La place économique suisse est contrainte de s’adapter. D’une part, l’acceptation de l’initiative «contre l’immigration de masse» du 9 février 2014 a remis en question les fondements des relations entre la Suisse et l’UE comme principal partenaire économique. Cela a engendré de l’insécurité et a découragé les investissements. D’autre part, l’abandon du taux plancher de 1,20 francs pour un euro a créé un choc du côté des coûts, aussi bien pour les exportateurs que pour les secteurs du marché intérieur affectés par la concurrence provenant des importations.

Défis pour les entreprises et pour la politique économique


Il est clair que l’essentiel est de savoir comment les entreprises doivent réagir à cette situation. Même s’il existe des différences entre les branches et les entreprises, l’économie a besoin d’un mix des mesures suivantes: réduction des coûts, outsourcing, augmentation de la productivité, innovation dans les produits et processus, augmentation du temps de travail, renonciation aux marges, hausse des prix de vente, coopération et fusions ainsi que délocalisations d’entreprises et de la production. Afin que ces mesures soient prises de manière efficiente et qu’elles restaurent la foi en l’économie suisse, l’environnement légal, fiscal, administratif et concurrentiel est décisif.

On ne réformera que lorsque cela sera douloureux


Dans le cadre de son baromètre des réformes D A CH, Avenir Suisse s’est toujours préoccupé de la capacité à réformer des pays industrialisés. On attendrait, en suivant la logique économique, à ce que les réformes ayant des conséquences sur la politique de redistribution et pouvant toucher de manière différente les entreprises, branches, consommateurs, contribuables etc. soient prises en période de prospérité économique. Cependant, la logique politique est fondamentalement différente: si la conjoncture est favorable et que les recettes fiscales jaillissent, la politique prend cet argent supplémentaire en disant merci –non pas pour alléger les charges fiscales, préparer l’avenir ou réduire la dette, mais pour distribuer plus de prestations étatiques.

Il existe une série de raisons qui entravent la mise en œuvre de réformes dans les pays démocratiques: des minorités et des intérêts particuliers bien organisés, la pensée et l’action de la politique conditionnées aux cycles électoraux, un penchant pour le statu quo, ainsi que le fait que les perdants des réformes sont souvent plus faciles à identifier au préalable que les gagnants anonymes des ces dernières.

La réceptivité à l’égard des réformes est également compliquée quand les acteurs politiques jouissent de peu de confiance des citoyens. C’est pourquoi les situations de crise et celles impliquant de grands changements d’environnement sont en règle générale des phases psychologiquement plus favorables aux réformes. L’expérience de presque tous les pays industrialisés en matière de politique économique montre que les réformes ayant eu du succès ont presque toujours eu lieu dans des situations difficiles, parfois presque désespérées.

La Suisse ne fait pas figure d’exception


La Suisse s’inscrit parfaitement dans ce schéma. La phase la plus heureuse pour les réformes durant son histoire récente s’est déroulée dans la période de faible croissance des années 1990 et après le non à l’EEE en 1992. À l’époque, un Conseil fédéral uni était parvenu – en association avec un Parlement bourgeois orienté vers l’économie de marché et une économie fermée – à lancer un audacieux programme de renouvellement économique du point de vue de la Suisse.

L’exemple le plus connu à cet égard est l’introduction du frein à l’endettement. Entretemps, les conditions politico-économiques se sont cependant modifiées. Certes, le SECO a publié à intervalles réguliers depuis 2002 des rapports de croissance détaillés dans lesquels les facteurs de croissance sont systématiquement analysés et les possibilités de réformes identifiées.

C’est sur cela que se fonde la politique de croissance lancée en 2003 par le Conseil fédéral, basée sur sept piliers:

  •             Renforcement de la concurrence sur le marché intérieur
  •             Intégration accrue à l’économie mondiale
  •             Limitation de la pression fiscale et optimisation de l’activité étatique
  •             Sécurisation d’un haut taux d’emploi
  •             Préservation d’un système d’éducation compétitif
  •             Création d’un environnement légal favorable aux entreprises
  •             Fonctionnement durable en termes environnementaux

Si l’on passe rapidement en revue la politique de croissance du Conseil fédéral, on ne peut pas vraiment parler de coups de maître. D’importants projets de réformes ont échoué (11ème révision de l’AVS, assainissement de l’AI, réforme de la LPP, taux unique de la TVA), n’ont été que partiellement traités (libéralisation de l’électricité, de la Poste ou du marché agricole), n’ont pas du tout progressé (allégement administratif, révision des tâches de la Confédération) ou sont même partis dans la mauvaise direction (droit des sociétés, politique énergétique, réglementation des marchés financiers). À cet effet, le Conseil fédéral n’a pas toujours respecté ses propres recommandations, mais le Parlement est allé jusqu’à faire une entorse à ses principes. Dans l’ensemble, la Suisse s’est donc révélée peu capable d’entreprendre des réformes ces dernières années –à l’exception de la réforme de l’imposition des entreprises II et du «Too big to fail».

Le futur de la place économique doit être au sommet de l’ordre du jour


Il ne suffit pas de publier des rapports de croissance substantiels et stimulants intellectuellement, mais ceux-ci doivent être pris au sérieux par l’administration et guider son action. Pour cela, un leadership exécutif et une collaboration de toutes les forces de l’économie de marchés sont nécessaires. Si la Suisse se laissait aller à une situation où elle ne serait plus en mesure d’utiliser des conditions économiques encore favorables pour lancer d’audacieuses réformes, cela serait équivalent à sa propre capitulation.

Entretien entre Rudolf Walser et Emmanuel Garessus dans Le Temps

Emmanuel Garessus: Que va entreprendre la BNS après avoir abandonné le cours plancher?

Rudolf Walser: Avenir Suisse avait imaginé des portes de sortie au cours plancher dans son document de discussion de 2013 “Les banquiers centraux en apprentis sorciers”. Aujourd’hui, après avoir abandonné le taux plancher, la BNS devra sans doute réfléchir à l’évolution future du cours du franc. Une baisse du franc par rapport à l’euro en direction d’un prix correct constituerait un scénario positif. Mais le maintien d’une surévaluation du franc durant une longue période aurait des conséquences fatales.

Que préconisez-vous comme plan B? Comment le communiquer?

Il est évident que la BNS ne peut pas s’exprimer en public sur ses intentions au cas où le franc évoluerait dans un sens inapproprié. La BNS doit remplir son mandat constitutionnel en toute indépendance et en fonction des conditions économiques. De toute façon, les acteurs économiques devront probablement s’habituer à ce que les banques centrales doivent limiter leur communication si elles désirent surprendre les marchés financiers.

Faut-il instaurer un contrôle des changes?

Les contrôles de capitaux ne constituent certainement pas un instrument idéal dans un environnement de marchés financiers internationaux interconnectés. Mais si l’on tient compte des flux financiers gigantesques qu’ils représentent, sans commune mesure avec l’économie réelle, il faudra bien que l’on cherche à éviter qu’ils ne déstabilisent les économies. Il ne serait pas inutile de porter un regard plus critique sur les manuels d’économie selon lesquels la liberté des mouvements de capitaux garantit que l’épargne privée est allouée de façon optimale.

Une relance budgétaire est-elle envisageable? Sous quelle forme?

Un programme de relance budgétaire qui irait au-delà des stabilisateurs automatiques et du frein à l’endettement n’est pas la solution dans les circonstances actuelles. D’une part, il ne serait pas d’un grand soutien pour l’industrie d’exportation; d’autre part, il braderait inutilement la confiance envers notre politique budgétaire. L’important consiste à améliorer l’ensemble des conditions-cadres fiscales et réglementaires pour toute l’économie suisse.

Cet entretien a été publié dans «Le Temps» du 29.01.2015.
Avec l’aimable autorisation du Temps.