Suite aux votations en juin dernier, la Suisse va devoir appliquer l’imposition minimale de l’OCDE. Ainsi, les bénéfices des grands groupes internationaux dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 750 millions d’euros seront soumis à un taux d’imposition d’au moins 15 % à partir de début 2024. Comme les lois de 18 cantons prévoient aujourd’hui des taux plus bas, un impôt complémentaire (ou, comme dans les cantons de Neuchâtel et de Schaffhouse, un barème à plusieurs niveaux) s’appliquera à l’avenir [1].
Avec l’imposition minimale, c’est un avantage important pour de nombreux cantons qui disparaît. Des efforts sont donc déployés pour compenser ces inconvénients dans d’autres domaines. Le canton de Zoug a par exemple annoncé son intention de mettre en place un institut pour les blockchains avec les recettes de l’impôt complémentaire.
Ce que le public ignore, c’est que le nouveau cadre réglementaire de l’OCDE laisse l’une ou l’autre porte ouverte, de sorte que la charge fiscale effective peut continuer à être inférieure au seuil de 15 %.
Cet article est consacré à un crédit d’impôt spécifique, jusqu’à présent inconnu en Suisse : le «Qualified Refundable Tax Credit» (QRTC). Il pourrait devenir le symbole de la nouvelle concurrence entre places économiques. De nombreux cantons étudient déjà son introduction.
Le QRTC, une subvention et non un crédit d’impôt
Les crédits d’impôt sont aujourd’hui un instrument répandu dans d’autres pays, par exemple pour encourager les investissements dans la recherche et le développement (R&D). En règle générale, le crédit correspond à un certain pourcentage des dépenses encourues, par exemple 20 % des frais de personnel R&D. Il peut être déduit du montant de l’impôt. Ce montant peut être directement déduit de la dette fiscale [2]. On peut en principe distinguer deux types de crédits d’impôt :
• Les crédits d’impôt remboursables sont accordés à une entreprise bénéficiaire indépendamment de l’obligation fiscale. Si le crédit d’impôt est supérieur à l’impôt dû, le montant de l’excédent est versé à l’entreprise bénéficiaire.
• Les crédits d’impôt non remboursables ne sont accordés que si une entreprise bénéficiaire dispose de revenus imposables. Si le crédit d’impôt est supérieur à l’impôt dû, la partie du crédit qui excède l’impôt dû est perdue et il n’y a donc pas de paiement à l’entreprise.
Pour être reconnu à l’avenir comme QRTC dans le cadre de la nouvelle réglementation de l’OCDE, un crédit d’impôt doit remplir deux conditions. Premièrement, il doit être remboursable. Deuxièmement, le crédit doit être imputé dans les quatre ans suivant son octroi. Que signifie cette disposition ? Dans le cas où la dette fiscale d’une entreprise bénéficiaire dépasse le QRTC, ce dernier est en règle générale entièrement déduit de la dette fiscale au cours de la même année.
Dans le cas contraire, si le QRTC de l’année 1 est supérieur à l’impôt dû, le QRTC excédentaire (la différence entre l’impôt dû et le QRTC initial) peut être utilisé l’année 2. Si la dette fiscale de l’année 2 est également inférieure au QRTC excédentaire, ce dernier est reporté de manière analogue sur l’année 3. Il en va de même pour l’année 3. Si le QRTC excédentaire est également supérieur à l’impôt dû en année 4, le montant QRTC restant doit être versé à l’entreprise.
En bref, pour que l’Etat ne doive pas effectuer de paiement , la dette fiscale cumulée d’une entreprise bénéficiaire des années 1 à 4 doit être supérieure au crédit d’impôt accordé l’année 1. Si l’entreprise bénéficie chaque année d’un QRTC, cette condition doit également s’appliquer les années suivantes. En théorie, il serait donc possible qu’à partir de l’année 4, un versement soit effectué chaque année si la dette fiscale est inférieure aux crédits d’impôt qui s’accumulent.
Les crédits d’impôt remboursables sont aujourd’hui en vigueur dans 17 pays de l’OCDE. Dans de nombreux cas, soit ces crédits ciblent les petites entreprises, soit ils sont soumis à des plafonds afin de limiter leur impact sur les finances publiques. Comme le montre l’exemple du Royaume-Uni, la charge sur les finances publiques peut être importante malgré le plafond. Ainsi, les dépenses liées aux crédits d’impôt R&D britanniques ont été multipliées par environ cinq entre 2010 et 2020.
Traitement inégal des crédits d’impôt
Pour les pays dont les taux d’imposition effectifs sont actuellement bas, comme en Suisse, le QRTC devrait être particulièrement pertinent dans la concurrence entre places économiques. C’est ce que l’on peut déduire en observant son traitement dans le calcul du taux d’imposition (voir tableau). La nouvelle réglementation traite le QRTC comme un revenu supplémentaire de l’entreprise multinationale. Les allègements fiscaux non reconnus (par exemple les crédits d’impôt non remboursables ou les déductions supplémentaires) sont en revanche considérés comme une réduction de l’impôt dû.
Les allègements fiscaux non reconnus entraînent donc un taux d’imposition effectif plus faible et déclenchent ainsi l’impôt complémentaire. En revanche, le QRTC ne réduit que faiblement le taux d’imposition calculé selon les nouvelles règles de l’OCDE. Par conséquent, il n’y a que peu d’impôt complémentaire à payer, voire aucun. Le QRTC permet toutefois de régler une partie de la dette fiscale. Le taux d’imposition pertinent pour l’entreprise est donc plus bas, sans enfreindre la nouvelle réglementation de l’OCDE.
En ce qui concerne la promotion de la R&D en Suisse, cela signifie que les instruments connus jusqu’à présent perdent beaucoup de leur importance. C’est notamment l’effet des instruments tels que la «patent box» ou la déduction supplémentaire de R&D qui est en grande partie neutralisé pour les groupes concernés dès que le seuil de l’imposition minimale de 15 % n’est pas atteint lors de leur utilisation.
Application illimitée
Le traitement préférentiel des crédits d’impôt remboursables dans la nouvelle réglementation n’est pas le fruit du hasard. Avec l’imposition minimale, la communauté internationale a pour objectif de limiter la concurrence fiscale. En revanche, les subventions ne font pas partie du projet. Dans le cadre de cet objectif, le traitement des crédits d’impôt remboursables dans la nouvelle réglementation est cohérent. Etant donné qu’ils peuvent donner lieu à des paiements aux entreprises, ils sont considérés comme des subventions dans la nouvelle réglementation.
Cela explique également pourquoi la réglementation de l’OCDE ne limite pas le champ d’application du QRTC. Les Etats sont libres d’organiser leur offre de subventions comme ils l’entendent. Les gouvernements pourraient donc à l’avenir, par le biais du QRTC, favoriser fiscalement les entreprises qui font avancer la numérisation, soutiennent la conciliation de la vie professionnelle et familiale ou investissent dans des technologies durables. Le QRTC crée ainsi des incitations problématiques, notamment pour les pays où les taux d’imposition effectifs sont actuellement faibles, comme la Suisse.
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Vous trouverez de plus amples informations sur le sujet dans notre publication «Le meilleur des mondes fiscaux».
[1] Les cantons dont le taux d’imposition des bénéfices est supérieur à 15 % sont également concernés, car la réforme harmonise également la base de calcul au niveau international.
[2] Ceci par opposition aux déductions supplémentaires, comme la déduction supplémentaire pour la R&D, bien connue en Suisse qui, comme leur nom l’indique, réduisent le bénéfice imposable.