La machine est lancée. Au cours de l’année écoulée, le Parlement a adopté une révision de la loi sur l’énergie et de la loi sur l’approvisionnement en électricité dans le cadre d’un acte modificateur unique. Le référendum a certes été lancé, mais le délai de collecte des signatures expire dans quelques semaines et tous les partis et associations importantes se sont engagés en faveur de l’acte modificateur unique. Est-ce que tout va bien en matière de politique énergétique suisse ? La réponse courte : ça va mieux, mais ce n’est pas encore ça.

L’acte modificateur unique souffre en effet d’une erreur que commettent également certains managers : la définition d’objectifs ne constitue pas d’office une stratégie. Les milieux politiques se sont certes mis d’accord sur des objectifs de développement de la production d’énergie renouvelable, mais la manière dont ces derniers doivent être atteints reste floue. Beaucoup doutent donc que les objectifs fixés puissent être atteints dans les délais impartis.

Ainsi, les auteurs d’une étude de l’EPFZ mandatée par Economiesuisse ont constaté que les objectifs de développement ne seront probablement pas atteints à moyen terme. La Suisse connaîtra donc une pénurie d’électricité, notamment pendant l’hiver. Pour maintenir malgré tout les prix à un niveau raisonnable et réduire la dépendance aux importations, les auteurs de l’étude estiment à juste titre que l’énergie nucléaire a un rôle important à jouer, notamment pour la durée de vie des réacteurs actuels.

En attendant, la construction de nouvelles centrales nucléaires ne permettra pas d’atteindre les objectifs de l’acte modificateur unique. Un nouveau réacteur ne pourrait tout simplement pas être construit assez rapidement et les incertitudes liées aux coûts sont considérables. Une fois que les énergies renouvelables auront été développées, la technologie nucléaire actuelle aura plus de peine à s’intégrer dans l’architecture du système. Au lieu d’une énergie en ruban constante, il faudrait plutôt une production d’électricité plus flexible pour compenser les limites des énergies renouvelables.

L’énergie nucléaire peut donc atténuer les problèmes actuels de la politique énergétique, mais pas les résoudre. Pour qu’elle puisse un jour y remédier, il faudrait reconsidérer les interdictions technologiques qui font obstacle à la recherche et donc à l’innovation. Puis, d’autres mesures sont nécessaires pour atteindre rapidement les objectifs fixés dans l’acte modificateur unique. La Berne fédérale en est consciente. Pour accélérer le développement des énergies renouvelables, un projet de loi pour l’accélération des procédures a donc déjà été mis en place.

Pour les économistes, il est clair que malgré le rythme nécessaire pour atteindre les objectifs de la politique climatique et la sécurité d’approvisionnement, il ne faut pas oublier la rentabilité. L’énergie a un prix et les milieux politiques, en fixant les conditions-cadres, déterminent le montant de ce prix. Là encore, on constate que la politique énergétique suisse n’est pas encore tout à fait sur les rails.

Dans un rapport sur le subventionnement des installations photovoltaïques, le Contrôle fédéral des finances a pointé du doigt le fait que des incitations financières ne sont pas coordonnées. (Adobe Stock)

Ainsi, la Suisse s’offre un système de subventionnement coûteux et inefficace. Dans un rapport sur le subventionnement des installations photovoltaïques, le Contrôle fédéral des finances a par exemple souligné que les incitations financières n’étaient pas coordonnées. Il constate en outre que de nombreuses installations subventionnées auraient été réalisées même sans ces subventions, les effets d’aubaine sont donc élevés. En adoptant l’acte modificateur unique, les milieux politiques ont manqué l’occasion de s’attaquer à ce problème avec une approche efficace et neutre technologiquement.

Finalement, l’un des plus grands défauts de la politique énergétique suisse actuelle est que l’ouverture du marché de l’électricité a été, une fois de plus, renvoyée aux calendes grecques. Comme le montre une récente étude d’Avenir Suisse, cette situation est regrettable pour plusieurs raisons. Premièrement, l’ouverture du marché permettrait des modèles de prix plus dynamiques et plus efficaces, et donc une meilleure intégration des énergies renouvelables dans le système global. Deuxièmement, des prix non faussés réduiraient les pics de consommation, ce qui diminuerait le besoin d’investissements supplémentaires dans la production et le réseau. Troisièmement, l’ouverture du marché simplifierait la coopération avec l’UE. La Suisse pourrait être intégrée de manière plus optimale dans le système énergétique européen, ce qui entraînerait des répercussions positives sur la sécurité d’approvisionnement et les coûts.

Le bilan de l’acte modificateur unique est donc mitigé. Le développement de la production (et donc la sécurité d’approvisionnement) n’est pas garanti. Le système de promotion reste inefficace et l’ouverture du marché de l’électricité a été une fois de plus repoussée. En 2024, la politique énergétique suisse n’est donc pas encore sur la bonne voie, mais l’acte a tout de même permis d’amorcer une correction de cap qui s’avérait nécessaire.

Cet article est paru dans la NZZ am Sonntag du 31 décembre 2023.