L’énergie est un secteur économique d’une importance capitale, et pourtant l’économie de marché peine à y trouver pleinement sa place. Les horizons et besoins de planification à très long terme, les risques liés à de constantes évolutions ou ruptures de technologie, ainsi que la détention massive d’entreprises énergétiques par des collectivités publiques expliquent que presque tous les gros projets ne soient réalisables qu’avec l’injection de fonds publics. Ce soutien financier étatique ne va pas nécessairement dans le sens de l’innovation ou des énergies renouvelables. Au niveau mondial, rappelait Mme Leuthard, les subsides étatiques en faveur des énergies fossiles s’élèvent encore à près de 500 milliards de dollars, alors que ceux dédiés aux énergies renouvelables sont estimés à 140 milliards de dollars.

A son échelle, la Suisse est également confrontée à cette question. Les cinq centrales nucléaires suisses, construites avec l’aide des pouvoirs publics, devraient être démantelées dans les décennies à venir – si la stratégie de sortie du nucléaire décidée par le Conseil fédéral venait à se concrétiser. Quant au secteur de l’énergie hydraulique, en grande partie composé de centaines de petites entreprises locales liées à des collectivités publiques, il va au devant de jours difficiles : en raison du bas prix de l’énergie et du vieillissement de leurs installations, la plupart des entreprises n’ont pas les moyens de financer leurs investissements. La rente de situation de la redevance hydraulique est menacée, et une vague de consolidation pourrait se produire.

De gauche à droite : Olivier Français, Tibère Adler, Doris Leuthard, Olivier Steimer, Pierre Veya et Nicole Pomezny (© Lumière Noire)

Premier orateur, Pierre Veya (rédacteur en chef adjoint du Matin dimanche, en charge de l’économie) a rappelé la grande complexité du secteur de l’énergie, ainsi que les fortes incertitudes et imprévisibilités qui y règnent. Par exemple, qui aurait pu penser il y a quelques années que l’émergence des techniques de «fracking» aurait une telle incidence sur le prix mondial ? L’énergie est un bien largement accessible et disponible, mais les interrogations portent sur les méthodes pour la mobiliser, l’extraire et la distribuer. Constatant la situation financière calamiteuse de la filière nucléaire française, Pierre Veya estime que la stratégie suisse de «sortie du nucléaire» aura peut-être le mérite d’éviter à la Suisse quelques erreurs fondamentales dans ses choix à long terme. Cependant, cet avantage n’est que temporaire, et la filière nucléaire ne saurait être complètement exclue de la palette énergétique du pays. La concurrence et l’innovation sont les meilleurs garants d’une politique énergétique efficace.

Olivier Français, directeur des travaux de la ville de Lausanne, fraîchement élu au Conseil des États, où il devenu immédiatement président de la Commission des transports et télécommunications, s’est ensuite exprimé sur les transports. Sa vison : la «Croix fédérale» des transports en Suisse, avec des infrastructures fondées sur deux axes Nord-Sud et Est-Ouest. Si les connections du Nord au Sud font l’objet de toutes les attentions, il reste beaucoup à faire pour traverser la Suisse d’Est en Ouest. Tambour battant, M. Français a partagé les idées et projets avec l’assemblée, rappelant notamment que la planification de la politique doit se faire non seulement à la surface terrestre, mais de plus en plus en sous-sol et dans les airs. De plus, les décisions d’infrastructures et de transports seront de plus en plus liées à l’avenir : par exemple, il ne sera pas possible à la fois d’utiliser le potentiel de la géothermie par des sondes souterraines profondes et de construire des tunnels ; des choix d’affectation devraient être soigneusement planifiés. M. Français plaide également pour la concurrence et l’innovation comme moteurs d’une politique des transports plus efficace, tout en s’interrogeant sur la capacité de notre pays à conduire lui-même sa propre politique de recherche en certains domaines (notamment l’évolution des batteries).

La Conseillère fédérale a ensuite partagé quelques réflexions de synthèse avec le Chapter romand. La stratégie du Conseil fédéral a pour but politique de réduire les besoins d’approvisionnement énergétiques extérieurs du pays, en faisant passer le taux d’énergie importée de 80% à 60%. Dans de nombreux domaines, la solution passe par la mixité, l’interdisciplinarité et une vision globale ; par conséquent, elle regrette que de trop nombreux stéréotypes, largement éculés (rail vs. route ; transports publics vs. automobile ; chacun pour soi dans les filières énergétiques) perturbent encore le débat. De plus, les vrais enjeux ne se situent pas dans une discussion défensive pour grappiller ici ou là un centime par kilowatt-heure, mais dans la capacité d’innovation et d’investissement. Elle croit en la capacité de la Suisse de développer l’innovation par la recherche, mais provoque le monde économique en le priant de «faire sa part» plus vigoureusement dans le domaine, c’est-à-dire investir et prendre des risques.