Dans le débat sur la politique énergétique, et notamment sur le rôle du nucléaire, déclenché après l’accident de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima un mélange d’émotions, de visions à courte vue et de populisme semble prendre le dessus. Depuis de nombreuses années, Avenir Suisse traite le sujet de la politique énergétique, notamment récemment avec l’ouvrage d’Urs Meister «Sécurité énergétique sans autarcie» (paru en allemand sous le titre «Energiesicherheit ohne Autarkie», décembre 2010). Dans ce débat, Avenir Suisse se base sur des analyses scientifiques et adopte une perspective à long terme, orientée vers l’économie de marché. Par dix principes, présentés ci-dessous, nous nous proposons de rendre le débat plus objectif et certainement moins hâtif. En effet, les mêmes principes caractérisant notre ordre économique et social devraient également régir la politique énergétique. Les premiers cinq principes se penchent sur le rôle des prix et du commerce international, les principes six, sept et huit sont consacrés aux questions des coûts d’opportunité et de la sécurité d’approvisionnement, et les derniers deux principes touchent au rôle de l’État.

1: Seuls les prix libres sont en mesure de donner les bons signaux et stimuli à la consommation et aux investissements.

Dans une économie de marché, le mécanisme des prix libres est l’instrument de manœuvre le plus important. Si les prix ne sont pas distordus par des effets externes ou une prise d’influence sur les marchés, les acteurs reçoivent les bons signaux pour prendre des décisions de consommation et d’investissement. Cela s’applique aussi à l’énergie. L’attente d’une augmentation des prix incite les producteurs à innover et à investir.

Un exemple en est le secteur du gaz: dans ce secteur, les États-Unis favorisent de plus en plus des ressources non conventionnelles que l’on considérait encore il y a pas longtemps comme trop coûteuses. Aussi dans le secteur de l’électricité, une montée des prix encourage les investissements et l’innovation. Ainsi, l’efficacité des centrales à gaz et au charbon a crû de façon constante. De même, on a développé davantage les énergies renouvelables, de nombreux parcs éoliens on shore sont aujourd’hui déjà compétitifs.

Du côté du consommateur, des pris plus élevés signalent une pénurie et portent ainsi à une consommation plus modérée. S’il est vrai que la demande – surtout celle du courant électrique – est peu élastique à cause des habitudes de consommation bien ancrées, dans le long terme, les prix de l’énergie ont bel et bien un impact sur le comportement des consommateurs. D’un côté, des prix élevés rendent la demande plus élastique, parce que les dépenses pour le courant pèsent plus dans le budget; de l’autre côté, l’achat d’appareils plus efficients ouvre aux consommateurs des possibilités d’épargne. En dépit d’un risque présumé de pénurie de courant électrique, en Suisse, les tarifs pour les consommateurs finaux restent pour la plupart bien au dessous des prix du marché. Cela est dû largement à la politique des prix des fournisseurs publics, mais aussi à la législation sur l’ouverture du marché de l’électricité, qui, pour l’approvisionnement de base, demande aux fournisseurs de pratiquer des prix fondés sur les coûts de production (art. 4, OApEl). Cela comporte donc un subventionnement inutile des consommateurs, un manque de volonté d’investissement chez les producteurs et un ralentissement du développement des structures et des technologies.

2: Les avantages du commerce international gardent toute leur validité aussi pour le marché de l’énergie.

Tous les acteurs concernés profitent du libre échange des matières premières, des biens transformés et des services. Le libre échange est un élément clé de toute économie moderne et ouverte. Surtout pour un petit pays, ses avantages sont évidents. D’un côté, il existe des «avantages comparatifs»: un pays capable de produire un produit à un coût relativement bas en produira le plus possible et exportera une partie. En exportant, il pourra acheter des biens d’autres pays, pour lesquels ces derniers présentent à leur tour des avantages comparatifs.

Un exemple d’«avantage comparatif» est la différence des ressources naturelles détenues par les différentes économies (théorème d’Heckscher-Ohlin). Ces raisonnements théoriques sont aussi valables pour le domaine de l’énergie. À cause de la répartition inégale des réserves en pétrole, gaz naturel et charbon, le commerce mondial est indispensable.

Au niveau régional, cela est vrai aussi pour le courant: dans ce domaine, les possibilités ainsi que les coûts de production qui varient selon l’emplacement rendent l’échange nécessaire et utile (les prix du gaz et du charbon spécifiques au site, la disponibilité d’énergie hydraulique, solaire, éolienne, etc.). En plus, le commerce de l’électricité peut compenser des difficultés de production et contribuer ainsi à la stabilité de l’approvisionnement. Cela ne veut pourtant pas dire que les importations de courant peuvent remplacer en bloc la production interne. Même-si la Suisse dispose d’importantes capacités de transport du courant électrique, une hausse des importations engendrerait pourtant des risques pour la stabilité du système. En effet, s’il venait à manquer des capacités de production dans le pays, la sécurité d’approvisionnement en cas de perturbations temporaires (par exemple dans le réseau international) ne pourrait être garantie qu’avec de grandes difficultés.

La nécessité d’une production interne est donc justifiée, mais elle n’a rien à voir avec l’indépendance énergétique tant demandée par le monde politique. Celle-ci n’est qu’une illusion. La Suisse n’est de loin pas capable de s’auto-approvisionner: deux tiers de son énergie sont d’origine fossile et importés.

Et même pour ce qui est du courant, le pays n’est pas autosuffisant. Surtout en hiver, quand les centrales hydrauliques produisent très peu, le courant doit être importé. En outre, les centrales d’accumulation par pompage sont dépendantes du commerce. Une politique énergétique visant avant tout l’indépendance n’est pas seulement très coûteuse, mais elle pourrait compromettre également la sécurité d’approvisionnement.

3: Les petites économies ouvertes sont dépendantes du prix du marché externe.

Comme l’échange d’énergie se fait au niveau mondial, les prix du marché se forment sur les marchés internationaux. Cela est particulièrement évident pour les sources d’énergies fossiles, le pétrole, le gaz et le charbon. Mais l’électricité en est aussi concernée. Il est clair que les prix de l’énergie peuvent afficher des différences régionales, notamment parce que les coûts peuvent varier selon les sites de production et les coûts de transports, etc.

Néanmoins, en raison de la négociabilité entre les différentes énergies, les prix tendent à évoluer en parallèle. Ainsi, l’extraction croissante de gaz «non conventionnel» aux Etats-Unis tend à influencer le marché européen, par le biais du commerce international de gaz naturel liquéfié (GNL), ce qui a occasionné une baisse des prix même en Europe.

Étant donné que souvent les coûts de production variables des centrales à gaz déterminent le prix sur le marché européen, la baisse du prix du gaz fait descendre aussi les prix du courant électrique. Et en raison des échanges transfrontaliers du courant électrique, ces développements se transmettent en Suisse. Même si en Suisse il n’y a aucune centrale à gaz, le prix du gaz sur les marchés internationaux finit aussi par influencer le prix du courant électrique sur le marché suisse.

Déjà aujourd’hui, nous pouvons constater cela: en été, le prix du marché du courant suisse se trouve au même bas niveau que celui pratiqué en Allemagne. Par contre, en hiver, quand la Suisse doit importer, le prix grimpe au niveau de l’Italie, où le prix du courant est plus élevé à cause d’un prix du gaz plus élevé dans la région. En raison du marché international et de l’interdépendance entre les sources d’énergie, un petit pays ouvert n’a qu’un impact très marginal sur le prix du marché: de nouvelles grandes centrales ne peuvent pratiquement rien changer au niveau des prix du marché du courant électrique.

4: Les effets externes non internalisés créent des distorsions dans le comportement des producteurs et des consommateurs.

Par effets externes l’on désigne les conséquences de la production ou de la consommation d’un produit pour des tiers, qui ne sont pas reflétées dans le prix du marché. Ces effets peuvent être aussi bien de nature positive que négative, c’est-à-dire augmenter ou réduire le bien-être d’autrui. En ce qui concerne la production d’énergie ou du courant électrique, différents coûts externes sont occasionnés.

Ainsi, la pollution de l’air provoquée par une centrale à ressources fossiles peut nuire à la santé des habitants, endommager les bâtiments, provoquer des mauvaises récoltes et causer des dégradations aux forêts. D’autres coûts non internalisés sont le bruit, les accidents non couverts par les assurances, le changement climatique dû au CO2 et une dégradation du paysage, etc. Si ces effets ne sont pas pris en compte pour le calcul des coûts de production, c’est-à-dire lors de la formation des prix, les décisions de production et d’investissement sont distordues.

Un niveau de coût trop bas occasionne une surproduction et engendre des gains trop élevés pour le producteur. Par contre, les inconvénients doivent être supportés par les tiers. D’un point de vue économique, il serait donc opportun d’internaliser ces coûts externes par des taxes de régulation ou des certificats d’émission. Cependant, dans la pratique cela n’est pas si facile. Premièrement, les effets externes sont difficiles à quantifier. Ainsi, les estimations des coûts externes de différentes technologies de production du courant électrique varient considérablement. Cela complique la conception pour une taxe de régulation adéquate ou d’une limite d’émissions satisfaisante pour l’échange des droits d’émissions.

Dans la réalité politique, ces instruments servent donc souvent à des fins fiscales, l’objectif de régulation passant au second plan. Ainsi, au lieu d’une régulation judicieuse, une distorsion ultérieure du marché a lieu. Deuxièmement, de tels instruments ne peuvent être appliqués qu’en coopération internationale, puisque les effets externes sont dans une certaine mesure mobiles sur le plan international. Par exemple, si un pays cherche tout seul à internaliser les effets externes internationaux des émissions de CO2, les consommateurs du dit pays doivent faire face à un surcoût et donc à un désavantage économique par rapport aux autres pays, tandis que les gains de cette internalisation se font sentir surtout à l’étranger.

5: Les coûts externes du nucléaire doivent être internalisés en partie aussi sur le plan politique.

La question des coûts externes engendrés par les centrales nucléaires pose un défi tout particulier. Si les coûts potentiels d’un accident nucléaire ne sont pas entièrement couverts par les opérateurs, par exemple sous forme d’assurance, il y a effets externes.

En Suisse, le montant d’assurance minimal s’élève à 1,8 milliards CHF. Dans le cas d’un accident majeur, cela ne suffirait certainement pas. En Allemagne, les estimations des dommages potentiels d’une fusion du cœur d’un réacteur varient entre 500 milliards et 5’000 milliards d’euros. De fait, la part non assurée constitue un effet externe. De cette manière, les opérateurs des centrales nucléaires arrivent à éviter de payer la totalité des frais d’assurance. C’est donc le public qui se retrouve dans la situation à les subventionner en assumant les coûts externes potentiels.

Pour cette raison, une assurance complète qui couvre et internalise aussi les effets externes serait plus juste du point de vue de la politique économique. Toutefois, cela présuppose une définition de la probabilité et une estimation des dommages éventuels d’un accident majeur. En raison de la rareté de tels incidents graves cela rend les estimations très variables. Ainsi, en Europe l’on estime les coûts externes de la production du courant par les centrales nucléaires à 0,01 et 321 centimes par kWh produite. Cet écart résulte d’une grande variabilité des estimations concernant la probabilité d’un sinistre et les dimensions des dommages causés en cas de sinistre, mais surtout d’une aversion au risque très diversifiée.

Ces importantes différences illustrent bien le problème de la couverture d’assurance. Cette dernière a une capacité très limitée de couvrir un dommage potentiellement énorme, mais qui se vérifie avec une probabilité très réduite. Dans des cas pareils, la prime d’assurance ne peut pratiquement pas être quantifiée. La possibilité d’une concentration internationale des risques et d’une assurance à travers les marchés internationaux des capitaux (obligation catastrophe) n’est actuellement que théorie. Une alternative à l’assurance privée serait des taxes plus élevées versées à l’État agissant de facto comme assureur.

Mais la question de fond reste la même: faut-il une assurance complète pour des événements extrêmes très improbables, comme la chute d’une météorite directement sur une centrale nucléaire? Si en raison d’une grande aversion au risque et d’une probabilité élevée les estimations atteignent des niveaux très hauts, les primes d’assurance ou les taxes seraient tellement élevées que la construction d’une centrale nucléaire ne serait plus rentable. Par contre, des estimations trop optimistes portent dans les faits à un subventionnement. Pour ces raisons, la réclamation d’une couverture d’assurance réaliste ne constitue pas une solution. On doit forcément passer par un débat politique sur l’acceptation du nucléaire et sur l’aversion au risque.

6: Chaque stratégie comporte un prix sous forme de coûts d’opportunité.

Quand il s’agit d’évaluer diverses options stratégiques, on ne doit pas ignorer les coûts d’opportunité. Le coût d’opportunité désigne les gains d’une option auxquels l’on renonce par le choix d’une autre option. Toutes les décisions en politique énergétique impliquent des coûts d’opportunité. Les réflexions autour d’une sortie du nucléaire illustrent bien cela.

Ainsi, la construction de centrales à gaz produit des émissions de CO2 supplémentaires, l’augmentation des importations d’électricité met à mal la stabilité du système, l’augmentation des subventionnements aux énergies renouvelables fait monter les prix du courant et provoque – dans le cas de parcs éoliens et de petites centrales hydrauliques – une défiguration du paysage. De plus, la hausse des prix peut engendrer chez les industries à forte intensité énergétique un accroissement des importations de prestations préalables et peut même créer les conditions pour des délocalisations de sites de production.

Lorsque la production de courant électrique supplémentaire importée se base sur des combustibles fossiles cela fait grimper les émissions de CO2 à l’étranger. De surcroît, les projets utilisables pour se substituer au nucléaire, notamment ceux qui sont basés sur de grosses installations, présentent à leur tour de grands risques d’accidents, qui ne sont couverts que marginalement par les assurances (par exemple: les grands barrages). En fin de compte, toute stratégie énergétique de substitution implique des coûts supplémentaires (par exemple à cause de standards de sécurité renforcés, de taxes de régulation, de prix plus élevés) ou une réduction du confort chez le consommateur (par exemple: par le renoncement, par un changement du mode de vie, par plus de régulation). En somme, toute stratégie a ses avantages et ses inconvénients. Sous l’angle des coûts d’opportunité, le bénéfice du nucléaire se trouve en dernière analyse dans l’évitement des coûts et des inconvénients liés aux autres options.

7: La diversification est une des meilleures stratégies pour réduire les risques.

La diversification est un instrument intelligent pour réduire les risques, non seulement sur les marchés financiers et pour les portfolios de produits, mais aussi pour assurer son indépendance envers les fournisseurs. De manière analogue, cela s’applique aussi à l’énergie. Une alimentation diversifiée, basée sur différentes ressources énergétiques et sur une production décentralisée est le meilleur moyen pour réduire l’insécurité inhérente de la production et la distribution.

L’exemple de l’approvisionnement en énergie de la Suisse montre que le risque de pannes réside surtout dans le contexte des infrastructures de réseaux ou des pipelines. Raison pour laquelle ces risques sont, de manière tendancielle, plus importants pour le courant et le gaz que pour le mazout où, à côté d’une structure d’importations diversifiée, l’on dispose de nombreux dépôts.

La substitution si souvent réclamée des ressources énergétiques fossiles par du courant local ne mène donc pas forcément ni à une plus grande sécurité, ni à une plus grande stabilité d’approvisionnement en énergie. Elle représente par contre une menace pour la diversification. En outre, il ne faut pas oublier qu’il existe de fortes interdépendances entre le courant et les ressources d’énergie fossiles. Ainsi, du point de vue de la sécurité de l’approvisionnement, il est raisonnable que la Suisse maintienne sa production diversifiée d’énergie – et cela aussi envers l’Europe.

Cette optique relativise l’avantage des nouvelles centrales à gaz en tant que substituts aux centrales nucléaires: justement parce que l’Europe mise de plus en plus sur ces centrales à gaz, leur attractivité pour la Suisse est limitée, la dépendance de l’Europe face au gaz russe et à une poignée de pipelines étant trop grande. Si l’Europe manque de gaz, la Suisse ne peut ni produire ni importer du courant puisque alors toutes les centrales à gaz européennes sont elles-mêmes victimes de problèmes d’approvisionnement.

8: Les effets d’échelle ne sont pas seulement avantageux (diseconomies of scale).

Le nombre d’unités de production est lié à certains avantages économiques. Les économies d’échelle, comme on les appelle, peuvent également être observées dans la production du courant électrique. Ainsi, en Suisse, seulement cinq centrales nucléaires fournissent 40% de la production totale de courant électrique.

Les avantages résultant de cette économie d’échelle sont liés aux coûts relativement bas par kilowatt/heure (kWh) et à un usage limité du territoire (impact au sol). Cela peut être illustré grâce à une simple comparaison: le plus grand parc éolien de Suisse, situé dans le Jura bernois, est consistué de 16 éoliennes. Sa production annuelle s’élève à environ 0,04 TWh, dont à peu près 0,03 TWh proviennent des huit éoliennes modernes avec des turbines de 140 mètres de hauteur. Seulement pour remplacer la centrale nucléaire la plus ancienne, Beznau I, il faudrait 800 exemplaires de telles turbines modernes. L’impact territorial serait considérable.

Mais une grande centrale n’a pas que des avantages: une plus grande taille implique également un potentiel élevé de dommage en cas d’incident et si une telle centrale est arrêtée, l’on perd une partie significative de la production totale. Ou encore, cela nécessite de créer des capacités de réserve prêtes à prendre le relais en cas de pannes subites. Les coûts supplémentaires engendrés par cela doivent, dans un petit marché comme la Suisse, être repartis sur un nombre relativement petit de consommateurs. De grandes centrales nucléaires demandent alors une intégration dans le marché international encore plus conséquente si l’on veut qu’aussi le consommateur final puisse bénéficier des économies d’échelle.

9: L’État n’est pas un producteur et financier approprié.

Jusqu’à maintenant, il va de soi que, dans le marché du courant électrique, l’État ne définit pas seulement les conditions cadres, mais joue également un rôle de producteur et de financier actif. Face à la libéralisation et l’internationalisation des marchés de l’énergie et du courant électrique, il est de mise de reconsidérer ce rôle.

Du point de vue de la politique économique visant un ordre économique durable, surtout l’engagement des cantons sur le marché du courant doit être questionné parce que la production de courant ne peut aujourd’hui être perçu ni comme monopole ni comme service public. Les centrales étatiques n’ont aucune raison d’être. Également, d’un point de vue financier, l’engagement public est problématique.

Beaucoup de cantons voient leur participation dans le secteur de l’énergie comme de possibles rendements attractifs. Dans le marché libéralisé et internationalisé, ces possibilités comportent des risques financiers de plus en plus grands. Dans l’histoire, les investissements dans le marché du courant électrique se sont produits sous des conditions de monopole: par des tarifs basés sur les coûts, ceux-ci ont pu être transmis aux clients finaux. Cependant, après la libéralisation (complète), c’est le marché qui fait les prix. Et ceux-ci s’orientent d’un côté aux prix européens, plus variables et déterminés par des sur- ou des souscapacités de l’ensemble des centrales, et de l’autre côté au prix du gaz.

La demande accrue pour l’énergie fait qu’on s’attend à l’avenir à des prix plus élevés, mais de manière inverse, la promotion du gaz «non conventionnel» pourrait engendrer une baisse des prix. Ces insécurités au niveau des prix, des dimensions de certains projets d’investissement, de l’engagement des producteurs de courant électrique à l’étranger et leurs modèles d’affaires, qui sont de plus en plus orientés vers le marché global, ont multiplié de manière significative le nombre de risques financiers pour le secteur public. Seule une structure privée d’actionnaires, pour les sociétés de distribution et les sociétés gérant les centrales, peut satisfaire aux exigences d’un marché libéralisé.

10: Les technologies de l’avenir ne sont pas encore toutes connues.

Le développement technologique est un moteur important du développement économique et social. L’innovation ne peut pas être décrétée par l’État. En général, elle se fait par un jeu décentralisé entre les entreprises et les consommateurs sur le marché.

Le rôle de l’État devrait se limiter à la recherche scientifique et technologique de base et la création des conditions cadres opérationnelles pour les marchés. Si l’on prend en considération les effets externes dans les coûts ou les prix sur le marché, il n’y aurait en principe pas besoin de subventionner de nouvelles technologies. Dans la politique énergétique pragmatique par contre, on discute souvent le potentiel et les coûts de technologies spécifiques.

Les instruments de subvention qu’on en déduit, comme celui du tarif de rachat, tendent à promouvoir des technologies spécifiques, et cela malgré que l’État ne puisse pas prévoir quelle technologie s’imposera dans le futur. Pire encore, plus une technologie est chère et inefficace, plus elle tendra à réclamer des subventions. Souvent, ces mesures de promotion revêtent des objectifs de politique industrielle. Du point de vue de la politique économique ayant pour objectif de trouver un ordre économique plus durable, ceci doit être fortement questionné.

Pour ces raisons, la politique fera mieux de créer un cadre qui est le plus ouvert et flexible possible envers le développement de nouvelles technologies et qui ne s’applique pas seulement aux énergies renouvelables. Pour cette raison, il n’est pas raisonnable de décider déjà aujourd’hui de la sortie définitive de l’énergie nucléaire. En effet, on s’aperçoit que des développements technologiques, par exemple des petits réacteurs ou des types de centrales de quatrième génération avec un niveau de sécurité plus élevé, pourraient révolutionner la production du courant nucléaire.

Mais il faut également tenir compte du fait que des technologies, parfaitement inconnues de nos jours, pourraient complètement changer la politique énergétique du futur. C’est pour cela que des décisions définitives – pour ou contre une forme de production d’énergie – font preuve d’une arrogance qui revient à un refus aveugle des futures possibilités de développement.

Pour une politique d’énergie orientée vers l’avenir.

Les principes formulés dans ce papier sont un essai pour une ligne conductrice en matière de politique énergétique. Ils sont marqués par la conviction que, dans le processus de recherche et de découverte du développement technologique, mais aussi des marchés, il n’y a jamais de certitudes absolues. En outre, elles partent de l’idée que toute action humaine comporte un certain nombre de risques et qu’une société à zéro risque n’est pas un but souhaitable, elle serait en quelque sorte même inhumaine. Pour ces mêmes raisons, des investissements dans de nouvelles technologies et de nouvelles centrales sont toujours liés à des risques économiques et techniques, et ceci généralement indépendamment de la technologie choisie. De cette manière, la politique énergétique ne peut pas devenir une économie planifiée. L’État, que ce soit la Confédération ou les cantons, ne devrait pas se muer ni en producteur, ni en investisseur. Le devoir de la politique est seulement de créer les bonnes conditions cadres pour que la compétition fonctionne, que les prix ne soient pas distordus, qu’un niveau raisonnable de sécurité soit garanti, que des investissements dans des nouvelles technologies soient possibles et que le commerce international de l’énergie et du courant puisse se dérouler de manière efficace.

La décision du Conseil fédéral du 25 mai 2011 contredit à plusieurs égards les principes d’une politique de l’énergie orientée vers l’économie de marché. Ainsi, ni les attentes de coûts plus élevés pour la production nucléaire, après le grave accident de Fukushima, ni celles des prix à la baisse des énergies renouvelables peuvent justifier cette décision. Car il est aux producteurs d’électricité, et pas à la politique, d’évaluer la rentabilité des différentes formes de production et d’ensuite de choisir la «meilleure» technologie. De même, la manière dont le Conseil fédéral poursuit ses objectifs ambitieux d’économiser de l’énergie contrevient aux principes de l’économie du marché, en faisant abstraction notamment de la croissance de la population. Ainsi, le but de stabiliser la consommation de courant semble être assez irréaliste. Au lieu de propager des exigences minimales pour des appareils électriques, des systèmes de bonus-malus ou des taxes d’incitation sur l’électricité, le Conseil fédéral devrait faire en sorte que les consommateurs soient confrontés à des prix réalistes, par exemple en réalisant rapidement la deuxième étape de la libéralisation du marché de l’électricité. En Suisse, encore beaucoup de consommateurs profitent des tarifs d’électricité qui ne sont pas seulement bon marché, mais aussi en dessous du niveau du marché.

La stratégie du Conseil fédéral prévoit également un renforcement de l’énergie hydraulique et des énergies renouvelables. Cette stratégie va rencontrer beaucoup d’obstacles, notamment en ce qui concerne l’énergie hydraulique: les nouvelles considérations écologiques devraient très vite mettre des barrières à ce développement. Et en ce qui concerne le renforcement des nouvelles énergies renouvelables, il ne faut pas oublier que son développement est surtout lié à des coûts importants pour les consommateurs finaux, particulièrement si on les introduit rapidement. Enfin, pour ce qui est d’augmenter massivement la part des énergies renouvelables, la Suisse n’est tout simplement pas le bon lieu. Ainsi, le potentiel de l’énergie éolienne est trop faible en Suisse. Par manque d’alternatives, on se tournera vers la photovoltaïque, qui reste encore largement dépendante des subventions. Les coûts additionnels doivent être payés par les consommateurs finaux. Même si, après la catastrophe de Fukushima, l’énergie nucléaire paraît massivement discréditée parmi la population, une décision définitive de sortie du nucléaire est en opposition à la raison, mais aussi aux limites actuelles de notre savoir. Dans les années à venir, de nouvelles technologies (par exemple de petits réacteurs, des centrales de quatrième génération ou des solutions complètement nouvelles) peuvent devenir pertinentes et intéressantes d’un point de vue économique. C’est sur cela qu’une politique de l’énergie future devrait se fonder, et pas sur une «émotion» populaire ou sur des scénarios à courte vue.