Sur le thème de l’UE, le Conseil fédéral hésite. A défaut de prendre une décision sur l’accord-cadre, il engage constamment de nouvelles personnes aux postes clés, comme récemment avec la nomination de la diplomate Livia Leu en tant que nouvelle négociatrice en chef pour les négociations avec l’UE. Avenir Suisse organisé le 25 novembre, en collaboration avec l’Association suisse de politique étrangère (ASPE)un débat vidéo en ligne sur le thème : «La Suisse et l’UE: comment l’accord-cadre peut-il être sauvé ?». Outre l’ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne en Suisse, Michael Flügger, les intervenants étaient Adrian thrich, Président de Travail.Suisse et Christa MarkwalderPrésidente de l’ASPE et conseillère nationale du PLR.

Protection des salaires : la solution suisse va plus loin que celle de l’UE

Comme prévu, la protection des salaires constitue l’un des trois sujets sur lesquels le Conseil fédéral demande officiellement des clarifications, et celle-ci a d’ailleurs occupé une grande partie des discussions. Au nom des syndicats, Adrian Wüthrich s’est exprimé sur le fait que les mesures suisses devraient en fait être considérées comme acceptables par l’UE, car cette dernière s’est rapprochée dsystème de protection salariale suisse avec sa directive sur le détachement de travailleurs depuis l’introduction des mesures d’accompagnement par la Suisse (FlaM).

De plus, de nombreux Etats membres seraient désormais favorables à une protection des salaires plus étendue. Même la Confédération européenne des syndicats soutient le système suisse. Le double système d’exécution entre les employeurs et les employés est unique en Europe et doit être maintenu. C’est peut-être aussi une des raisons pour lesquelles l’association des employeurs critique cet accord-cadre. La Suisse devrait pouvoir réglementer la protection des travailleurs de manière autonome. 

 

De gauche à droite et de haut en bas : Christa Markwalder (Présidente ASPE, conseillère nationale PLR), Adrian Wüthrich (Président Travail.Suisse), Markus Mugglin (modérateur), Michael Flügger (Ambassadeur de l’Allemagne en Suisse). Via Zoom (ASPE, Avenir Suisse)

En outre, Adrian Wüthrich a poursuivi en expliquant que l’approche suisse de la protection des salaires est pragmatique. A titre d’exemple, elle est contrôlée uniquement en fonction des risques. De plus, des solutions ont toujours été cherchées et trouvées au sein de la commission trnationale entre la Suisse, l’Autriche et l’Allemagne pour ajuster le délai de notification anticipée de huit jours pour les entreprises proches des frontières. Les syndicats ont également rejeté l’accord-cadre actuel parce que, selon eux, il s’agissait de facto d’un accord d’association avec l’UE.

Egalité de traitement des acteurs du marché intérieur

L’Ambassadeur Flügger a constaté que l’UE avait déjà été très accommodante envers la Suisse avec le présent accord. Ainsi, des éléments individuels des FlaMqui avaient auparavant fait l’objet de divergences au sein du comité, ont été acceptés. Cependant, la «protection salariale maximale» recherchée ne peut pas être obtenuecar les règles du marché intérieur ne le permettent pas, dans la mesure où il ne serait pas possible de respecter un traitement juste et équitable des participants : certains Etats membres observent cela d’un œil suspicieux. La libre circulation des personnes est un élément central des accords bilatéraux, c’est pourquoi l’UE ne peut pas supprimer la protection des salaires de cet accord. Sur ce point, la Commission européenne est claire et fondée sur des principes.

Le Luxembourg, a poursuivi Monsieur Flügger, compte plus de frontaliers et d’expatriés que la Suisse. Mais le niveau des salaires dans la Principauté est plus élevé que dans la région environnante. Il n’y a pas de pression sur les salaires et le manque de travailleurs qualifiés en Suisse ne permet pas d’en exercer une. Il faut considérer qu’une partie des différences qui existe entre les salaires de la Suisse et ses pays voisins est également due à la force du franc suisse.

Pour Christa Markwalder, la Suisse a bien négocié. Par exemple, le Tribunal Arbitral aurait pu être inclus dans l’accord. Par ailleurs, le champ d’application s’étend à uniquement cinq accords d’accès au marché existants, outre les accords futurs. La reprise du droit est dynamique mais pas automatique. En cas de non-respect par la Suisse, les «sanctions» doivent être proportionnellesCette proportionnalité, en revanche, serait évaluée par le Tribunal Arbitral et non par la Cour de justice de l’UE. Un tel processus n’existe pour aucun Etat membre de l’UE ou de l’AELE dans le marché intérieur. En bref, la Suisse n’a pas donné suite aux demandes de l’UE, mais ses intérêts sont reflétés dans l’accord-cadre actuel.

Il ne faut pas attendre les Britanniques

L’Ambassadeur Flügger a clairement indiqué que la Suisse ne pouvait pas attendre des concessions de la part de l’UE qui iraient au-delà de toute solution possible avec le Royaume-Uni. Selon lui, on n’empiéterait plus sur le domaine central de l’accord, à savoir les 22 articlesL’annexe demeure cependant ouverte à des clarifications. L’Ambassadeur a toutefois souligné que la Commission européenne avait actuellement du pain sur la planche : outre le Brexit, le budget de l’UE et le règlement des différends commerciaux avec les Etats-Unis sont également au programme. D’une part, dit-il, c’est une chance pour la Suisse, car l’UE exerce une faible pression temporelle. D’autre part, la Suisse se trouve sous la menace d’une érosion des accords bilatéraux qui ne sont plus mis à jour.

Christa Markwalder a résumé que ce serait une erreur pour la Suisse d’attendre le résultat des négociations avec le Royaume-Uni. La situation de départ est en effet différente : les relations du Royaume-Uni avec l’UE sont au plus bas, et ce dernier lui fait des pieds de nez, alors que la Suisse est en train de conclure un accord. La coïncidence au niveau des dates entre le Brexit et l’accord-cadre ne pouvait pas plus mal tomber. De plus, dans le passé, la Suisse a toujours préféré attendre que de s’élancer la tête la première. La Suisse devrait donc enfin communiquer un calendrier concret et s’efforcer d’obtenir plus de réunions entre le Conseil fédéral et l’UE. La crédibilité internationale de la Suisse en tant que partenaire de négociation, jusqu’alors considérable, est en jeu : en effet, l’accord-cadre est en vigueur depuis deux ans. 

L’horloge tourne : il faut prendre des décisions

La balle est donc dans le camp du Conseil fédéral. Il est nécessaire de prendre des décisions et de fixer un calendrier. Attendre et espérer que la situation s’améliore toute seule est une stratégie qui ne fonctionne pas. Les effets entraînés par des manquements à une mise à jour périodique des accords existants et du blocage des nouveaux accords sectoriels d’accès aux marchés touchent la Suisse, lentement mais sûrement. Il convient de rappeler l’Accord de reconnaissance mutuelle : l’industrie suisse des technologies médicales, orientée vers l’exportation, sera la première à ressentir les effets négatifs de l’absence de mise à jour. La reconnaissance de l’équivalence de notre protection des données ou la participation future de nos universités et collèges au programme de recherche Horizon Europe devrait également être prise en compte.

Sélection d’études sur le sujet 

Pour la Suisse, l’accord-cadre est la suite logique de la voie bilatérale, sans qu’elle ne doive devenir membre de l’EEE ni de l’UE. L’accord garantit un accès sectoriel au marché intérieur de l’UE et crée une sécurité juridique, sans que la Suisse ne doive abandonner sa «voie spéciale». Il est important d’examiner l’ensemble du paquet et les alternatives possibles.

La mise à jour périodique de l’accord de libre-échange de 1972 souvent citée ne donnera jamais à la Suisse le même accès préférentiel au plus grand marché intérieur du monde, comme l’a déjà affirmé le Conseil fédéral dans une étude. 

La population semble plus pragmatique que le gouvernement et saidistinguer le bruit en politique. Ematière de protection des salaires, seul 0,7 % de l’ensemble des employés suisses est concerné. Ce pourcentage équivaut à peu près au nombre d’employés des CFF.

Lien vers la vidéo (en allemand)