’établir.

Les gouvernements seraient bien avisés d’élaborer des stratégies, mais aussi une vision de l’administration digitale qui rende les avantages tangibles pour les citoyens et mette les risques en perspective. La protection des données ou les préoccupations en matière de sécurité ne doivent pas servir d’excuse à l’absence de mise en œuvre de l’administration en ligne. Il y a de la place entre l’Etat de surveillance généralisée et la croyance aveugle dans la technologie, qui devrait être utilisée comme une opportunité.

Cet article est paru dans Society Byte, le magazine scientifique du centre Digital Society de la Haute école spécialisée bernoise.