Beaucoup ont déjà vécu une telle situation, qui s’avère assez courante en fin d’année. Un rendez-vous important se profile, mais quelques jours avant, un mal de gorge se fait sentir. Puis, le jour J, rien ne va plus. Il faut trouver une solution. Grâce à des remèdes de grands-mères et des médicaments, on arrive tout juste à se rendre au rendez-vous et on s’en sort parfois même très bien, mais le lendemain, il faut se reposer, sinon on risque de s’affaiblir.

Combler à court terme une baisse de performance est également une pratique courante en politique économique. Personne n’a mieux mis en évidence ce principe que John Maynard Keynes. Selon lui, les économistes se simplifient la tâche lorsqu’ils affrontent les perturbations à court terme en arguant que tout reviendra à l’équilibre à long terme. Se contenter d’accepter une crise grave et d’évoquer un avenir meilleur ne sert pas à grand-chose, car, écrivait-il, «sur le long terme, nous sommes tous morts».

Selon Keynes, les effondrements économiques doivent donc être atténués rapidement par la politique monétaire et fiscale. Son œuvre principale a été publiée pendant la Grande Dépression des années 1930. A l’époque, l’argumentation a été très bien accueillie. Toutefois, après une première phase de politique économique keynésienne qui s’est terminée par un marasme économique accompagné d’une forte inflation, l’approche a été remise en question. Cela a changé il y a 15 ans. Depuis, les idées de Keynes connaissent un véritable renouveau.

Les événements qui ont entouré la crise financière de 2008 ont réveillé les souvenirs de la Grande Dépression. Il n’est donc pas étonnant que le monde se soit souvenu de Keynes à ce moment-là, et ce à juste titre. Sans une intervention courageuse des banques centrales et des Etats, l’effondrement menaçait. Pour reprendre la métaphore choisie au début de cet article : l’économie a tout juste pu être maintenue à flot grâce aux remèdes de la politique monétaire et aux médicaments de la politique fiscale.

Les remèdes issus de la politique monétaire et les remèdes de la politique fiscale ne sont efficaces qu’à court terme. (Kelly Sikkema, Unsplash)

Mais ce qui manque jusqu’à présent, c’est un arrêt de la médecine après la crise aiguë du système ainsi qu’une prise en charge des problèmes sous-jacents. Comme par le passé, les mécanismes politico-économiques font obstacle. Les instruments économiques sont tout simplement trop attrayants. Une fois qu’ils y ont goûté, les milieux politiques ne quittent plus le spray nasal keynésien. Cela laisse des traces au fil du temps.

L’endettement de divers Etats a beaucoup augmenté et nombre de ces titres de créance se trouvent dans les comptes des institutions financières. Parallèlement, les bilans des banques centrales ont atteint des niveaux sans précédent. En comparaison avec la performance économique, ils ont même dépassé les valeurs des années de guerre mondiale et des guerres précédentes.

De tels indicateurs économiques peuvent être interprétés de la même manière que des valeurs médicales de laboratoire. Ils indiquent que l’état général est devenu peu à peu plus critique. Le recours aux médicaments a certes permis au patient de surmonter une crise, mais aussi de ne pas devoir s’attaquer aux causes des problèmes. En conséquence, la stimulation permanente à court terme se paie par un affaiblissement à long terme.

La fragilité est devenue plus visible cette année, lorsque l’inflation en premier lieu, puis les taux d’intérêt ensuite, ont augmenté. Au printemps, plusieurs banques américaines se sont retrouvées en difficulté après avoir subi des pertes sur les titres d’Etat qu’elles détenaient. Et la semaine dernière, le même effet a conduit une première banque centrale à communiquer un capital propre négatif : la Riksbank a par la suite demandé au Parlement suédois d’augmenter son capital.

Cela montre une fois de plus le problème de la politique économique keynésienne : elle est efficace à court terme en théorie et en pratique, mais n’est durable à long terme qu’en théorie. Il s’agit d’un mélange dangereux. Rapidement, la lutte contre les symptômes se pérennise, avec des conséquences négatives sur la viabilité économique. «Sur le long terme, nous sommes tous morts» prend alors un sens cynique, une signification que beaucoup attribuent également à Keynes à tort : qu’importe les problèmes à venir, l’essentiel est que je me sente bien aujourd’hui.

Une telle attitude aboutit tôt ou tard à un désastre. C’est la raison pour laquelle de nombreux économistes insistent depuis des années, à juste titre, sur des réformes structurelles dans le secteur financier et public. Ce qui est impopulaire et technocratique est au fond intuitif : tout le monde sait que les médicaments permettent de se maintenir à flot un certain temps lorsqu’on est enrhumé. Mais finalement, le repos et une adaptation du style de vie sont nécessaires. Si l’on n’y parvient pas, le long terme arrive plus vite qu’on ne le souhaiterait.

Ce texte a été publié dans la cadre d’une nouvelle chronique mensuelle de Jürg Müller dans la NZZ am Sonntag.