Les maladies non transmissibles représentent un défi majeur pour notre société et causent deux tiers des décès en Suisse. Une alimentation malsaine augmente sensiblement le risque de développer de telles maladies. Comment réduire ce risque de manière ciblée, sans pour autant tomber dans l’hyperactivisme (voir le premier article de cette série) ?
Miser sur le privé dans la santé publique
Il est frappant de constater combien le rôle du secteur privé est sous-estimé dans la prévention des maladies non transmissibles. Ce rôle secondaire est une opportunité manquée. Une approche purement médicale de la prévention est incomplète. Pour une prévention efficace, il faut également tenir compte des décisions de consommation de la population.
C’est là que le secteur privé peut rentrer en jeu. Son grand avantage par rapport à l’Etat est qu’il connaît les préférences des consommateurs. Les relations étroites entre les entreprises et leurs clients procurent un effet de levier puissant pour influencer positivement la santé publique. En effet, les entreprises savent mieux quels types de nouveaux produits ont du succès et quelles recettes peuvent être modifiées sans perdre de leur attrait pour les consommateurs. Les entreprises peuvent donc se concentrer là où les efforts peuvent rapporter le plus par franc investi en recherche et développement.
Ainsi, dans le cadre de la Déclaration de Milan, un accord de branche volontaire pour réduire la teneur en sucre dans des aliments consommés au petit-déjeuner, les objectifs fixés ont été remplis, voire dépassés. En 2018, le sucre ajouté a été réduit de 3,5 % dans les yoghourts (comparé à un objectif de 2,5 %) et de 13 % dans les céréales (vs. 10 % visés) par rapport à 2016.
Des nouvelles recettes
Pour proposer des produits plus sains, les producteurs peuvent modifier les recettes des produits existants en réduisant leur teneur en aliments à risque, comme le sucre, le sel ou les matières grasses. De la même manière, les chaînes de restauration rapide peuvent ajuster la quantité de sel dans leurs produits, notamment les frites.
Certes, il serait souhaitable de pouvoir réduire d’une fois la teneur en ingrédient malsain d’un produit, par exemple 50 % moins de sel que l’original. Toutefois, ce changement brutal modifierait trop le goût ou la texture du produit et les consommateurs cesseraient de le consommer. C’est pourquoi une réduction graduelle des facteurs de risque, axée sur le maintien du goût, est essentielle pour rester fidèle aux attentes des consommateurs et que ces derniers restent fidèles au produit.
Des nouveaux produits
Il n’est pas toujours possible ou souhaitable d’adapter les recettes existantes. Certaines entreprises peuvent en effet être frileuses à l’idée de toucher aux «recettes originales» de leurs produits traditionnels qui ont souvent fait leur succès. Le développement de nouveaux produits sains est alors une alternative, tant pour conserver les clients existants que pour en attirer de nouveaux. Ainsi, les bières sans alcool semblent rencontrer beaucoup de succès : leur consommation en Suisse a presque doublé en dix ans, et leur part dans le marché de la bière est passée de 2,3 % à 4,4 % entre 2010 et 2020. D’autres produits, comme les cigarettes électroniques, ou encore la viande végétale, se développent également constamment pour répondre à une demande de produits alternatifs moins nocifs pour la santé.
Même si les nouvelles technologies alimentaires offrent des possibilités insoupçonnées de développement, la marge de manœuvre de l’industrie dépendra toutefois toujours de la demande et de la volonté des consommateurs. Bien que la «santé» soit un argument de poids pour une partie des consommateurs, c’est bien le goût qui reste l’élément décisif. Il déterminera la réussite ou l’échec des produits reformulés.
Des portions ajustées
L’adaptation des recettes existantes et le développement de nouveaux produits ont leurs limites. Certains produits nécessitent tout simplement un minimum «d’ingrédients malsains». Par exemple, le chocolat contiendra toujours du sucre et la mayonnaise sera toujours produite avec une grande quantité d’huile. Dans de tels cas, une réduction de la quantité – c’est-à-dire de la taille des portions – peut être la solution. Lorsque les consommateurs commandent une «portion» de frites ou une «bouteille en PET», ils n’ont généralement pas de taille fixe en tête. Si la taille de la portion est adaptée, la quantité consommée diminue, sans que les clients n’aient à fournir un effort.
L’efficacité du contrôle des portions a été observée dans diverses études, notamment aux Etats-Unis. Elles sont aussi considérées comme l’instrument le plus efficace pour réduire les facteurs de risque qui dépendent du comportement de consommation, avant la reformulation de recettes.
Des labels pour inciter les entreprises
Un système d’étiquetage simple et transparent peut aider les consommateurs à faire des choix de produits éclairés, par exemple sur la base de feux tricolores comme le Nutriscore. Un tel système est particulièrement utile pour comparer des produits similaires entre eux, comme des pizzas, des yoghourts ou des céréales.
Mais surtout, les labels incitent les entreprises à reformuler leurs produits et à les rendre plus attractifs d’un point de vue nutritionnel. Sur un plan marketing, il n’est pas souhaitable de commercialiser un produit situé dans la catégorie «jaune» ou «rouge». Bien au contraire, les entreprises s’efforceront de «verdir» leur gamme de produits. La transparence est donc un bon moyen d’initier des processus de reformulation de recettes ou de création de nouveaux produits.
Miser sur les entreprises offre non seulement des avantages en soi, mais permet d’éviter de se confronter aux obstacles et frictions inévitables des processus bureaucratiques liés aux mesures étatiques. Cet aspect sera au centre du dernier article de cette série.
Pour en savoir plus sur la consommation des produits «malsains» en Suisse, sur les incohérences de l’Etat dans la santé publique mais aussi sur comment le secteur privé peut s’engager pour limiter la consommation de ces produits, consultez notre nouvelle publication «Plus d’initiative privée dans la santé publique – Miser sur les entreprises et éviter les interventions étatiques contradictoires».