Jusqu’à récemment, les discussions sur l’inflation relevaient de la fiction. Les taux d’inflation dans les pays développés sont restés à un niveau faible pendant des années. En d’autres termes, la hausse des prix de certains biens et services d’usage quotidien a été presque imperceptible.
Ces jours-ci cependant, on entend parler d’un taux d’inflation à environ 3 % dans la zone euro et à 5 % aux Etats-Unis. Inévitablement, cela soulève la question de savoir si l’inflation va rester élevée, voire si elle augmentera.
Or, comme on le sait, une hirondelle ne fait pas le printemps, et des taux d’inflation plus élevés ne signifient pas nécessairement la fin de la stabilité des prix. L’inflation signalée actuellement n’est pas inhabituelle en soi. En 2008, elle se situait dans la même fourchette. La dernière hausse des prix était attendue, en partie en raison des effets de base : il y a un an, les prix étaient sous pression en raison des confinements à répétitions. Et c’est sur cette base que l’inflation est calculée aujourd’hui.
D’ailleurs, les confinements le montrent : la politique monétaire ne suffit pas à expliquer la tendance de l’inflation. Par conséquent, les perturbations dans les chaînes de valeur entraînent actuellement une hausse des prix. Elles peuvent être de courte durée, par exemple lorsque certains ports sont fermés en raison de flambées de cas de Covid-19. Mais elles peuvent aussi durer plus longtemps si, par exemple, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine s’intensifient. En ce qui concerne la Chine, il est important de garder un œil sur son marché immobilier, car un ralentissement de l’activité de construction dans l’Empire du Milieu est susceptible de causer un effet modérateur immédiat sur les prix des matières premières.
Que cela soit à la hausse ou à la baisse, prévoir l’inflation à moyen terme revient donc à regarder dans une boule de cristal. Toutefois, sur le long terme, divers facteurs structurels laissent présager une hausse de l’inflation. Premièrement, les évolutions qui freinent les prix de l’économie réelle semblent s’affaiblir, voire s’inverser (les mots clé sont : démographie, mondialisation et, dans une certaine mesure, numérisation). Deuxièmement, et probablement le point le plus important, les conditions monétaires pour une hausse du niveau des prix sont en place.
Au cours des dernière décennies, la dette des entreprises et des Etats a fortement augmenté, non seulement en chiffres absolus, mais aussi par rapport à la production économique. En conséquence, une situation de «dominance fiscale» risque de se créer. Les économistes utilisent ce terme pour décrire une situation dans laquelle la politique monétaire ne peut plus être durcie en raison d’une dette élevée. La logique derrière ce concept est la suivante :
Un retour vers une politique monétaire restrictive n’est pas encore d’actualité, car elle implique des taux d’intérêt plus élevés. Cela entraîne une augmentation du service de la dette, qui porte préjudice aux entreprises et aux Etats fortement endettés, et donc à l’activité économique. En parallèle, étant donné que l’inflation inattendue réduit la charge effective de la dette, les banques centrales ont une incitation supplémentaire à lâcher du lest.
Le niveau élevé de la dette menace donc de tuer dans l’œuf toute lutte possible contre l’inflation. Néanmoins, les banques centrales de la Corée du Sud, de la République tchèque et de la Hongrie ont récemment commencé à resserrer leur politique monétaire. Mais c’est surtout dans les deux principales économies, à savoir les Etats-Unis et la zone euro, que la récente décision d’assouplir l’objectif d’inflation indique que des mécanismes de domination fiscale sont bien en place. L’inflation semble non seulement être venue pour rester, mais elle semble aussi avoir été officiellement invitée à s’étendre. Ce qui pose la question de savoir comment se débarrasser de cet invité si son comportement se révèle soudainement indésirable.
Cette contribution est parue dans le «Journal le Confédéré».