Ce n’est pas un scoop : la génération des baby-boomers part à la retraite ! Un départ qui va fondamentalement transformer la structure des âges de la population en Suisse – comme celle, d’ailleurs, prévalant dans tous les autres pays européens : la population vieillit, la population active stagne et le taux d’activité se contracte. Lors de l’entrée en vigueur de l’AVS en 1948, on dénombrait 6,5 personnes actives pour un retraité, en 2015 ils ne sont plus que 3,4. Cela met à l’épreuve le contrat de générations, ainsi que nos assurances sociales. Mais tout ceci n’est pas nouveau. Ce qui l’est par contre, c’est la cadence effrénée à laquelle ces changements démographiques auront lieu au cours des prochaines années.

Bien que les premiers représentants de la génération des baby-boomers, nés peu après 1945, aient déjà atteint l’âge de la retraite, beaucoup d’autres viennent ensuite. Nous sommes à l’aube d’une vague massive de départs à la retraite : celle de la cohorte des générations à forte natalité nées entre 1961 et 1971. Cette vague, jusqu’ici encore peu tangible, atteindra son point culminant en 2030, se déploiera jusqu’en 2035 et laissera des traces derrière elle durant de nombreuses années.

Etant donné que cette génération compte plus d’individus que la moyenne, son départ à la retraite exercera une forte pression sur les finances de l’AVS. Et c’est précisément pour cette cohorte que le Parlement propose d’augmenter les rentes de 70 francs par mois, afin de compenser de prétendues réductions de leur rente dans le 2ème pilier. Ces dernières sont en réalité déjà contrebalancées par des mesures de compensation au sein même de la prévoyance professionnelle prévues par le parlement (garantie des droits acquis). Les générations suivantes, bien moins nombreuses, paieront la facture.

Les défis que posent les développements démographiques actuels pourraient très bien être contrecarrés en engageant de vraies réformes structurelles. L’augmentation de l’âge de la retraite – ou son couplage à l’espérance de vie – soulagerait par exemple durablement les finances de l’AVS et garantirait une répartition équitable des coûts entre les générations.

L’augmentation de l’âge de la retraite : un tabou en Suisse

En raison de l’impopularité de telles mesures, la politique suisse semble toutefois se reposer sur ses lauriers. Alors que 17 pays de l’OCDE ont déjà augmenté l’âge légal de la retraite à 67 ou 68 ans ou décidé de le faire – et ce bien que leur population soit confrontée à une espérance de vie à la naissance moins élevée que celle de la population suisse (voir graphique) – la «Prévoyance vieillesse 2020»  se limite à une harmonisation cosmétique de l’âge de la retraite des femmes sur celui des hommes.

En Suisse, l’augmentation de l’âge de la retraite au-delà de 65 ans semble être un tabou politique. Mais quel autre pays, si ce n’est la Suisse, devrait appliquer une telle mesure ?

Avec une espérance de vie moyenne de 83 ans, les Suisses sont en tête des classements internationaux et ils profitent de la durée à la retraite la plus longue au monde (avec les Japonais). Les études scientifiques le démontrent : les individus ne vivent pas seulement plus longtemps, mais ils vivent aussi en meilleure santé plus longtemps. Notre productivité ne disparaît pas comme par magie lorsque l’on atteint l’âge de la retraite officiel. Le fait de travailler plus longtemps est une conséquence logique de l’augmentation constante de l’espérance de vie et de l’amélioration de notre état de santé.

L’économie suisse se dirige de surcroît toujours plus vers une économie de services et de moins en moins vers des activités nécessitant un travail physique intense. Enfin, l’éthique du travail joue un rôle déterminant en Suisse : accomplir des tâches ayant du sens donne le sentiment d’être utile et favorise l’estime de soi, l’autonomie et les contacts sociaux. 57% des personnes de 60 ans et plus seraient disposées à continuer à travailler plus longtemps, si elles pouvaient davantage gérer leur propre temps et avoir plus de flexibilité.

Une mesure, deux effets

Augmenter l’âge de la retraite déploie deux effets simultanés sur la stabilisation des finances de l’AVS :

  • cette mesure prolonge la durée de cotisation ; les employeurs et les employés versent plus longtemps des cotisations AVS,
  • elle réduit la durée de perception de la rente.

Les conséquences financières ne sont pas anodines : augmenter l’âge de la retraite d’une année pour les hommes et pour les femmes soulagerait les finances de l’AVS d’un montant total de 2,7 milliards de francs en 2030. Cela correspond à une hausse d’un point de pourcentage de la TVA, à laquelle il serait ainsi possible de renoncer.

Le cas échéant, on pourrait aussi envisager d’instaurer une adaptation automatique de l’âge de référence de la retraite à l’espérance de vie. Cet automatisme peut également être appliqué de manière flexible : on pourrait par exemple travailler un an ou seulement six mois de plus pour chaque année d’espérance de vie supplémentaire. Sachant que l’on passe aujourd’hui environ 40 ans de sa vie au travail et 20 ans à la retraite, un autre compromis pourrait consister à répartir l’espérance de vie gagnée selon le principe suivant : pour chaque année supplémentaire d’espérance de vie, travailler 8 mois de plus et profiter de 4 mois de retraite en plus.

Une réforme de la prévoyance vieillesse digne de ce nom devrait s’appuyer sur des solutions structurelles pérennes et s’attaquer au thème de l’âge de la retraite sans tabou.

La version originale de cet article en italien est parue dans le magazine Ticino Business d’août 2017.