Le registre du commerce est une base de données complète sur l’économie suisse. Toutes les sociétés de capitaux y sont répertoriées. A première vue, le registre du commerce aurait dû servir de point d’information central pour toutes les interactions commerciales. Mais ce n’est pas le cas.
Les informations contenues dans le registre du commerce ne sont généralement pas pertinentes pour les affaires courantes en Suisse. C’est plutôt lorsque l’on établit une relation commerciale que des prestataires de services privés interviennent. Ceux-ci gèrent leurs propres bases de données contenant des informations pertinentes, notamment des indicateurs de solvabilité.
Qui plus est, l’organisation actuelle du registre du commerce entraîne des coûts qui pourraient être évités. Pour la plupart des entreprises, le dépôt au registre du commerce est un exercice de bureaucratie fastidieux. Parfois, des conditions supplémentaires telles que l’établissement d’un acte authentique sont exigées. La communication est donc complexe, chronophage et encore trop souvent analogique.
Une faible utilité et des coûts élevés : pourquoi le système du registre du commerce n’a-t-il pas évolué jusqu’à présent en Suisse ? Pour y répondre, il est intéressant de revenir sur l’histoire de ce système.
Un instrument de contrôle
Les origines du registre du commerce remontent à très longtemps. Son développement a été fortement façonné par les cantons. A Zurich, le canton le plus peuplé et important sur le plan économique, les corporations ont joué un rôle central dans le développement du registre du commerce.
Jusqu’au XVIIIe siècle, le pouvoir politique et économique de Zurich était entre les mains de différentes corporations. Avec l’émergence de la protoindustrialisation, ce système a été mis sous pression, mais les corporations ont tenté de sauver leur contrôle sur les relations économiques dans la nouvelle ère. Ainsi, la loi zurichoise sur les fabriques de 1717 a introduit l’obligation d’inscrire et de désinscrire les citoyens «fabricants» et leurs «associés». Les inscriptions étaient consignées dans des registres appelés «Ragionenbüchern».
La tenue des registres des commerçants et des fabricants (appelés «Ragionenwesen») a également été introduite à cette époque dans d’autres villes. Des registres similaires ont par exemple été créés à Genève en 1698, à Saint-Gall en 1712 et à Bâle en 1719. Le terme «Ragionen», dérivé de l’italien «ragione» (raison), est apparu pour la première fois dans les pays germanophones en 1685 à Augsbourg.
Le premier Ragionenbuch zurichois était tenu par la chancellerie d’Etat du canton mais il était également lié au Directoire commercial et donc aux corporations. La constitution libérale de 1831 a ensuite entraîné des changements fondamentaux et amélioré la liberté économique dans le canton. A partir de 1836, il était possible d’enregistrer les entreprises dans chaque district, les Ragionen paraissaient désormais dans le journal officiel et les registres de ces Ragionen étaient consultables par le public.
Le registre du commerce que nous connaissons aujourd’hui a finalement été introduit à la fin du XIXe siècle, en même temps que le Code des obligations suisse. Pendant longtemps, peu de choses ont changé. Ce n’est qu’avec l’arrivée des systèmes informatiques et d’Internet que l’on a été obligé de repenser certains processus. Mais malheureusement, cela n’a pas été fait de manière conséquente.
En 2008, une ordonnance sur le registre du commerce entièrement révisée est entrée en vigueur. Pour la première fois, elle ne se basait plus sur un support papier, mais sur des données et des interfaces électroniques. Un délai de transition de cinq ans devait permettre de passer à une gestion entièrement électronique du registre du commerce. En théorie. En pratique, ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Ainsi, dix ans après la réforme, le Contrôle fédéral des finances a constaté que les demandes d’inscriptions au registre du commerce se font encore aujourd’hui principalement sur papier.
Récemment, l’ordonnance sur le registre du commerce a certes été légèrement adaptée afin d’harmoniser et de simplifier certains processus, mais rien de plus. Ceux qui attendent de l’innovation dans ce domaine ont toujours été déçus jusqu’à présent. Bien que des changements importants s’imposent dans les années à venir, ni le législateur ni l’organe qui édicte les ordonnances ne prévoient une gestion des affaires entièrement numérique avec des interfaces adaptées entre l’Etat et le public pour qu’ils puissent interagir.
Le casse-tête de la numérisation
Pour les corporations, il était important de conserver le contrôle du développement économique grâce à l’enregistrement. Grâce au principe de liberté économique, cette fonction a heureusement disparu. Malgré cela, on a gardé le concept du registre du commerce pour protéger les créanciers. En effet, une telle base de données peut créer une plus grande transparence, et donc renforcer la protection des créanciers.
Le principe fondamental d’une base de données publique prend ainsi tout son sens, même à l’ère du numérique. Toutefois, on peut se demander si l’organisation et la gestion de la base de données, ainsi que le type de données enregistrées, sont appropriés tels qu’ils sont. Au moins deux éléments indiquent que ce n’est pas le cas.
- Premièrement, une révision complète du registre du commerce offrirait l’occasion de repenser les bases juridiques et les exigences d’inscription qui y sont liées. A ce sujet, vous pouvez consulter notre article «Un capital de départ minimum, à quoi bon ?»
- Deuxièmement, il faudrait numériser complètement les interfaces avec le registre du commerce. Cela a déjà été partiellement mis en œuvre et certaines bases existent à cet effet. Toutefois, puisqu’il faut un acte authentique lorsque des modifications sont apportées, l’interaction électronique ne joue qu’un rôle secondaire dans la pratique. Pour remédier à ce problème, une motion a récemment été lancée au Parlement.
Repenser la base de données centrale de l’économie suisse
Une numérisation de l’interface avec le registre du commerce pourrait également ouvrir la voie à la standardisation et à l’automatisation. Les entreprises pourraient par exemple avoir la possibilité de publier automatiquement au registre du commerce certaines données fiscales ou bancaires, comme le montant des réserves légales ou des liquidités, afin d’améliorer leur position sur le marché.
D’une part, il serait essentiel que l’authenticité des données puisse être vérifiée électroniquement. D’autre part, la protection des données doit être préservée si les données sont publiées volontairement. Les entreprises doivent garder un contrôle total sur les personnes qui peuvent consulter ces données. Le secteur bancaire de l’Espace économique européen ouvre la voie pour de telles interfaces avec la nouvelle Directive sur les services de paiement (DSP2).
Le système du registre du commerce de demain devrait donc combiner le meilleur des deux mondes : le dynamisme du secteur privé pour compléter les données et les directives normatives de l’Etat pour garantir l’intégrité des données et leur protection. Le registre du commerce ou les plateformes privées basées sur ses interfaces pourraient alors devenir de plus en plus des «corporate-media» dignes de confiance.
C’est ce qui augmenterait le potentiel d’une base de données complète sur l’économie suisse. D’un point de vue économique, la transparence accrue améliorerait considérablement la protection des créanciers par rapport à aujourd’hui. Parallèlement, la numérisation a permis de réduire les coûts, tant pour les autorités que pour les entreprises.
Ceux qui ont beaucoup de contacts avec les entreprises de technologie et les start-up considéraient presque cette vision du registre du commerce moderne comme de l’histoire ancienne. Mais ceux qui connaissent la bureaucratie des 28 offices cantonaux du registre du commerce de Suisse[1] savent que cette vision reste lointaine.
Comment combler cet écart le plus rapidement et efficacement possible ?
Tout résoudre d’un coup serait sans doute trop demander. C’est pourquoi Avenir Suisse a récemment proposé l’introduction d’une nouvelle forme juridique. Une «mini Sàrl numérique» permettrait de poser les premiers jalons d’une interface numérique avec les autorités. Cela pourrait marquer le début d’un changement fondamental et attendu depuis longtemps dans la compréhension du registre du commerce. Vous trouverez la publication ici.
[1] Le canton du Valais compte trois offices cantonaux du registre du commerce. Aux 28 offices cantonaux du registre du commerce s’ajoutent, au niveau fédéral, l’Office fédéral du registre de commerce (OFRC), qui tient le registre central de la Confédération, et la Feuille officiel du commerce (FOSC), gérée par le Seco.