Au lieu de relâcher le frein à l’endettement, il faudrait appliquer le même principe aux assurances sociales

Limiter les dépenses, appliquer une discipline budgétaire, maintenir des finances publiques équilibrées : cela va de soi, puisque la Constitution fédérale (art. 126) prévoit également que la Confédération équilibre à terme ses dépenses et ses recettes.

En cette période compliquée, il est toutefois difficile de maintenir ces principes. Mais les conséquences de la baisse de production en Suisse sont graves et pourraient se chiffrer à 50 milliards de francs. Dans un souci d’atténuer les effets de la pandémie, les responsables politiques suisses ont mis des dizaines de milliards de francs en fonds de soutien sur la table. Il existe une très grande volonté d’aider les secteurs privés par le biais de fonds publics afin de sortir ces secteurs d’une situation d’urgence réelle, ou même seulement supposée. Désormais, la porte est ouverte aux convoitises de la part des différents secteurs pour créer de nouvelles subventions qui risquent de perdurer.

L’exemple suivant est particulièrement irritant : même si les règles de quarantaines rendent déjà les voyages à l’étranger plus compliqués pour les citoyens suisses, qui sont donc obligés de rester dans le pays pour leurs vacances, Suisse Tourisme a tout de même organisé une campagne pour la promotion des vacances en Suisse, financée par les fonds publics à hauteur de plusieurs millions de francs. Lors de la session spéciale, les Chambres fédérales ont déjà débloqué 40 millions de francs à cet effet. Au cours d’un débat, un intervenant a déclaré qu’il était important de rapprocher les Suisses de leur pays. Le secteur qui a le plus bénéficié de cette situation est celui de la publicité, alors que les brochures produites à grands frais finissent souvent à la poubelle avec les journaux du dimanche sans être lues. Les autres acteurs qui ont profité de tout cet argent public sont les viticulteurs, les services aéroportuaires, le monde de la culture et du sport.

Les citoyens veulent des finances publiques équilibrées

Après la crise du Coronavirus, la Confédération, les cantons et les communes seront dans le rouge pour le budget de 2020. La Confédération à elle seule s’attend à un déficit de plus de 20 milliards de francs. Quelques voix parlementaires se sont déjà élevées pour suspendre le frein à l’endettement. Et si la primauté de l’équité intergénérationnelle est respectée, ces dettes accumulées pourront être remboursées dans un délai raisonnable. Le Covid devrait être utilisé comme opportunité de suspendre les plans d’expansion inutiles, d’abandonner les activités administratives coûteuses, et d’examiner d’un œil critique les dépenses de l’Etat soi-disant sacro-saintes.

La population veut des finances publiques saines. Cette volonté s’est traduite à la fois dans le résultat du vote sur le frein à l’endettement en 2001, avec un oui à environ 85 %, mais aussi lors du sondage mené en 2017 par Avenir Suisse en collaboration avec Sotomo. La majorité de la population est favorable à une utilisation responsable de l’argent de ses impôts, avec des dépenses basées sur le revenu disponible. Elle refuse, prudemment, une expansion de la dette publique.

Selon la nouvelle gestion publique, le financement des activités de l’Etat par des fonds publics devrait être basé sur cinq critères : compétence, efficacité, économie, qualité et légalité. Si l’on peut supposer à juste titre que les administrations du pays remplissent généralement bien les deux derniers critères, il existe encore un potentiel d’amélioration pour les trois premiers, et ils pourraient servir de modèle pour des mesures d’austérité efficaces. Si le gouvernement (à quelque niveau que ce soit) veut mettre en place un tel ensemble de mesures, il doit répondre aux questions suivantes:

  • Quelles sont les tâches juridiques actuelles qui utilisent les ressources de manière excessive ? (Petit indice : un certain nombre d’entre elles se situent à un niveau de politique régionale, ou agricole.)
  • Les besoins des citoyens sont-ils réellement satisfaits par les services publics ? (Il est largement permis d’en douter dans le cas de l’administration centrale.)
  • Les services publics sont-ils fournis de manière économique et rentable ? (La défense ou l’aide sociale sont des domaines qui méritent d’être examinés, par exemple.)
  • Qui peut accomplir une tâche de la manière la plus efficace et rentable possible ? (Il ne doit pas nécessairement s’agir d’un secteur administratif ou d’une entreprise publique.)

En politique cependant, la méthode de la «tondeuse à gazon», avec ses exigences élevées telles que «10 % de réduction des coûts pour tous les bureaux administratifs! », profite d’une meilleure popularité mais à court terme seulement. Elle n’est pas efficace, car elle ne répond pas à la question : «à quelles activités étatiques faut-il renoncer à l’avenir ?». C’est précisément à ces questions épineuses que la politique financière doit répondre. Pour cela, il faut analyser les innombrables avantages et les avantages partiels que comportent les activités actuelles de l’Etat. Ce n’est qu’à partir de là que l’on peut élaborer un programme d’économies bien-fondé qui ne se compose pas de grandes propositions, mais de plusieurs distinctes. Si un gouvernement peut rassembler la volonté nécessaire pour économiser de l’argent, il peut mettre en œuvre de nombreuses choses, sans devoir modifier la loi ou la Constitution à chaque fois.

Imposer un gel des postes administratifs à l’échelle nationale

Les personnes extérieures sous-estiment souvent la résistance farouche à laquelle presque toutes les propositions d’économies placées sur la table du gouvernement ou du parlement se heurtent. Cette opposition vient des personnes directement concernées au sein de l’administration, qui tentent de convaincre les décideurs politiques de la pertinence de leur propre organisation et de leurs activités pour la société par le biais de leurs déclarations ou par des avis d’experts spécialement préparés pour l’occasion. Cela peut aussi se traduire par l’activation ciblée de lobbyistes externes – particulièrement populaires dans le secteur de l’éducation et de la culture – afin d’exercer une pression publique sur les politiciens. Il convient également de prêter attention aux obstacles faire attention aux pierres d’achoppement dans le cas des économies planifiées, qui véhiculent de nombreux symboles. L’annulation d’envoi de fleurs pour les fêtes du centenaire prévues par un gouvernement cantonal il y a quelques années, (dans le cadre d’un plan d’austérité comprenant plus de 100 mesures individuelles) a suscité une forte résistance jusque dans le camp bourgeois et a presque annulé la totalité de la facture.

Aiguiser les outils de la discipline fiscale (Vanessa Lee, Unsplash)

Le secteur public peut réduire la dette due au Coronavirus en faisant des économies sur son propre personnel administratif : en effet, afin de mettre un terme à l’augmentation annuelle des dépenses de personnel, il est nécessaire de mettre en place un gel des postes à l’échelle nationale dans l’administration. Il ne faut pas faire un tabou de la dissolution des bureaux administratifs qui servent moins le grand public que les intérêts particuliers, ni de l’abolition des privilèges des employés de l’Etat. Les ordonnances sur le personnel de la Confédération, des cantons et des communes contiennent encore une accumulation de privilèges de plusieurs millions de francs, comme des indemnités pour des services spéciaux, des primes uniques ou de fonctions, des cadeaux d’ancienneté généreux, des semaines de vacances supplémentaires, des compensations d’heures supplémentaires et même des indemnités pour vêtement ou semelles de chaussures. Les dirigeants politiques devront enfin trouver la volonté de couper dans ces avantages. Etant donné que les plans d’austérité et les réductions de personnel développent probablement leur propre dynamique lors des réunions des gouvernements et qu’ils rencontrent une résistance non seulement au sein de l’administration, mais aussi au sommet de la hiérarchie des départements, il convient de rappeler que la postérité se souvient plus de la volonté d’un membre du gouvernement de façonner la politique que du nombre d’employés subalternes.

Prolonger le frein à l’endettement

Enfin, les instruments de maintien de la discipline financière doivent également être aiguisés. Au lieu de lâcher du lest sur le frein à l’endettement, il faudrait appliquer le même principe aux assurances sociales Avec environ un tiers des parts, les dépenses sociales occupent la plus grande place dans le budget fédéral. En outre, ce sont elles qui ont connu la plus forte croissance au cours des 25 dernières années. En introduisant un frein à l’endettement automatique, l’équilibre entre recettes et dépenses dans le secteur social serait une solution à long terme. Il faut également dire adieu à la mauvaise habitude de la politique budgétaire d’augmenter successivement la part des dépenses publiques inhérentes à celle-ci et les solutions de financement et de les rendre ainsi quasi intouchables. Afin de retrouver une marge de manœuvre fiscale, ces liens doivent être rompus.

Durant les années de boom et d’explosion des recettes fiscales, la pression exercée sur l’Etat pour qu’il épargne était faible. Désormais, il faut qu’il réapprenne à faire des économies de toute urgence. C’est ce qu’il peut faire s’il renonce à certaines tâches, réduit son personnel administratif, étend le frein à l’endettement et lève le degré de dépendance légal. La discipline fiscale doit être rétablie. Il s’agit d’une condition sine qua non de la prospérité à long terme de notre pays.

Cet article a été publié en allemand dans le journal «Schweizer Monat» paru en novembre 2020.