Les mécanismes politiques suisses sont connus pour leur lenteur. Les derniers mois de l’année 2018 en ont constitué une démonstration éclatante lorsque, après cinq ans de négociations, le Conseil fédéral a communiqué sa non-décision sur l’accord-cadre institutionnel avec l’Union européenne. Dans le passé aussi, la prise de décision était souvent très lente, mais néanmoins régulière. Ce processus de formation de l’opinion, peu spectaculaire, contribue au fait que notre pays est considéré aujourd’hui encore à travers le monde comme un bastion de la stabilité. Néanmoins, on peut se demander si une telle approche fonctionnera cette fois-ci.

Un aboutissement transparent des négociations

Si le résultat des négociations est transparent et qu’une procédure de consultation qui devrait durer plusieurs mois est en cours, le désaccord interne du Conseil fédéral sur la forme future de nos relations économiques et politiques avec l’UE, de loin notre principal partenaire commercial, est tout aussi transparent. Ainsi, le collège des sept sages donne une image assez précise des divergences d’opinion dans le pays qu’il gouverne.

Mais au lieu de chercher un discours constructif et de travailler à une solution soutenue par un large consensus, comme le veut la tradition helvétique du «vivre ensemble», les attitudes politiques à l’égard des relations futures avec l’UE divergent de plus en plus, tant dans la Berne fédérale qu’au café du quartier. Le fait que l’accord institutionnel n’ait pas encore fait l’objet d’une décision est en fin de compte l’expression des clivages de la société suisse. La création de valeur ajoutée économique est bien connue grâce à l’approche bilatérale adoptée jusqu’à présent, mais les politiques piétinent. Ils refusent de reconnaître qu’il y a encore du chemin à parcourir dans le marathon bilatéral qui a commencé le 1er juin 2002 et que s’obstiner sur le statu quo ou l’immobilité ne sera pas efficace à long terme. L’UE fait pression en faveur d’un réseau dynamique de relations. Si la Suisse n’adopte pas ce paradigme, il n’est pas exclu que l’UE rende progressivement l’accès au marché plus difficile pour nos entreprises.

La Suisse à la croisée des chemins. (Bibliothèque de l’ETH Zurich, image d’archives)

Le fait que l’UE puisse exercer une pression temporelle sur la Suisse dans le cadre de notre long processus de prise de décision pour nous mettre sur la bonne voie crée une forte perturbation pour notre sens accru de la souveraineté. Outre la prorogation supplémentaire de six mois de l’équivalence boursière (MiFIR 23), d’autres décisions d’équivalence dans le secteur financier sont en attente, telles que le service transfrontalier direct de clients professionnels d’un pays tiers vers l’UE (MiFIR 46) ou la directive dite AIFMD. Ces décisions concernent l’approbation des fonds suisses dans des domaines alternatifs pour l’ensemble de l’UE, ce qui ouvrirait à la Suisse des perspectives commerciales qui n’étaient auparavant possibles qu’à partir de sites européens. Des accords sur la santé publique, sur la lutte contre les épidémies, sur la sécurité alimentaire ou sur l’accord sur l’itinérance dans l’UE sont également touchés. Ces taxes ont été supprimées par l’UE.

Danger pour l’industrie d’exportation suisse

L’accord sur les obstacles techniques au commerce (ARM) et l’accord relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de la conformité revêtent une forte importance économique. Les produits couverts par l’ARM représentent près de 70% des exportations industrielles suisses vers les Etats membres de l’UE. Si les relations bilatérales avec l’UE continuent de vaciller, il n’est pas exclu que l’ARM ne soit pas mis à jour. Cela se ferait clairement au détriment des exportations suisses.

Dans notre économie duale, avec ses entreprises d’exportation hautement compétitives et son marché intérieur plus ou moins léthargique, ce sont d’abord les secteurs qui contribuent de manière significative à la création de valeur qui seraient touchés par une absence d’actualisation de l’ARM. L’industrie pharmaceutique, qui à elle seule représente 25% de la valeur ajoutée industrielle totale, craint des coûts supplémentaires pouvant atteindre 300 millions de francs par an si des obstacles techniques au commerce sont introduits. Et si la Suisse ne pouvait plus participer au nouvel accord de recherche avec l’UE, qui doit débuter en 2021, la renommée internationale de la Suisse comme lieu de recherche serait affectée. La simple participation au programme actuel a créé environ 190 start-ups et des spin-offs universitaires, représentant environ 3 000 nouveaux emplois.

Mais contrairement à ce qui a été rapporté au grand public, la Suisse n’est nullement bloquée dans une impasse sur sa voie bilatérale ; au contraire, notre pays se retrouve à la croisée des chemins. L’un de ces chemins est de persister dans l’isolation et l’autonomie. Bien que cela impliquerait l’acceptation consciente de l’abandon des traités bilatéraux, cela conduirait à une augmentation de la souveraineté nationale. Les questions d’autonomie auraient clairement la priorité sur les questions économiques telles que la poursuite de l’intégration du marché. Les contingentements seraient réintroduits sur le marché du travail après l’abandon de la libre circulation des personnes. Le marché du travail libéral, qui est déjà sous pression aujourd’hui en raison de la propagation du syndicalisme et des normes de salaire minimum, continuerait à être sévèrement restreint. On peut s’attendre à un transfert de poids de l’économie d’exportation vers l’économie nationale. Une des options pour sortir de cette situation économiquement peu attrayante serait une libéralisation intérieure poussée, une déréglementation cohérente et une ouverture unilatérale. La Suisse, oasis libérale mondiale ? Tout devrait être fait pour que le peuple souverain soutienne alors les réformes globales nécessaires.

Des questions sur le prix

Si, en revanche, les questions de souveraineté nationale dans les relations avec l’UE sont moins importantes que le potentiel d’accès économique au marché, la voie bilatérale devrait être empruntée sur une base dynamique. De nouvelles opportunités commerciales s’ouvriraient avec par exemple la conclusion d’un accord sur l’électricité et d’un accord sur les services financiers. Dans ce cas, toutefois, il faudrait s’orienter vers les règles du marché intérieur de l’UE. Pour la première fois, le tribunal arbitral prévu dans le résultat des négociations de l’Accord institutionnel permettrait à la Suisse de revendiquer ses droits par la voie légale. Néanmoins, les déficiences actuelles de la construction européenne (mot-clé : euro) ne doivent pas être occultées ; par conséquent, pour des raisons d’optimisation potentielle, l’ouverture au commerce extérieur doit aller au-delà de l’UE. La conclusion de nouveaux accords de libre-échange est de toute façon une nécessité urgente. L’accent est mis ici sur un accord avec les Etats-Unis, deuxième partenaire économique de la Suisse après l’UE.

Compte tenu de la bifurcation à laquelle notre pays est confronté aujourd’hui, la question du prix doit en fin de compte être posée de manière assez simple : quel est le prix que nous, Suisses, voulons payer pour quel contenu ? La valeur de la souveraineté formelle et de l’autonomie sous sa forme absolue est-elle plus élevée que le souci d’un accès sans entrave au marché intérieur et à ses avantages économiques ? Suivant notre tradition de démocratie directe, ces questions ne doivent pas être discutées seulement derrière les portes closes d’un cercle élitiste, mais avec la population. Une seule chose est claire aujourd’hui : ne pas décider de son propre chemin vers l’avenir n’est pas une alternative. Pour les libéraux, il est important que le blocage des réformes en Suisse soit résorbé et que l’accès au marché puisse être assuré par la voie bilatérale, notamment parce que la prospérité créée par l’ouverture au commerce extérieur contribue de manière décisive à la cohésion sociale en Suisse.

Cet article est paru dans le «Schweiz am Wochenende» du 15.12.2018.