Daniel Müller-Jentsch du think-tank Avenir Suisse estime que les taxes d’incitation contribuent à limiter la construction de résidences secondaires. Mais la démarche de Silvaplana ne le convainc pas. Un interview par Marcel Müller.
Marcel Müller: Quels sont à votre avis les principaux problèmes découlant de la construction de résidences secondaires dans des régions touristiques?
Daniel Müller-Jentsch: Dans les régions touristiques, des résidences secondaires ont été construites en masse, parfois avec de véritables excès. Dans de nombreux lieux prisés, la part des résidences secondaires s’élève aujourd’hui à 50–80 pour cent. De ce fait, ces lieux de villégiature gaspillent leur capital: les beaux paysages et les localités intactes. En outre, les résidences secondaires cannibalisent la demande dans l’hôtellerie et les lits froids engendrent des frais élevés en infrastructure. Il existe donc un conflit d’intérêt entre la valeur ajoutée à long terme du tourisme et la valeur ajoutée à court terme de la construction. En outre, si l’on n’endigue pas la demande en résidence secondaire, l’immobilier devient inabordable pour la population locale. Pour toutes ces raisons, les Länder touristiques en Autriche (Salzbourg, Tirol, Vorarlberg) ont des limitations nettement plus restrictives que la Suisse en la matière.
Pourquoi est-il si difficile au niveau communal de donner un autre tournant à ce développement?
La branche locale de la construction et les propriétaires fonciers ont un intérêt prononcé pour la construction de résidences secondaires et s’engagent donc dans la politique communale sur ce sujet. Les cantons avec un faible aménagement du territoire, le Valais ou le Tessin par exemple, n’ont pas les moyens de corriger ce fait au niveau du plan directeur. Une réaction au niveau communal ne survient en général que lorsque les effets négatifs de la construction de résidences secondaires sont visibles aux yeux de tous. Donc bien souvent beaucoup trop tard.
L’adaptation de la loi sur l’aménagement du territoire visant la régulation du développement des résidences secondaires est entrée en vigueur le 1er juillet 2011. Cette modification va-t-elle changer quelque chose?
L’article 8 de la loi me semble formulé de façon bien trop vague. Il oblige en effet les cantons à désigner dans leurs plans directeurs les territoires où les communes doivent prendre des mesures particulières pour maintenir une «proportion équilibrée» de résidences principales et de résidences secondaires. Néanmoins, cet article ne définit ni un seuil contraignant à partir duquel il faut agir, ni ce que signifie exactement une «proportion équilibrée ». Les cantons qui ne veulent pas agir ont donc suffisamment de marge de manoeuvre pour continuer à ne rien faire.
Le canton des Grisons a contingenté la construction de résidences secondaires il y a peu dans son plan directeur. Serait-ce une solution pour d’autres cantons également?
Les Grisons sont le premier canton touristique à avoir réglementé avec précision la construction de résidences secondaires au niveau du plan directeur. Ce canton est donc précurseur. Les dispositions nous semblent globalement efficaces et équilibrées. Avec sa «boîte à outils» concernant les résidences secondaires, le canton met en outre à disposition des communes une aide fort utile. Cependant, la mise en oeuvre doit encore se faire. Si le canton des Grisons s’est penché sur ce sujet délicat, c’est sans doute aussi parce que les acteurs de l’économie du tourisme se sont rendu compte qu’une construction incontrôlée de résidences secondaires nuisait à la branche sur le long terme.
Silvaplana va encore plus loin et veut introduire une taxation supplémentaire de deux pour mille sur les résidences secondaires. Que pensez-vous de telles mesures fiscales pour résoudre le problème?
Les instruments fiscaux sont fondamentalement un bon mécanisme de régulation, mais la façon dont procède Silvaplana ne me convainc pas. Une taxation des résidences secondaires devrait inciter à transformer les lits froids en lits chauds, à faire participer les propriétaires de résidences secondaires aux frais d’infrastructure qu’ils engendrent et les recettes collectées ainsi devraient servir à des prestations publiques dont lesdits propriétaires bénéficient aussi. Cela devient problématique lorsque la population locale profite de la construction des résidences secondaires et ensuite, les propriétaires de ces résidences se voient soumis à une taxation supplémentaire. Il faut donc bien observer les motifs se cachant derrière de telles taxations et vérifier si celles-ci développent un effet de régulation notable.
Cet article est paru dans «Gestion et services publics» du 8 août 2011.