Aucun impôt n’est apprécié, la TVA encore moins que tout autre. À tel point qu’une initiative des Verts’libéraux exige son remplacement par une taxe sur l’énergie. Bien que cette solution radicale n’ait que peu de chance d’être acceptée le 8 mars prochain par le peuple suisse, elle illustre bien les préjugés qui accompagnent depuis toujours l’impôt sur la consommation, et avant tout, celui de sa prétendue injustice sociale. Celle-ci se manifesterait dans le caractère régressif de la charge fiscale, qui serait donc plus élevée pour les revenus les plus bas. À première vue, les statistiques sembleraient confirmer ce constat. En effet, selon l’enquête sur le budget des ménages réalisée par l’Office fédéral de la statistique, les ménages disposant d’un revenu net jusqu’à 3580 francs (le dixième de la population aux revenus les plus modestes) consacrent 4,8% de leur revenu à la TVA, soit le double du taux d’effort des 10 % les plus riches.
Pourtant, ces chiffres sont trompeurs. Les ménages aisés affichent un taux d’effort inférieur parce qu’ils épargnent plus. Mais ce faisant, ils n’échappent que temporairement à la TVA. Tôt ou tard, cette épargne sera aussi consommée et ainsi sujette à l’imposition. C’est pourquoi il est plus judicieux de calculer le taux d’effort par rapport aux dépenses de consommation. Cela révèle une toute autre réalité (voir le graphique ci-dessous): avec 5,2%, le dixième le plus riche des ménages suisses verse proportionnellement la plus grande part de la TVA.
La légère progressivité de l’impôt sur la consommation est due aux exonérations et aux taux spéciaux aménagés au fil du temps. Les produits alimentaires, par exemple, sont taxés sur la base d’un taux réduit de 2,5%, alors que les dépenses liées au logement – abstraction faite de la «taxe occulte» (la part de l’impôt préalable reposant sur les biens en principe exonérés) – échappent totalement à l’imposition. De nombreuses prestations dans les domaines de la santé, de la formation et de la culture sont aussi exclues du champ de l’impôt.
Si ces exceptions sont principalement justifiées par des raisons sociales, leur importance pour les ménages à faible revenu est cependant très inégale. Comme le montre une simulation d’Avenir Suisse, une TVA sur les loyers frapperait assez fortement les bas revenus cat ils consacrent une grande part de leur budget pour se loger. Ce sont donc eux qui profitent le plus du traitement particulier des loyers (ligne pointillée noire). Pratiquement toute la progressivité de la TVA se rapporte à cette unique exception.
Au contraire, la taxation privilégiée des produits alimentaires au taux normal de 8 % n’augmenterait que faiblement la pression fiscale sur les bas revenus (ligne pointillée rouge). Aujourd’hui, même les ménages modestes consacrent une part toujours plus réduite de leur budget aux denrées alimentaires. De plus, cette tentative de redistribution par la TVA entraîne d’importants effets d’aubaine. Certes, en pourcent de leur budget les tranches de revenu inférieur bénéficient davantage du taux réduit que les tranches supérieures. En chiffres absolus néanmoins, les plus riches profitent encore plus du taux réduit. Avenir Suisse calcule que pour chaque franc de TVA en moins qui soulage les 20% des salariés aux revenus les plus faibles, la tranche des 20% aux revenus les plus élevés est déchargée de 2 francs, car le caviar, les filets de bœuf et les produits bio sont également soumis au taux réduit. Dans la pratique, il serait impossible de faire autrement : comment en effet évaluer chaque produit alimentaire pour déterminer s’il devrait bénéficier ou non du taux réduit ? Ou commence le luxe, ou s’arrête la nécessité ?
En bref, les effets de redistribution qu’engendre les taux réduits sont modestes et mal ciblés. En même temps, la multiplication des taux génère des coûts économiques conséquents. Ainsi les entreprises doivent traiter des questions juridiques complexes, voire absurdes quant au champ d’application des différents taux. Par exemple, un roman imprimé est soumis à un taux de 2,5%, mais son e-book est imposé à 8%.
La conclusion est claire: qui veut réformer la TVA sans la supprimer totalement ne doit pas se fixer sur son supposé caractère régressif. Un besoin de réforme existe en premier lieu en raison de l’inefficacité de la redistribution par la TVA et de la complexité causée par les nombreuses exceptions. Vu le faible impact de nombreuses d’entre elles sur la disparité, un taux unique avec quelques exceptions bien ciblées serait logique et socialement responsable.
Cet article a été publié dans «Le Temps» du 19.02.2015. Avec l'aimable autorisation du Temps.